Le bilan accablant de la réforme de la fiscalité du capital confirmé par France stratégie

, par Équipe de l’Observatoire

Il n’y a donc que le pouvoir, quelques idéologues et leurs bénéficiaires pour prétendre que les réformes fiscales engagées depuis 2017 sont positives. Après trois rapports accablants, le Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital vient en effet de publier de nouveaux travaux*. Ils confirment les analyses des 3 premiers rapports que l’on pourrait résumer ainsi : depuis la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU) et la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en maigrelet impôt sur la fortune immobilière (IFI), les dividendes ont augmenté et ils sont très concentrés sur les plus riches. Un constat simple certes, mais juste et étayé par les travaux du comité dont voici les principaux extraits commentés.

Des dividendes élevés en 2020 et toujours aussi concentrés sur les plus riches

Le constat du comité est sans appel : « un petit nombre de ménages concentre la plus grande partie des volumes de revenus de capitaux mobiliers. (…) Par rapport à 2018 et 2019, le niveau de concentration de ces revenus a relativement peu évolué en 2020 ». L’avis du comité précise ainsi le degré de cette concentration qui reste stable au cours des années 2018-2019 et 2020 : «  64 % des dividendes sont perçus par des foyers déclarant plus de 100 000 euros de dividendes en 2020, un niveau comparable à celui de 2018-2019 (63 %) et beaucoup plus élevé qu’en 2017 (44 %). Les montants de dividendes supérieurs à 1 million d’euros comptent pour 24 % du total en 2020, contre 26 % en 2018-2019, soit plus de deux fois plus qu’en 2017 (10 %) ». Précisons que, dans la note consacrée aux « gros dividendes » qui accompagne l’avis du comité, il est rappelé que «  En 2020, 62 % des dividendes ont été perçus par les 0,1 % des foyers percevant le plus de dividendes (39 000 foyers) et 30 % par les 0,01 % (3 900 foyers). »

Si cela semblait aller de soi, le constat est implacable : ce sont bien les plus riches qui perçoivent la plus grande partie des dividendes. Ceux-ci représentent, avec les autres revenus financiers (plus-values et revenus d’obligation), une part importante de leurs revenus. En effet, «  les revenus du capital éligibles au PFU constituent toujours plus de la moitié des revenus déclarés par les 0,1 % les plus aisés en 2020  » tandis que, «  pour les autres catégories de revenu au sein du 1 % les plus aisés, la part des revenus éligibles au PFU est comprise entre 7 % à 25 %. En 2020, cette part s’est maintenue au niveau record de 2019 ».

Là encore, il s’agit d’une évidence. Au fur et à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie des revenus, la propension à épargner (donc à percevoir les revenus de son épargne) augmente. Cette situation alimente les inégalités, celles-ci ayant tendance à se développer avec le PFU puisqu’il permet aux plus riches de baisser leur taux réel d’imposition par rapport à la situation antérieure, lorsque les revenus financiers étaient soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu. En effet, « le taux d’imposition moyen des 0,1 % des foyers les plus aisés en 2020 s’élève à 21,3 % »

Le PFU (Prélèvement Forfaitaire Unique, aussi appelé « flat tax ») est un taux unique de 30 % appliqué sur les placements financiers. Il diminue donc les impôts pour les foyers les plus aisés, pour lesquels le taux d’imposition était supérieur.

La réalisation de « superdividendes » distribués grâce à des « superprofits » aurait pu et dû conduire le gouvernement à procéder à des changements. Las, non seulement il se contentera d’appliquer le strict minimum en matière de superprofits, mais il a également refusé le relèvement de 30 à 35 % du taux du PFU, un relèvement qui n’avait pourtant rien de révolutionnaire… Le gouvernement est donc directement responsable de la hausse des inégalités et des injustices déjà constatées et de celles à venir mais également de l’aggravation des déficits publics, puisque ces mesures ont un coût d’environ 5 milliards d’euros par an (soit 25 milliards cumulés depuis leur instauration).

Des plus-values toujours concentrées et un exil fiscal neutralisé ?

L’année 2020 a interrompu l’activité économique pendant une longue période, ce qui a eu une incidence sur la vente de titres financiers. Pour autant, les plus-values, dégagées suite aux ventes d’actions par exemple, restent elles aussi très concentrées sur les plus riches. Elle a même augmenté depuis l’instauration du PFU : « 3 900 foyers (0,01 % des foyers) concentrent 71 % des plus-values de droit commun en 2020, contre 62 % en 2017  ». La légère baisse de la part des plus-values en 2020 est conjoncturelle, elle est liée à la crise...

Quant à l’exil fiscal, largement instrumentalisé et exagéré avant 2017 alors qu’il ne concernait que 0,2 % des redevables de l’ISF en moyenne, il serait en baisse. Une baisse toute relative puisque, selon France stratégie, « Cette évolution porte toutefois sur de petits effectifs, de l’ordre de quelques centaines, à comparer avec les quelques 150 000 contribuables assujettis à l’IFI  ». L’exil fiscal n’était pas massif avant la transformation de l’ISF en IFI et l’instauration du PFU, sa baisse est donc faible depuis leur création. Étant entendu qu’il est arrivé que des agents économiques tentent faussement de se « délocaliser » avant 2017 (l’administration fiscale procédait à 150 à 200 des redressements fiscaux par an pour fausse expatriation) et, par ailleurs, que l’économie française pouvait parfaitement supporter l’exil de spéculateurs.

Un pouvoir responsable et coupable.

Attac l’avait déjà souligné dans ses écrits : les mesures de 2017 concernant l’ISF et le PFU ont été coûteuses, injustes et inefficaces. Cette nouvelle livraison de France stratégie le confirme. Il faudrait ajouter à cette analyse les conséquences de la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, de la baisse des impôts locaux des entreprises (impôts dit « de production ») et des aides publiques aux entreprises, dont le montant atteint des records. Ces mesures ont permis à certaines entreprises de dégager des superprofits et de distribuer des superdividendes, soit autant de revenus que le gouvernement veut imposer le moins possible. Or, il en avait parfaitement le droit (pour ne pas dire l’obligation morale) puisque l’accord de l’Union européenne ne constitue qu’un minimum : les gouvernements ont même été incités à aller plus loin, ce que le gouvernement français, obtus jusqu’au bout des ongles et hostile à tout ce qui peut ressembler à une mesure de justice, s’obstine à ne pas faire.

On comprend dès lors quelles sont ses vues : faire payer les conséquences des crises successives (Covid et Ukraine, soit le « quoi qu’il en coûte » et le bouclier tarifaire) aux ménages et aux PME, organiser une régression des droits sociaux (assurance chômage et retraites), ne mener aucune politique salariale permettant à tout le moins d’éviter de perdre du pouvoir d’achat, etc. Anti-social, mais aussi anti-écologique et finalement anti-économique, tel est le vrai visage du pouvoir.

*France stratégie, « Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital – actualisation des données –« et « Les gros dividendes se sont maintenus en 2020, les plus-values mobilières sont en repli », octobre 2022.