Fiscalité des entreprises et du capital : le Medef tel qu’en lui-même

, par Équipe de l’Observatoire

Le Medef affûterait donc selon le quotidien « les Échos » du 28 mars ses arguments pour empêcher une hausse de la fiscalité des entreprises et du capital, preuve de l’intime lien qui existe entre ces deux familles d’impôts. Son argument ? La fiscalité des entreprises et du patrimoine ont dégagé des rendements en hausse par rapport aux prévisions effectuées notamment dans le projet de loi de finances 2018, qui prévoyait la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, la mise en œuvre du prélèvement forfaitaire unique et la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI). Pour le Medef, il s’agit de sauver ces mesures et d’éviter toute hausse d’impôt, comme, par exemple une taxe sur les superprofits ou la remise en cause de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. A ce stade, il est important de passer en revue les données chiffrées pour mieux comprendre les enjeux.

L’impôt sur les sociétés aurait dû rapporter davantage qu’actuellement...

Les recettes nettes de l’impôt sur les sociétés (déduction faite des crédits d’impôt) passent de 36,4 milliards d’euros en 2020 à 46,3 milliards d’euros en 2021 (soit une hausse de 27,19%) puis à 59 milliards d’euros en 2022 (soit une hausse de 27,4 %). Elles dégageraient un rendement de 55,2 milliards d’euros en 2023. Cette hausse du rendement de l’IS est due à plusieurs facteurs dont les superprofits, mais aussi le rattrapage post Covid et la baisse des impôts dits « de production ».

Les superprofits des grandes entreprises constituent le premier de ces facteurs. Pour mémoire, rappelons que la moyenne des profits des années 2017/2018/2019 des entreprises du CAC 40 s’élevait à 88 milliards d’euros quand ces mêmes entreprises dégageaient des superprofits de 156 milliards d’euros en 2021 et 152 milliards d’euros en 2022 (sur 38 des 40 entreprises concernées), soit une hausse de 77,27 % par rapport à cette moyenne triennale d’avant crise.

Il y a mieux si l’on ose dire : le projet de loi de finances 2023 indique que le bénéfice fiscal imposable des entreprises soumises à l’IS a augmenté de 41,5 % entre 2020 et 2021. Cette hausse constitue cependant une moyenne de l’ensemble des entreprises soumises à l’IS, dont certaines ont pu avoir des déficits ou tout simplement de faibles bénéfices. Mais si l’on prend en compte les profits du CAC 40, ils sont passés de 36 milliards d’euros en 2020 à 156 milliards d’euros en 2021 soit une hausse de 333 %. Il y a donc manifestement une hausse exceptionnelle des profits du CAC 40, largement supérieure à celle du rendement de l’IS.

L’impact de la baisse des impôts de production de 10 milliards d’euros qui profite surtout aux grandes entreprises (les deux tiers de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises bénéficie à 10.000 grandes entreprises) est le deuxième facteur. Ces impôts étant déductibles du bénéfice imposable, toute chose étant égale par ailleurs, leur réduction augmente d’autant le bénéfice imposable et par conséquent les recettes de l’IS. Pour le dire simplement, lorsque les entreprises bénéficient d’une baisse de ces impôts de 10 milliards d’euros, ces mêmes 10 milliards d’euros ne peuvent plus être déduits du bénéfice imposable à l’IS, ce qui augmente le rendement de l’IS de 2,5 milliards d’euros (au maximum, soit si toutes les entreprises sont bénéficiaires).

En 2021, l’effet rattrapage de la crise Covid explique une part de la hausse des recettes de l’IS. Elle a été estimée à 15,3 milliards d’euros de recettes de l’IS dans le projet de loi de finances 2023. Elle concerne l’ensemble des sociétés soumises à l’IS.

La baisse du taux de l’IS n’est évidemment pour rien dans la hausse des recettes de l’IS. Elle a même eu un coût pour les finances publiques, l’assiette de l’IS n’ayant pas été élargie (les « dépenses fiscales » n’ont pas été remises en cause). Ce coût a été estimé, selon le projet de loi de finances pour 2018, à 11 milliards d’euros. Ce coût budgétaire, jugé déjà sous-estimé dans le PLF 2018, est probablement supérieur malgré la crise Covid en 2020, du fait des superprofits dégagés en 2021 et 2022. À titre d’exemple, en 2021, si le taux de l’IS avait été maintenu au niveau de 2020, l’IS aurait dégagé un rendement supplémentaire de 3,2 milliards d’euros.

… et les impôts sur le capital également !

Le même raisonnement s’applique aux dividendes notamment. Au cours des débats entourant le PLF 2018, le coût budgétaire du prélèvement forfaitaire unique (PFU, la flat-tax sur les revenus financiers) était estimé entre 1,1 et 1,9 milliard d’euros par an. La forte croissance des dividendes dès 2018 (entre 2017 et 2018, la hausse des dividendes a été estimée à 50 % par France stratégie) a fait dire à ses partisans que le caractère incitatif du PFU à verser des dividendes annulerait ce coût budgétaire. Encore faut-il comparer ce qui est comparable. Car avec une imposition au barème progressif de l’impôt sur le revenu comme c’était le cas avant 2018, le même niveau de dividendes aurait dégagé un rendement supplémentaire de l’impôt de plus de 2 milliards d’euros. Et si d’aventure, la distribution de dividendes avait été inférieure, les entreprises concernées auraient eu plus de marge de manœuvre pour investir, créer des emplois ou augmenter les revenus de leurs salariés.

Par ailleurs, la transformation de l’ISF en IFI a nui aux finances publiques, avec un coût budgétaire annuel estimé à plus de 3 milliards d’euros. Une estimation conçue dans le PLF 2018 qui ne tient pas compte de l’accroissement de la valeur des patrimoines des plus riches intervenu depuis, et alimenté notamment par la fiscalité généreuse à l’égard des entreprises et des dividendes…

Le Medef a bien compris le danger qui plane sur ses intérêts et celui des grands actionnaires et la forte aspiration à plus de justice fiscale qui s’exprime dans la période. Imposer plus fortement les riches, faire davantage contribuer les multinationales, revoir les « niches fiscales et sociales » et renforcer la lutte contre l’évasion fiscale ne concernerait en effet pas les PME ni l’immense majorité de la population. Cela dégagerait des marges de manœuvre pour financer les besoins sociaux et écologiques avec le mérite de réduire les inégalités. C’est l’objectif de la justice fiscale, réclamée par la grande majorité des citoyen.nes. Un objectif que combat le Medef. Au moins, les choses sont claires.