La conception gouvernementale des finances locales étrillée par la Cour des comptes

, par Équipe de l’Observatoire

C’est un rapport particulièrement intéressant que vient de rendre la Cour des comptes. Revenant sur l’évolution et les perspectives des finances locales, il formule des critiques sur la façon dont les récents gouvernements ont bouleversé la donne en la matière. Pour feutrées qu’elles puissent paraître, mises bout à bout, ces critiques ressemblent davantage à un dézingage en règle de la façon dont le pouvoir a traité les finances locales. Une impression confirmée à la lecture des recommandations du rapport de la vénérable institution, qui vont à contre-courant de la politique gouvernementale.

Le rapport rappelle tout d’abord que, selon les prévisions du projet de loi de finances pour 2024, les collectivités territoriales vont faire face à un besoin de financement de 2,6 Md€ en 2023, puis de 2,9 Md€ en 2024. Pour la Cour, ce besoin est d’autant plus préoccupant que, « le projet de loi de programmation des finances publiques (NDR : du gouvernement) pour les années 2023 à 2027 formule des objectifs ambitieux de contribution des administrations publiques locales, notamment des collectivités territoriales, au redressement des finances publiques  ». On traduira « ambitieux » par « irréalistes ». D’autant que le rapport enfonce le clou en précisant que « Cette trajectoire présente des aléas importants (...) les hypothèses de croissance économique sur lesquelles elles reposent sont optimistes ». Là aussi, on traduira « optimistes » par « inatteignables »…

En d’autres termes, le gouvernement impose des objectifs irréalistes sur la base de prévisions inatteignables aux collectivités locales. Sachant que les collectivités locales réalisent la majorité des investissements publics, l’alerte de la Cour des comptes est donc sérieuse.

Le rapport remet ce constat en perspective en rappelant que «  la suppression d’impôts locaux a conduit à accroître les transferts financiers de l’État destinés à les compenser (près de 36 Md€ de transferts de recettes de TVA à ce titre en 2022), et donc le déficit public (124,5 Md€, soit 4,7 % du PIB en 2022). Ce constat invite à ne pas réduire davantage le « panier » d’impôts locaux des collectivités  ». Sur ce point, on ne pourra pas taxer la Cour d’incohérence. Elle avait déjà dénoncé dans un précédent rapport la complexité des transferts de l’État et rappelé que la TVA n’avait pas à financer les collectivités locales. Surtout, la Cour rappelle ici que les mesures récentes (suppression de la taxe d’habitation, baisse de certains impôts locaux des entreprises, suppression progressive de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE) grèvent non seulement l’autonomie fiscale des collectivités locales (qui s’est ainsi réduite), mais également les déficits publics. Ceux-là même qui alimentent une dette publique que le gouvernement veut faire baisser en réduisant la place de l’action publique.

Ajoutant une couche, le rapport regrette que «  les réformes fiscales mises en œuvre depuis 2018 ont affaibli le lien direct entre les collectivités et les ménages et entreprises de leur territoire  ». C’est là un point important qui touche au consentement à l’impôt : lorsqu’un élu local prend la décision d’augmenter ou de baisser l’impôt local, il se doit d’assumer les conséquences de son choix devant ses administré.es, qui peuvent ainsi saluer le développement des services publics locaux (la création d’une crèche par exemple) ou en subir le repli.

Le rapport précise que « La création d’un impôt résidentiel à la charge de l’ensemble des ménages, y compris les locataires, et, a fortiori, l’instauration d’une garantie constitutionnelle d’autonomie fiscale des collectivités du « bloc communal » relèvent de choix politiques sur lesquels il n’appartient pas à la Cour de se prononcer  ». S’il en lui appartient effectivement pas de se prononcer, subtilement, la Cour des comptes remet ainsi en débat l’instauration d’une forme de taxe d’habitation rénovée. Pour une institution comme la Cour, aux termes choisis et prudents, on ne saurait être plus clair ni plus critique devant le choix du gouvernement d’avoir préféré supprimer la taxe d’habitation plutôt que de l’avoir réformée pour la rendre plus juste. Si la Cour appelle le gouvernement à ne pas réduire davantage les impôts locaux, ce que l’on pourrait traduire par une demande de ne plus réduire la CVAE. On regrettera cependant qu’elle ne se soit pas montrée plus clair en demandant de revenir sur les mesures concernant les impôts locaux des entreprises (les fameux « impôts de production »).

Ce rapport, qui pointe par ailleurs le besoin d’une meilleure péréquation ou les limites de la contractualisation entre l’État et les collectivités locales, n’en demeure pas moins instructif. Il peut contribuer à relancer utilement le débat sur la réforme de la fiscalité locale. Dans l’immédiat, il s’agit de stopper la course à la baisse des impôts locaux (et, au-delà, nationaux) des entreprises, laquelle ne fera qu’accroître une injustice fiscale synonyme d’injustice sociale et écologique, alors qu’en la matière, les besoins sont immenses.