Plus de 200 milliards d’euros de manque à gagner pour les recettes publiques : une véritable revue des niches fiscales et sociales s’impose

, par Équipe de l’Observatoire

La présentation des projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale pour 2024 est l’occasion de revenir sur l’un des travers des finances publiques : le coût élevé (déjà souligné dans le débat sur les « aides publiques aux entreprises ») des différentes formes de « niches fiscales et sociales » qui mitent le système de prélèvements.

« Niches fiscales », un coût exorbitant

Dans une note thématique de juillet 2023 intitulée « Piloter et évaluer les dépenses fiscales », la Cour des comptes rappelait que le projet de loi de finances pour 2023 comportait 465 dispositifs fiscaux dérogatoires classés comme « dépenses fiscales », pour un coût total évalué à 94,2 milliards d’euros en 2022. Un triste record. En effet, malgré la transformation du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) en allègement pérenne de cotisations sociales au 1er janvier 2019, le coût budgétaire des « niches fiscales » a donc augmenté.

Cette situation est préoccupante à plus d’un titre.
Outre le coût de ces dispositifs, leur efficacité est en question. Pour le premier président de la Cour des comptes Pierre Moscovici (interview à France info du 7 juillet 2023), « ça montre que l’on a un très haut niveau d’impôt, que l’impôt est mité par ces niches fiscales  : TVA, impôt sur les sociétés, sur le revenu... qui sont l’objet de 90% des niches fiscales, alors qu’elles ne sont pas évaluées. Elles ne sont pas abordées dans le temps et leur efficacité est parfois douteuse ». Ces propos très diplomates sont largement confirmés par de nombreux travaux menés sur le sujet. Rappelons à ce titre que la Cour des comptes a régulièrement déploré le coût du crédit d’impôt recherche (CIR) et sa faible efficacité.
Ces dispositifs nourrissent l’instabilité et la complexité du système fiscal. En effet tous sont assorties de conditions, qui peuvent évoluer dans le temps.
L’impact des « niches » sur l’équité fiscale est également clairement posée : nombreux sont celles qui sont utilisées dans les stratégies de défiscalisation par les plus aisés et les grandes entreprises. C’est l’une des principales explications des écarts d’imposition entre PME et grands groupes (lesquels utilisent plusieurs dispositifs taillés sur mesure pour eux : CIR, régime d’intégration fiscale, régime « société-mère »…) et la faiblesse relative du taux réel d’imposition des plus aisés. Celui-ci atteint en effet 22,37 % pour les foyers fiscaux présentent un revenu fiscal de référence compris entre 400.000 et 500.000 euros pour baisser progressivement ensuite, jusqu’à atteindre moins de 18 % au-delà de 6 millions d’euros et même 16,67 % au-delà de 9 millions d’euros (source : statistiques du site impôts.gouv.fr).
Par conséquent, ces dispositifs contribuent à l’affaiblissement du consentement à l’impôt, pilier de toute démocratie.

Le PLF supprime certes 21 niches fiscales «  inefficientes ou obsolètes ». En matière de placement immobilier, les dispositifs Perissol, Besson neuf, Borloo neuf, Demessine, le Censi-Bouvard, Scellier, dont la fin était déjà programmée, sont officiellement clos C’est particulièrement insuffisant au regard du nombre et du coût de l’ensemble de ces dispositifs.

Des « niches » non évaluées depuis 2018

Plusieurs dépenses fiscales ont été déclassées depuis une quinzaine d’années (le gouvernement de l’époque les a unilatéralement rangées ans la catégorie des mesures considérées comme des modalités de calcul de l’impôt et non comme des « dépenses fiscales »). Elles figuraient cependant dans le rapport « Voies et moyens, tome 2 » annexé à chaque PLF. Mais depuis 2019 et le projet de loi de finances pour 2020, tel n’est plus le cas.

Il en va notamment des suivantes :
• Régime des sociétés mères et filiales : non-imposition, sur option, des produits de participations représentant au moins 5 % du capital d’autres sociétés : 17,6 milliards d’euros en 2018.
• Régime d’intégration fiscale de droit commun des résultats des groupes de sociétés françaises : 16,4 milliards d’euros en 2018.
• Taxation au taux zéro des plus-values brutes à long terme provenant de cession de titres de
participation et de certaines parts de FCPR et de SCR, ainsi que, sous certaines conditions, de leurs distributions (le chiffrage mentionne est une donnée brute et ne tient pas compte de l’élasticité de la base imposable en fonction d’une éventuelle taxation) : 7,02 milliards d’euros en 2018.

Ces dispositifs sont intégrés dans les stratégies financières et fiscales des groupes, les seuls à pouvoir en bénéficier. Ces stratégies sont organisées de telle sorte que les remontées de revenus de dividendes par exemple soient faiblement imposées et nourrissent in fine les actifs d’une holding familiale détenue par peu de personnes (ce que l’institut des politiques publiques a parfaitement montré dans sa note de juin 2023 intitulée « Quels impôts les milliardaires taxent-ils ? »).

Pour Attac, la représentation nationale doit donc avoir accès à l’ensemble des évaluations les concernant, comme cela était le cas jusqu’en 2018.

Le coût des « niches sociales » en forte hausse

À ces « niches fiscales » s’ajoutent des « niches sociales », dont le montant atteint des records : selon la Commission des comptes de la Sécurité sociale, le manque à gagner provenant des différentes exonérations de cotisations sociales est ainsi passé de 74,3 milliards d’euros en 2021 à 81,56 milliards d’euros en 2022. Les prévisions s’établissent à 87 milliards d’euros pour 2023 et 90,67 milliards d’euros pour 2024. La commission explique une partie de cette hausse par la revalorisation du SMIC. Mais elle remarque également, en contrepartie, que la fin des dispositifs temporaires mis en place lors de la crise Covid devrait faire baisser le manque à gagner.

La situation était pourtant déjà connue. Dans son rapport de 2019 consacré à la Sécurité sociale, la Cour des comptes estimait déjà que le coût réel des allègements de cotisations sociales de toutes sortes dépassait les 90 milliards d’euros. Or, si les allègements de cotisations sociales sont censés favoriser la création ou la sauvegarde des emplois, leur impact réel reste à démontrer : dans son rapport, la Cour des comptes déplorait que, lorsque des évaluations constatent l’inefficacité de certaines « niches », celles-ci ne sont que rarement remises en question. Mieux, elle précisait : « Quant aux effets des allègements sur la compétitivité, les travaux d’évaluation sont moins nombreux, mais ne trouvent à ce jour d’effet significatif sur les exportations ni pour le CICE, ni pour la réduction de 1,8 point du taux de cotisation famille ». Pour la Cour, il faut donc « encadrer effectivement le coût des autres dispositifs, en les remettant en cause quand leur efficacité est démentie par des évaluations robustes et en plafonnant ce coût tant qu’elle n’est pas démontrée ».

On ajoutera que ces allègements présentent des effets pervers et constituent de véritables « trappes à bas salaires » puisqu’ils incitent les employeurs à ne pas augmenter les salaires.

Que faire ?

Pour Attac, qui a déjà alerté sur le coût exorbitant de ces dispositifs (voire notre article du 28 janvier 2022 : « 200 milliards d’euros de « niches fiscales et sociales », pour quelle efficacité ? »), l’heure n’est plus à un toilettage partiel. Il faut une « revue des niches, fiscales et sociales », qui couvre l’ensemble des dispositifs, même ceux dits « déclassés », afin d’en étudier le rapport coût/rendement/impact sur le système redistributif. Dans l’immédiat, et dans l’attente de mesures succédant à cette revue, il serait également possible d’instaurer un véritable plafonnement global des niches plus efficace que le dispositif actuel.

Au terme de cette revue, seuls les dispositifs reconnus comme justes et efficaces seraient maintenus. Les dispositifs pouvant être orientés vers une véritable bifurcation sociale et écologique seraient réformés. Les autres seraient supprimés, des aides directs conditionnés pouvant le cas échéant mieux cibler les secteurs et activités devant être soutenus. Le système fiscal et social en sortirait plus juste, plus stable et plus simple.