Réformes de la fiscalité du capital : un coût exorbitant pour les finances publiques, mais aucun ruissellement

, par Équipe de l’Observatoire

Le Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital de France Stratégie vient de publier son quatrième et dernier rapport sur les réformes de la fiscalité du capital. Les 3 précédentes éditions avaient notamment mis en lumière la concentration des dividendes et des plus-values financières sur les contribuables les plus aisés, le coût budgétaire élevé des mesures et l’absence d’effet avéré sur l’investissement et l’emploi. Cette dernière édition présente les résultats de deux nouvelles études – commandées par France Stratégie pour le comité – portant sur les effets du plafonnement de l’ISF, et sur une évaluation ex-post des effets des réformes de 2018 s’intéressant aux comportements de réinvestissement ainsi qu’aux créations d’entreprises.

Les principaux enseignements de ce rapport portent sur la réalité de l’imposition des plus riches (1) et sur les effets de la réforme de la fiscalité du capital (2), confirmant par là même les constats dressés dans les 3 premiers rapports.

Des riches bien servis

Revenant sur l’ex-ISF, l’étude démontre que le plafonnement de l’ISF (dont le seuil est passé de 85 % en 2000 à 75 % en 2013) aurait eu un coût budgétaire de l’ordre de 2 milliards d’euros et a bénéficié largement aux plus fortunés. Pire, il constituait une opportunité d’optimisation fiscale. Elle révèle également que sous l’empire de l’ISF, les biens professionnels représentaient 24 % du patrimoine total des foyers les plus riches, c’est-à-dire ceux appartenant aux 1% des foyers possédant les plus gros patrimoines, atteignant même une proportion de 49 % de celui des foyers du top 0,1 %.

En réalité démontre le rapport, plus le patrimoine est important, plus la part des biens professionnels dans le patrimoine total est élevée, plus l’impôt ISF payé est faible en proportion du patrimoine, en raison de l’exclusion des biens professionnels de l’assiette de l’ISF.

Cette exonération des biens professionnels a été largement optimisée : étaient ainsi exonérés d’ISF les titres d’une société (une holding familiale par exemple) détenues par son dirigeant. L’organisation d’un groupe permet en outre de loger dans ce type de structure une partie des profits dégagés par les entités du groupe. Dans le cas d’une holding familiale, cette richesse ainsi concentrée est de facto détenue par ses quelques actionnaires. Ceci explique que, pour les plus fortunés, le revenu fiscal de référence est beaucoup plus faible que le revenu dit « économique ».

On touche là un point sensible soulevé l’Institut des politiques publiques et confirmé par Attac : rapportée au revenu économique, l’imposition globale est progressive pour 99,9 % des ménages mais devient ensuite régressive [1].

Le rapport rappelle en effet que les prélèvements personnels «  restent progressifs jusqu’à un niveau élevé de revenu (autour de 600 000 euros de revenu économique annuel, soit le top 0,1 %), mais ils deviennent fortement régressifs passé ce niveau, jusqu’à ne représenter plus que 2 % du revenu économique parmi les 378 ménages les plus aisés contre 35 % environ à l’entrée du dernier centile de revenu économique (autour de 170 000 euros annuels)  ». Selon les auteurs, cette régressivité s’explique par le fait qu’au fur et à mesure que l’on s’élève dans la distribution des revenus, les foyers fiscaux reçoivent de plus en plus de revenus par le biais des bénéfices des sociétés qu’ils détiennent, sans qu’ils ne décident pour autant de se les distribuer même si ceux-ci leur appartiennent.

Pour offrir un panorama global de l’ensemble des prélèvements potentiellement applicables au revenu économique, les auteurs ont également intégré l’impôt sur les sociétés (qui impose les bénéfices dont une part remonte dans les holdings familiales). Ils constatent là aussi « une forte régressivité du taux d’imposition global une fois passé le seuil des 0,1 % les plus riches, avec un taux global passant de 46 % à ce seuil à 26 % parmi les 0,000 2 % les plus riches ».

Le ruissellement, ça n’a jamais marché…

Le rapport réévalue le coût de la réforme : en 2022, le coût budgétaire de la transformation de l’ISF en IFI serait vraisemblablement supérieur à 4 milliards d’euros. Deux enseignements peuvent une nouvelle fois être tirés du rapport. En premier lieu, la réforme a provoqué une hausse des dividendes et des plus-values financières, cette hausse étant concentrée sur les plus riches. En second lieu, il n’y a pas de réel effet économique alors que la réforme étant censée favoriser l’investissement et l’emploi.

Confirmant les analyses des trois premiers rapports, ce 4ème note que, « En 2021, par rapport à 2020, on constate une forte poussée des revenus mobiliers taxables au PFU, après deux années de relative stabilité. Les dividendes augmentent de 10 milliards d’euros, de 23,5 à 33,5 milliards d’euros, soit une hausse de 42 %. Les plus-values mobilières de droit commun croissent de 8 milliards environ, de 11,4 à 19,3 milliards d’euros (+ 70 %) ».

Cette forte hausse est très concentrée. En effet, les revenus des plus riches ont progressé plus rapidement que le revenu médian. Cela s’explique aisément : les superprofits se sont traduits par des superdividendes, sachant que, depuis la baisse du taux nominal de l’impôt sur les sociétés de 33,3 à 25 % et la création du PFU, les bénéfices comme les dividendes sont moins imposés qu’auparavant.

Dans la continuité des trois premiers rapports, cette 4éme livraison dresse un constat étayé sur la concentration des différentes formes de revenus financiers : « En ce qui concerne les dividendes, 1 % des foyers fiscaux (400 000 foyers sur 40 millions en 2021) concentrent 96 % des montants totaux déclarés. 62 % des dividendes sont déclarés par 0,1 % des foyers fiscaux (soit 40 000 foyers) et 33 % par 0,01 % des foyers fiscaux (4 000 foyers). Ces proportions sont stables depuis 2018, et supérieures de 5 à 10 points aux niveaux constatés sur les années 2008-2017. La concentration des plus-values mobilières, beaucoup plus élevée que celle des dividendes, est également stable en 2021 par rapport à l’année précédente. 70 % des montants de plus-values mobilières de droit commun sont déclarés par 0,01 % des foyers fiscaux (4 000 foyers) ».

Quant aux effets économiques proprement dits, ils sont bien faibles. On les résumera ainsi :
• pas détecté d’impact du PFU sur l’investissement et les salaires, dans les entreprises les plus exposées au PFU,
• aucun impact ni sur l’investissement ni sur les salaires parmi les entreprises possédées davantage par des personnes physiques suite à l’instauration du PFU [2],
• impact nul, précisément estimé, de la réforme 2018 de l’ISF sur l’investissement des entreprises,
• aucun effet de la suppression de l’ISF ne semble décelable ni sur l’âge moyen des dirigeants ni sur la probabilité qu’un changement de dirigeant soit annoncé dans l’entreprise,
• pas de remontée de la probabilité d’être actionnaire de référence dans les quatre années suivant la vente des actions, ce qui infirme l’hypothèse d’un réinvestissement au sein d’une société,
• pas de réinvestissement dans les sociétés âgées de moins de cinq ans ;
• pas de différence significative dans les comportements de réinvestissements dans les deux ans suivant la réalisation d’une grosse plus-value mobilière, entre la période antérieure aux réformes et la période postérieure,
• aucune modification du comportement de réinvestissement des plus-values financières,
• impossibilité de conclure à un lien entre le surcroît de dividendes et le réinvestissement,
• en revanche, un impact positif a été détecté sur la création d’entreprises.

C’est peu de dire que le bilan n’est guère reluisant. Certes, l’ex-ISF présentait des travers que le rapport pointe pour partie. Rien n’empêche donc désormais d’instaurer un impôt sur la fortune « intelligent », débarrassé de « niches » et imposant réellement la fortune et la très grande fortune pour dégager des recettes utiles à l’investissement dans la bifurcation écologique et la prise en charge des besoins sociaux et réduire les inégalités.

Notes

[1Voir : Institut des politiques publiques, « quels impôts les milliardaires paient-ils ? », Note N° 92, juin 2023 et la contribution d’Attac à la mission d’information de la Commission des finances de l’Assemblée nationale sur la fiscalité du patrimoine, avril 2022.

[2Le rapport va jusqu’à rappeler que « L’absence d’effet identifié du PFU sur l’investissement des entreprises possédées davantage par des personnes physiques est en décalage avec les théories économiques dites « classiques », selon lesquelles l’investissement dépend de la capacité à lever des fonds sur les marchés – donc de la rentabilité nette, c’est-à-dire après impôt, pour l’actionnaire »