Lutte contre l’évasion fiscale : deux nouveaux rapports déplorent une volonté politique insuffisante

, par Équipe de l’Observatoire

La seconde livraison du rapport spécial de la Commission des finances de l’Assemblée nationale sur l’évasion fiscale et un nouveau rapport de la Cour des comptes consacré à la fraude fiscale des particuliers viennent utilement nourrir le débat public. Ces deux rapports livrent des informations actualisées et de nombreuses recommandations. Une nouvelle preuve si besoin en était qu’il reste beaucoup à faire en la matière.

Un second rapport spécial de la Commission des finances de l’Assemblée nationale qui enfonce le clou

Une nouvelle fois, Attac ne peut que se retrouver dans les analyses et les propositions dans ce deuxième rapport spécial consacré à la lutte contre l’évasion fiscale de la rapporteuse spéciale de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Charlotte Leduc. Ce rapport revient notamment sur les moyens humains et souligne les 2500 emplois supprimés dans le contrôle fiscal entre 2013 et 2021 et, plus globalement, l’insuffisance de moyens humains dans l’ensemble des services engagés dans la lutte contre l’évasion fiscale. Le rapport souligne chiffres à l’appui que la baisse des effectifs n’est évidemment pas sans conséquences puisqu’elle se traduit par une baisse du nombre de contrôles fiscaux effectués sur place (de 52.378 en 2013 à 42.134 en 2021) et par des résultats jugés «  médiocres  » face à l’ampleur de l’évasion fiscale. Un constat déjà souligné par Attac dans son rapport de mars 2022 « Fraude fiscale, sociale, aux prestations sociales, ne pas se tromper de cible »

Le plan anti fraude annoncé par le gouvernement au printemps dernier est bien insuffisant aux yeux de la rapporteure. S’il prévoit un renforcement en emplois de certains services de contrôle fiscal, ce plan est bien loin de combler les suppressions passées. En outre, ces emplois sont des redéploiements internes à la Direction générale des finances publiques (DGFiP) et ne constituent pas de véritables créations d’emplois. Le rapport demande logiquement un «  moratoire sur les suppressions de poste dans le contrôle fiscal et de planifier l’embauche de 4 000 agents d’ici à 2027 ».

Le rapport procède également à un rappel de certaines stratégies d’évasion fiscale des particuliers et des entreprises (trusts, prix de transfert…) et estime qu’outre un renforcement des moyens humains, il faut aussi davantage de moyens matériels et une politique d’attractivité pour attirer des personnes dans les services qui combattent la fraude fiscale et pour que les personnels soient bien formés. Appelant à «  des changements radicaux   », le rapport estime que la lutte contre l’évasion fiscale doit devenir «  une priorité nationale   ».

Le rapport recommande la création d’une mission budgétaire intitulée « Lutte contre l’évasion fiscale ». Cette proposition est intéressante puisqu’elle part du principe qu’une « mission » de la Loi organique relative aux lois de finances permettrait d’avoir une vision interministérielle de la lutte contre l’évasion fiscale, puisque des services de plusieurs administrations (DGFiP, douanes, justice, services spécialisés de police judiciaire, Tracfin, etc) sont concernés.

Le rapport livre par ailleurs des préconisations largement défendues par Attac et d’autres organisations, comme un reporting pays par pays public (soit la déclaration pays par pays des résultats économiques, comptables et fiscaux des multinationales) et l’instauration d’une véritable liste des paradis fiscaux, assortie de mesures anti-fraude efficaces. Le rapport souligne que « les auditions conduites et les experts entendus par la rapporteure renforcent sa conviction que les règles fiscales ne sont aujourd’hui plus adaptées à la réalité économique, et que les adeptes de l’évasion fiscale sont insuffisamment sanctionnés  ». Il ne s’en tient pas là et propose des évolutions plus ambitieuses : « Une réforme d’ampleur, à travers la remise à plat des niches fiscales, la mise en œuvre d’une transparence des sociétés holdings, de la taxation unitaire ou encore d’un ISF rénové, ainsi qu’une justice effective en matière d’évasion fiscale sont aujourd’hui impératives pour retrouver une fiscalité juste et raviver le consentement à l’impôt ». Des propositions qu’Attac défend de longue date et dans lesquelles l’association se retrouve pleinement.

La Cour des comptes préoccupée par la fraude fiscale des particuliers

Sans prétendre reprendre le manière exhaustive le contenu de ce rapport fouillé, il est intéressant d’en relever plusieurs constats et recommandations, notamment en matière d’évaluation de la fraude.

La Cour rappelle que la lutte contre la fraude fiscale résulte d’une chaîne de travail : son rapport rappelle légitimement le rôle essentiel des services dites « de gestion » de l’impôt (qui gèrent les dossiers, mettent à jour les données, détectent des anomalies) en amont du contrôle. Or ces services, rappelons-le, sont hélas les principales victimes des suppressions d’emplois et des restructurations. De la même manière, rappelant la place importante de « l’intelligence artificielle » (IA) dans la détection d’anomalies devant, en théorie, servir l’action des services de contrôle, le rapport s’interroge sur son efficacité. Difficile en effet de s’enthousiasmer devant une IA qui est à l’origine de plus de la moitié des contrôles fiscaux mais à peine plus de 13 % des résultats financiers des contrôles. Le rapport livre également une charge contre les indicateurs censés mesurer l’efficacité du contrôle fiscal, mais qui ont «  l’inconvénient de ne pas faire le lien entre modalités de ciblage, motifs de programmation et résultats  ». Autrement dit, d’être largement déconnectés de l’efficacité et de la qualité de la mission consistant à combattre la fraude fiscale. S’interrogeant sur les moyens humains, le rapport chiffre les suppressions d’emplois dans la sphère du contrôle fiscal à près de 1.500 entre 2017 et 2021. Un ordre de grandeur cohérent avec ce qu’Attac relevait dans son rapport de mars 2022 (plus de 3.000 depuis les années 2000). Preuve là également que les moyens humains sont notoirement insuffisants.

Si ces sujets sont importants, le sujet le plus commenté du rapport concerne l’évaluation de la fraude. Le rapport déplore qu’aucune évaluation officielle de la fraude fiscale n’existe. Si on ne peut que partager ce regret, encore faut-il s’entendre sur le périmètre que doit recouvrir une telle évaluation. C’est l’un des grands enjeux de la période. De ce point de vue, le rapport tente de déterminer un périmètre discutable, prétendant qu’une évaluation ne devrait porter que sur les comportements frauduleux volontaires, ce qui exclut les montants provenant d’erreurs ou de mauvaises interprétations du droit fiscal. Il est difficile de souscrire à cette approche pour les raisons suivantes. Tout d’abord, elle méconnaît le droit : qu’un manquement au droit soit volontaire ou non (et donc, sanctionné différemment suivant la gravité des faits) n’en demeure pas moins un manquement au droit. Or, c’est bien la question du respect ou du non respect du droit, qui doit déterminer le périmètre de toute évaluation, qui devrait donc porter sur l’ensemble du « non respect du droit fiscal », à l’instar de l’évaluation de 80 à 100 milliards d’euros réalisée par Solidaires finances publiques. Toute autre approche serait contestable. Face à un « non respect » des règles, il est en effet difficile de déterminer précisément ce qui est « volontaire » de ce qui ne l’est pas. Une personne qui sait pertinemment qu’elle ne respecte pas le droit peut tout à fait prétendre s’être trompée involontairement et biaiser toute évaluation assise sur des considérations morales et non juridiques.

La question du périmètre sur lequel se construit une évaluation est déterminante. Elle explique la diversité des estimations disponibles puisque certaines ne portent que sur certains impôts, voire sur certains types de fraude tandis que d’autres portent sur l’ensemble des pratiques irrégulières de l’ensemble des impôts. Vu le contexte, la façon dont le pouvoir a considéré et orienté la lutte contre la fraude ne peut que rendre méfiants quant à une éventuelle évaluation officielle. En supprimant ou en baissant certains impôts très fraudés (ISF, impôt sur les sociétés), en promouvant le « droit à l’erreur » et en rechignant à défendre des mesures ambitieuses au plan international, on a tout à craindre d’une évaluation du pouvoir  : en partant du postulat qu’il y a surtout de l’optimisation mais peu de fraude puisqu’il a pris les mesures qui s’imposaient et que les irrégularités proviennent surtout d’erreurs, le pouvoir ne pourra que conclure que la fraude fiscale est faible et que le contrôle fiscal en identifie l’essentiel. Le rapport en appelle à une évaluation officielle : pour Attac, pourquoi pas, mais il faut clarifier l’approche d’un tel travail. On n’en est pas encore là.

Ces deux rapports se rejoignent sur plusieurs points et soulignent la nécessité d’avoir une stratégie de lutte contre l’évasion fiscale. Pour cela il faut toutefois une réelle volonté politique. Ces deux travaux soulignent chacun à leur manière que cette volonté est au mieux insuffisante, au pire déficiente.