LVMH : partenaire particulier pour le fisc

, par Équipe de l’Observatoire

L’administration fiscale a renoncé à poursuivre LVMH pour fraude fiscale potentielle et à donner suite au contrôle fiscal qu’elle avait engagé en 2019 pour préférer accepter un « partenariat fiscal ». Révélée le 30 décembre dernier, l’affaire a de quoi interpeller : elle pose en effet non seulement la question de la stratégie gouvernementale en matière de contrôle fiscal mais aussi celle des rapports entre les grands groupes et le pouvoir. Comprendre les différents rouages ayant conduit à cette situation est nécessaire pour identifier les enjeux.

Qu’est-ce que le « partenariat fiscal » ?

Jusque-là peu connu du grand public, le « partenariat fiscal » a été instauré en mars 2019 suite à l’adoption de la loi « Pour un État au service d’une société de confiance » (ESSOC) en 2018. Rappelons que celle-ci a instauré un ensemble de mesures présentées comme permettant notamment de reconnaître le « droit à l’erreur », de favoriser les régularisations et de « renforcer la sécurité juridique » en matière de fiscalité. Opérant une véritable réorientation du contrôle fiscal, la loi ESSOC vise en réalité à favoriser l’attractivité fiscale en faisant le pari de prioriser l’accompagnement sur le contrôle fiscal.

Le partenariat fiscal s’organise de la manière suivante : une fois la candidature de l’entreprise retenue, un protocole d’accord est signé entre l’entreprise et le Service Partenaire (logé à la Direction des grandes entreprises qui appartient à la Direction générale des finances publiques, la DGFiP) qui désigne alors un interlocuteur unique. Ce dernier sera par la suite le point de contact régulier et privilégié de l’entreprise pour la mise en œuvre du partenariat fiscal. Le protocole prévoit ainsi que la DGFiP délivre des réponses aux questions de l’entreprise dans certains délais, l’entreprise devant pour sa part livrer les informations nécessaires au traitement de ses demandes. Tout ceci est censé sécuriser l’entreprise mais aussi mieux informer l’administration fiscale et ainsi, prévenir la fraude.

Un partenariat sous conditions

Le partenariat fiscal s’adresse aux grandes entreprises et aux entreprises dites de « taille intermédiaire ». Les entreprises concernées doivent employer au moins 250 salariés, réaliser un chiffre d’affaires d’au moins 50 millions d’euros ou présenter un bilan au moins égal à 43 millions d’euros. Certaines entreprises de moins de 250 salariés, mais dont le total de chiffre d’affaires et de bilan dépasse ces dernières limites, sont également éligibles au dispositif, les PME pouvant pour leur part accéder à un autre dispositif, baptisé « accompagnement fiscal des PME ».

La taille de l’entreprise ne suffit toutefois pas pour bénéficier de ce fameux partenariat. Pour être éligibles au « partenariat », les entreprises doivent également être à jour de leurs obligations déclaratives et de paiement et ne doivent pas avoir fait l’objet de pénalités pour manquement intentionnel à la suite d’un contrôle fiscal au cours des trois dernières années. L’entreprise candidate doit normalement faire l’objet d’une enquête préalable de moralité avant toute entrée dans le dispositif. L’objectif affiché de l’administration fiscale est de prioriser les entreprises respectueuses du droit fiscal.

C’est bien sur ce point que le partenariat avec LVMH dérange, outre, plus largement, la philosophie générale qui a présidé à la loi « ESSOC »
. L’administration fiscale avait de fortes présomptions de fraude fiscale au sein du groupe LVMH. Preuve en est qu’en 2019, elle a engagé une procédure de contrôle, soupçonnant notamment une fraude via la centrale de trésorerie du groupe installée alors en Belgique et fort opportunément rapatriée en France par la suite.

Des soupçons de fraude qui entachent le « partenariat »

En septembre 2019, l’administration fiscale a mené une perquisition sur plusieurs sites du géant français du luxe, dont le siège de LVMH, avenue Montaigne à Paris, dans une affaire de potentielle fraude fiscale. Une centrale de trésorerie, LVMH Finance Belgique SA (LFB), était au cœur des investigations. Hélas, la cour d’appel avait invalidé en 2020 cette perquisition et ordonné la restitution des pièces saisies à LVMH sans possibilité pour l’administration fiscale d’en garder copie. Entre-temps, LVMH avait donc rapatrié sa centrale de trésorerie en France et sollicité un partenariat fiscal avec la DGFiP en 2022. Une manière de reconnaître que LVMH avait été pris les doigts dans le pot le confiture...

En février 2023, la Cour de cassation a cassé la décision de justice qui invalidait la perquisition de 2019. En théorie, il était donc redevenu possible pour la DGFiP de poursuivre ses investigations, même s’il faut reconnaître qu’elles n’auraient plus eu l’effet de surprise d’une perquisition. C’est d’ailleurs officiellement ce qui a conduit la DGFiP à accepter le partenariat.

Vu les antécédents, on peut légitimement se demander si le groupe LVMH présente toutes les garanties nécessaires en matière de « moralité fiscale » pour bénéficier d’un tel partenariat… Le groupe pourra certes arguer qu’aucune pénalité n’a été appliquée ni aucune fraude démontrée. Or, chacun sait désormais que cela n’est dû qu’au renoncement de la DGFiP de poursuivre les procédures de contrôle. L’argument ne trompera donc personne. Un constat s’impose : le partenariat fiscal, pour discutable qu’il soit dans ses principes fondateurs et son application (moins de 15 agents traitent environ 70 partenariats fiscaux), est entaché. Censé accompagner les entreprises au comportement fiscal vertueux, il s’applique désormais à un groupe suspecté d’avoir fraudé.

Pour Attac, qui a dénoncé la philosophie et les mesures de la loi « ESSOC » (dans son rapport de mars 2022 intitulé « Fraude fiscale, sociale, aux prestations sociales, ne pas se tromper de cible » par exemple), il est indispensable qu’un travail de fond qui serait rendu public soit mené sur l’application effective des dispositifs de cette loi, notamment sur le partenariat fiscal. Plus largement, c’est bien d’un renforcement dont les services engagés dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales ont besoin. On n’en est toujours pas là...