« 2 milliards » de baisse de prélèvement pour les classes moyennes ?
Emmanuel Macron a annoncé une « baisse d’impôt » de 2 milliards d’euros ciblée sur les personnes ayant un revenu compris entre 1.500 et 2.500 euros par mois, d’ici 2027. 10 à 12 millions de personnes seraient concernées, ce qui représenterait un gain moyen compris 166 euros et 200 euros : un pourboire à l’heure des superdividendes d’une minorité et de la baisse du pouvoir d’achat d’une large partie de la population… Si cette annonce floue, imprécise et manifestement précipitée ne répond nullement aux enjeux en matière de justice fiscale et sociale, elle mérite un décryptage global.
Une annonce « politique » faite dans un contexte d’injustices fiscales et sociales croissantes
En 2017, Emmanuel Macron a mis en œuvre des mesures fiscales ciblées sur les plus riches et les entreprises.
S’agissant des ménages, la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière et la création du prélèvement forfaitaire (un prélèvement à taux proportionnel sur les revenus financiers, qui échappent désormais au barème progressif de l’impôt sur le revenu) ont généré un coût budgétaire important (environ 5 milliards d’euros) synonyme de hausse de revenu pour les bénéficiaires de ses mesures, les 1 % voire les 0,1 % des personnes les plus riches.
Les entreprises ont pour leur part bénéficié de la baisse du taux nominal de l’impôt sur les sociétés (passé de 33,3 % en 2017 à 25 % en 2022), de deux baisses de 10 milliards d’euros chacune de certains impôts locaux (la cotisation foncière des entreprises et la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE) puis de la suppression de la part restant de la CVAE (pour 7,5 à 8 milliards d’euros).
Le pouvoir peut certes arguer qu’il a supprimé la taxe d’habitation (TH) au bénéfice des ménages, mais outre que les plus pauvres (15,5 % des foyers fiscaux) auparavant exonérés de TH n’en ont pas bénéficié, la moitié de cette baisse a profité aux 20 % les plus aisés.
Cette politique ne s’est par ailleurs pas traduite par une relance de l’investissement et de l’activité économique. Elle a contribué à nourrir les inégalités et le sentiment d’injustice fiscale et sociale, tandis que le manque à gagner qu’elle a généré appauvrit les services publics. Par ailleurs, les mesures visant à restreindre les droits en matière d’assurance chômage et la réforme des retraites, toutes les deux imposées pour réduire les dépenses sociales, constituent des attaques brutales contre le système de protection sociale.
Sur le fond des mesures comme sur la forme (le style de gouvernement), le pouvoir est confronté à une opposition très large de la population, qui souhaite davantage de justice fiscale et sociale. La baisse de « 2 milliards d’euros », comme celle de l’impôt sur le revenu précipitamment décidée face au mouvement des Gilets jaunes, est censée calmer le jeu. Son caractère politique et opportuniste ne peut donc échapper à personne. Plus profondément, le pouvoir tente ainsi de faire diversion pour éviter tout débat qui remettrait en cause son orientation et les mesures qu’il a mises en œuvre.
Face aux déficits et à la dette publique, il n’y aurait pas de marge de manœuvre
Le pouvoir s’est sciemment enfermé pour tenter d’imposer ses vues néolibérales dans une spirale infernale d’injustice et d’inégalités.
Il maintient des baisses d’impôt injustes et inefficaces, refuse de taxer réellement les superprofits et les superdividendes et ne remet pas en cause les nombreuses « niches », fiscales et sociales (pour un coût global de près de 200 milliards d’euros) dont l’efficacité n’est pas démontrée.
Se privant de nouvelles recettes, il a en outre décidé d‘une « trajectoire budgétaire » de la France, orientée vers une baisse des déficits publics visant un objectif de 2,7 % du produit intérieur brut (PIB) en 2027.
Il tente vainement de valider cette « trajectoire » avec une prévision d’inflation inférieure à ce que prévoient les différents organismes (Commission européenne, OCDE, FMI) et un taux de croissance supérieur aux prévisions des mêmes organismes.
Il martèle en conséquence qu’il n’y a pas d’alternative : seules des « réformes » visant à réduire la place et le rôle des services publics et de la protection sociale pourrait permettre d’atteindre les objectifs qu’il a lui-même fixés.
Une vraie fausse baisse de 2 milliards d’euros ?
Emmanuel Macron a ciblé les personnes ayant un revenu de 1500 à 2500 euros pour une personne seule. S’il a parlé de « baisse d’impôt », la mesure n’est toutefois pas définie.
En déclarant qu’il voulait privilégier les revenus du travail, on pourrait assister à une nouvelle baisse des cotisations sociales, jusqu’à 2500 euros de revenus. Cette baisse concernerait les cotisations salariales, afin de relever le salaire net versé, ce qui rendrait l’opération plus immédiate et plus visible. Mais cela générerait un manque à gagner de 2 milliards d’euros pour les caisses de sécurité sociale et conduirait le gouvernement à justifier de nouvelles « réformes » au nom de la réduction des déficits. Une petite hausse de salaire net pour une réduction des droits sociaux, le tour de passe-passe est grossier.
Une baisse de l’impôt sur le revenu ne serait pas adaptée. Un couple au sein duquel chaque personne perçoit 2.000 euros (soit 48.000 euros par an) doit bénéficier de la mesure. Mais, fiscalement, l’impôt sur le revenu est calculé au stade du foyer fiscal, sans distinction des revenus de chacun.e. De ce fait, un couple composé d’une personne percevant 48.000 euros par an (soit 4.000 euros par mois, soit hors du champ de la mesure), en couple avec une personne sans activité (0 euro de revenu) pourrait bénéficier de la mesure. En clair, le quotient familial et conjugal pourrait avoir des effets pervers. Par ailleurs, des personnes actuellement non imposables mais entrant potentiellement dans le champ de la mesure pourraient en être exclues !
Reste la prime d’activité dont le plafond actuel de 1900 euros de revenus pourrait être relevé. Mais cette mesure présenterait des inconvénients majeurs : le versement est tardif donc moins visible, et le taux de non recours est élevé. Là aussi, il y aurait des personnes exclues du bénéfice de la mesure.
Une conclusion s’impose : la baisse promise est faible, aucun dispositif n’est réellement adapté en raison des effets pervers possibles. La priorité devrait être ailleurs : la revalorisation des salaires, la préservation et le renforcement des services publics et de la protection sociale et, enfin, des mesures en faveur de la justice fiscale. Celles-ci passent (entre autres) par une réforme revenant sur les mesures d’Emmanuel Macron. C’est donc bien la politique de ce dernier qu’il faut remettre profondément en cause.