Accord historiquement insuffisant sur l’impôt mondial
L’accord sur la fiscalité mondiale approuvé par 136 pays formalisé dans leur déclaration du 8 octobre a été présenté comme « historique ». Pour Bruno Le Maire, c’est même « une révolution fiscale » qui permettrait de faire enfin en sorte que les multinationales, notamment les fameux GAFAM, « paient leur juste part d’impôt ».
La communication officielle a ses raisons que la raison ignore. Car un regard un plus objectif sur le contenu de l’accord amène à une autre conclusion. Ainsi qu’Attac le craignait(communiqué du 5 juin 2021), c’est le terme d’occasion manquée qui est « historique ». Dans une période de crise globale et de politiques fiscales régressives (dans la plupart des pays, les impôts directs, notamment progressifs, auront rarement été aussi affaiblis depuis la seconde guerre mondiale), marquée par des besoins sociaux et écologiques immenses, la faiblesse des revenus supplémentaires espérés (tels qu’ils sont officiellement estimés) et l’absence de précisions sur la portée réelle de cet accord devraient inviter les responsables politiques à la prudence dans leurs déclarations.
Rappelons que l’accord porte sur deux piliers.
Le premier ne concernera qu’une centaine de multinationales et une faible partie de leurs bénéfices (25%), lesquels seront répartis dans les pays de marchés, essentiellement les pays développés. Les pays en développement sont de facto mis à l’écart de ce pilier. En contrepartie de ce pilier, les pays qui disposent d’une « taxe sur les services numériques » devront l’abandonner. Les recettes à espérer ici sont faibles dans les pays développés, quasi-inexistantes dans les pays en développement. Certains pourraient même en perdre en abandonnant leur taxe sur les services numériques.
Le second pilier porte sur l’instauration d’un taux de 15 %. Avec un recul symbolique par rapport au projet présenté voici quelques mois : il ne s’agit plus désormais d’un taux de « au moins 15 % », donc pouvant évoluer à la hausse. Désormais, on parle d’un taux de 15 % « fixe » en quelque sorte.
De fait, ce taux constitue désormais la référence mondiale en matière d’imposition des sociétés. Les multinationales qui y seront assujetties seront officiellement moins imposées que l’immense majorité des entreprises, et notamment les PME, puisque, au plan mondial, le taux moyen d’imposition se situe à 22%. Les multinationales paieront donc d’une certaine manière leur « injuste part d’impôt » contrairement à ce qu’affirme Bruno Le Maire. Ce taux pourra être utilisé comme une norme, autrement dit un objectif de politiques fiscales qui, depuis plus de 30 ans, n’ont eu de cesse de baisser les impôts dus par les entreprises. De ce point de vue, cela risque donc de devenir un taux plafond pour les multinationales et un taux référence pour des gouvernements qui, au nom de l’équité, proposeront à l’avenir de baisser leur taux nominal à 15 %.
Seules les multinationales réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros y seront assujetties. Les déductions du bénéfice imposable ne baisseront que progressivement [1]. Les exceptions ont de quoi interroger. Les industries minières, le transport maritime, les services financiers réglementés et les fonds de pension n’y seront ainsi pas assujettis.
Il reste surtout à voir comment ces dispositions seront traduites dans les législations. Car il reste certains points à clarifier : les revenus de la propriété intellectuelle notamment, qui bénéficient aujourd’hui dans la plupart des États de régimes préférentiels, c’est-à-dire de taux réduits, voire nuls. Le diable étant dans les détails, les conditions précises de cette disposition, sa portée réelle, son assiette et son contrôle sont des points essentiels encore très mal connus et évalués. Or selon les dispositions techniques, l’évitement et le contournement de cet impôt mondial pourtant déjà au rabais seront plus ou moins faciles à mettre en œuvre.
Cet accord est une occasion historique manquée. Il officialise une imposition des sociétés à deux vitesses, il fixe un taux très faible qui deviendra un objectif des gouvernements, il lèse les pays en développement sans être très rentable pour les autres, il n’est donc clairement pas à la hauteur des enjeux. La concurrence fiscale a malheureusement de beaux jours devant elle. Tout ça pour ça en résumé...