Baisser les impôts de production, pourquoi, pour qui ?
En matière d’imposition des entreprises, l’actualité est marquée par le débat sur les impôts locaux (et sociaux) des entreprises, dénommés « impôts de production ». Ces impôts sont qualifiés ainsi puisque, en résumé, leur assiette est constituée d’autres éléments que le bénéfice, celui-ci étant imposé à l’impôt sur les sociétés ou, pour les petites entreprises (commerçants par exemple), à l’impôt sur le revenu. L’un des arguments avancés est que ces impôts pénaliseraient les entreprises car ils ne tiendraient pas réellement compte de leur situation, autrement dit de leurs « facultés contributives ». Les baisser serait donc nécessaire et aiderait notamment les PME. L’affaire est cependant plus complexe que cela.
Qui perçoit les « impôts de production » ?
Les impôts dits « de production » dégageaient un rendement de près de 121 milliards d’euros en 2020. On y trouve notamment la cotisation foncière des entreprises, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la contribution sociale de solidarité des sociétés, la taxe foncière, la taxe sur les salaires, etc.
Pour évoquer les impôts dits « de production » des sociétés « proprement dites », il faut donc retirer les impôts payés par les ménages, comme la taxe foncière (36 milliards d’euros). La taxe sur les salaires étant pour sa part payée par les entités non assujetties à la TVA (les hôpitaux publics notamment), les impôts de production payés par les sociétés représentaient un rendement de 85 milliards d’euros en 2020.
La plupart de ces impôts sont affectés aux collectivités locales. Il en va ainsi de la cotisation foncière des entreprises (8,2 milliards d’euros en 2020) et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (19,5 milliards d’euros en 2020). Mais d’autres prélèvements sont affectés à des régimes de sécurité sociale, comme la taxe sur les salaires (14,5 milliards d’euros en 2020) et la contribution sociale de solidarité des sociétés (qui, avec 4,1 milliards d’euros en 2020, participe au financement de l’assurance vieillesse). La taxe au profit du fonds national d’aide au logement (3 milliards d’euros) est pour sa part affectée à l’État.
De manière générale, les collectivités locales et la Sécurité sociale sont donc les principales potentielles perdantes d’une baisse des impôts de production. La baisse de 20 milliards d’euros décidée par le gouvernement ne concerne que les finances locales, même si l’État s’est engagé à compenser cette perte. Pour autant, rien ne garantit que cette compensation soit pérenne. S’agissant des collectivités locales, elles perdent en outre une part de leur faible marge de manœuvre fiscale et voient leurs finances dépendre de l’État et de ses choix futurs. Cette dépendance est par ailleurs accentuée avec la suppression progressive de la taxe d’habitation.
Des impôts déconnectés de l’activité qu’il faudrait baisser au bénéfice de toutes les entreprises ?
C’est le principal argument des partisans d’une baisse de ces impôts : ils pénaliseraient les entreprises car ils ne tiendraient pas compte de leur performance. Cet argument doit être pour le moins fortement nuancé. La répartition des « impôts de production » tient assez largement compte de la taille, du chiffre d’affaires, des biens et de la performance des entreprises. C’est ce qui explique que la baisse de 20 milliards d’euros décidée par le gouvernement ne bénéficie pas de la même manière à toutes les entreprises.
En matière de cotisation foncière des entreprises (CFE) par exemple, il existe des dispositions qui exonèrent les petites entreprises. Celles dont le chiffre d’affaires n’excède pas 5000 euros en sont dispensées. Certains secteurs en sont également exonérés (taxis, artistes, certaines entreprises libérales sous condition, libraires indépendants, diffuseurs de presse, ports maritimes, etc). Il existe par ailleurs des exonérations temporaires, sous conditions, pour des entreprises nouvelles par exemple. Au-delà, l’assiette de la CFE a été établie récemment et repose sur la valeur locative foncière des biens affectés à l’activité de l’entreprise, que celle-ci soit propriétaire ou locataire des biens concernés. Autrement dit, elle tient compte de la capacité de l’entreprise à utiliser ces biens pour son activité
De son côté, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) est calculée selon un barème progressif comportant 5 tranches dont les seuils sont déterminés par le chiffre d’affaires. Ceci permet donc de ne pas imposer les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 500.000 euros et d’imposer progressivement les autres, jusqu’à un taux de 0,75 % pour les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 50 millions d’euros. Si le barème est déterminé selon le chiffre d’affaires des entreprises, le calcul consiste à appliquer le taux de la tranche du barème concerné à la valeur ajoutée (soit le chiffre d’affaires diminué de certains coûts de production). Il existe par ailleurs des exonérations permanentes ou temporaires. La valeur ajoutée est un solde intermédiaire de gestion qui représente la performance économique de l’entreprise, la CVAE tient donc compte de la performance économique des entreprises
Précisons ici que ces deux impôts locaux des entreprises ont remplacé l’ancienne taxe professionnelle (TP) en 2010. Décidée alors par Nicolas Sarkozy, la suppression de la TP et son remplacement par la contribution économique territoriale (CET), dont la CFE et la CVAE sont les deux principales composantes, avait alors déjà provoqué des pertes de recette estimées à 7,3 milliards d’euros en 2010 et à 4,7 milliards d’euros nets en régime de croisière.
Au final, la baisse de 20 milliards d’euros ne bénéficie pas aux TPE et très peu au PME qui paient un faible montant de CVAE. Mécaniquement, cette baisse bénéficie donc davantage aux grandes entreprises et plus spécifiquement au secteur de la finance. Ainsi, sur les 570.000 entreprises qui bénéficieront d’un gain de CVAE, la moitié d’entre elles ne toucheront que 125 euros. Les grandes entreprises bénéficient ainsi de 26 % de la baisse de 20 milliards d’euros et les entreprises de taille intermédiaires de 42 %. Un impact que le gouvernement n’a pas vanté alors qu’il a transformé le crédit d’impôt compétitivité emploi en allègement de cotisation, qu’il a maintenu envers et contre tous les travaux le crédit d’impôt recherche et qu’il a baissé le taux de l’impôt sur les sociétés à 25 %.
Cela n’empêche ni certain.es candidat.es à l’élection présidentielle, ni le ministre de l’Économie Bruno Le Maire de réclamer une baisse supplémentaire de ces impôts, au détriment des collectivités locales et des caisses de Sécurité sociale et plus largement de la justice fiscale.