Bilan de la lutte contre la fraude aux recettes publiques, un record, vraiment ?

, par Équipe de l’Observatoire

La ministre chargée des comptes publics, Amélie de Montchalin, et la ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, Catherine Vautrin, ont présenté ce vendredi 14 mars un bilan chiffré de l’action des différents services de lutte contre la fraude aux recettes et aux dépenses publiques. Ce bilan porte sur la fraude fiscale, la fraude aux cotisations sociales, la fraude douanière et la fraude aux aides publiques. S’il reste à analyser ces résultats plus en détail lorsque les données précises seront connues, plusieurs enseignements peuvent en être tirés.

La fraude fiscale, incomparablement plus élevée que la fraude sociale

Alors qu’Amélie de Montchalin vante des montants records, le montant de la fraude fiscale détectée est loin d’atteindre un montant record historique (pour mémoire, plus de 21 milliards d’euros avaient été détectés en 2015). Certes, les résultats de l’année 2024 s’annoncent supérieurs à ceux des années précédentes avec 16,67 milliards d’euros de fraude détectée et 11,44 milliards d’euros de montants encaissés contre respectivement 15,1 et 10,59 milliards d’euros en 2023. Le gouvernement annonce par ailleurs qu’en matière de lutte contre la fraude sociale, 2,9 milliards d’euros de fraude aux cotisations sociales ont été détectés.

Comment analyser ces résultats ?
Ces montants confirment l’ampleur de la fraude fiscale, estimée entre 80 et 100 milliards d’euros. Ils donnent tort aux voix qui en minimisent l’importance et affirment que la fraude sociale (la fraude aux cotisations sociales est estimée entre 6 et 8 milliards d’euros, voire entre 10 et 20 milliards d’euros selon les travaux), notamment celle aux prestations sociales (estimée entre 2 et 3 milliards d’euros), est plus élevée.
Sur le niveau des résultats proprement dits, il est assez évident que l’année 2024, bien que meilleure que l’année 2023, est loin d’être un record. Certes, les résultats des années 2024 à 2017 ont été boostés par le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR, qui traitait les déclarations de régularisation sur les comptes ouverts à l’étranger). Il n’en demeure pas moins que le STDR faisait partie d’une stratégie du contrôle fiscal et qu’il a participé des résultats de cette période. Surtout, ainsi que cela a démontré dans un rapport « Attac-Solidaires » sur la fraude [[Rapport Attac-Union syndicale Solidaires, « Fraude fiscale, sociale, aux prestations sociales, ne pas se tromper de cible ! », mars 2022., les suppressions d’emplois dans les services de contrôle pèsent sur les résultats du contrôle fiscal.

Malgré une baisse de leurs moyens, les services engagés dans la lutte contre la fraude doivent être salués

On imagine ce que les résultats du contrôle fiscal auraient pu être si le niveau des emplois des services engagés dans la lutte contre la fraude fiscale avaient été maintenus. La DGFiP connaît en effet chaque année des vagues de suppressions d’emplois qui fragilisent ses missions, parmi lesquelles la détection de la fraude et le contrôle fiscal. Les pouvoirs publics préfèrent tabler sur l’intelligence artificielle (IA). Si un traitement rapide des données est évidemment utile, il reste que, d’année en année, les résultats des contrôles dont l’IA est à l’origine sont décevants. L’IA est en effet à l’origine de plus de la moitié des contrôles fiscaux, mais ceux-ci représentent moins de 14 % des résultats financiers.

De la même manière, le discours gouvernemental consistant, depuis l’annonce du plan « Attal » en 2023, à vanter le renforcement des services de contrôle en emplois est trompeur. Si certains services de contrôle sont effectivement renforcés, il ne s’agit en réalité que d’un redéploiement interne à la DGFiP. Concrètement, certains services perdent des emplois, ceux-ci étant « transférés » vers d’autres même si, au plan national, la DGFiP continue de perdre des emplois. Il reste donc beaucoup à faire en matière de renforcement de l’ensemble des moyens pour combattre la fraude fiscale.

Combattre l’évitement fiscal sous toutes ses formes doit être une priorité

Comme toutes les fraudes économiques et financières, l’évitement fiscal prend plusieurs formes, il évolue sans cesse, se sophistique et se complexifie.

Analyser l’évitement fiscal et son évolution implique d’examiner les différentes possibilités, légales ou non, de réduire l’impôt dû. Au sens large du terme, l’évitement fiscal consiste à utiliser toutes les possibilités offertes tant par les législations fiscales nationales que par les conventions fiscales internationales. Il les contourne également dans des schémas complexes. Il tient compte de l’évolution de l’économie (numérique, propriété intellectuelle, etc) et des possibilités qu’elles offrent, notamment en raison de règles fiscales souvent dépassées, dans ses stratégies.

En la matière, les orientations d’Attac consistent principalement à :
réformer la législation fiscale pour la rendre plus juste et moins « contournable » : une « revue des niches fiscales », par exemple, doit permettre d’en réduire le coût budgétaire et le nombre en supprimant celles qui sont injustes, inefficaces ou anti-écologiques, et, par la même occasion, de réduire la fraude à ces dispositifs. De la même manière, une « taxation unitaire » permettrait de neutraliser l’évasion fiscale de multinationales,
renforcer les moyens du contrôle fiscal : créer des emplois dans l’ensemble des services de gestion, de recherche, de contrôle et de recouvrement de la DGFiP, des douanes et des services spécialisés, améliorer les moyens juridiques avec le renforcement à l’accès aux informations et l’extension de la liste des territoires coopératifs par exemple, renforcer les moyens matériels, etc.
améliorer la coopération internationale, avec la création d’un cadastre financier par exemple.