Bilan redistributif : une « com » gouvernementale trompeuse
Le gouvernement vante le bilan redistributif du quinquennat. Il est vrai qu’on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même. Il fait notamment état d’un calcul de la DG Trésor (un service des ministères économiques et financiers) qui évalue le gain en niveau de vie à 4 % pour les 10 % les plus pauvres et à 2 % pour les 10 % les plus riches dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances 2022 (précisons ici que le niveau de vie n’est pas le revenu au sens du salaire par exemple). [1]
Pour son calcul, la DG Trésor a tenu compte de l’ensemble des mesures fiscales et sociales du quinquennat. Le périmètre est donc beaucoup plus large que la seule fiscalité puisqu’il intègre par exemple la revalorisation du chèque énergie et de la prime d’activité. Le calcul n’intègre cependant pas tout puisqu’il n’a pas anticipé la suppression totale de la taxe d’habitation dont bénéficieront également les plus riches en 2023. Enfin, et surtout, il établit des gains moyens par décile de revenu - autrement dit, en découpant la population en 10. Une étude plus fine par centile, autrement dit en découpant la population en 100, eut été plus parlante. En effet, au sein des 10 % les plus riches, les écarts de revenus sont immenses, et ceux des gains liés aux réformes fiscales également…
Revenons un moment sur les calculs de la DG Trésor, qu’on ne soupçonnera pas ici d’être faux. Selon l’INSEE (Niveau de vie moyen par décile, données annuelles de 1996 à 2018), le niveau de vie moyen du premier décile (les 10 % les plus pauvres) était de 8.580 euros en 2018 alors qu’au-delà du 9ème décile, il était de 61.900 euros. Par conséquent, les revalorisations respectives de 4 % et de 2 % donnent une hausse de 343,2 euros pour le premier décile et de 1.238 euros minimum au-delà du 9ème (soit 3,6 fois plus en valeur absolue).
Il manque à cette étude une analyse plus fine des gains enregistrés par le 1 % les plus riches, c’est-à-dire par les grands gagnants du quinquennat qui, depuis 2018, ont bénéficié de la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI), de la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU). Tout cela étant dopé par la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés et la forte hausse de la distribution de dividendes. Car au-delà de la hausse liée aux mesures fiscales et sociales du gouvernement, l’évolution des revenus (d’activité et financiers) n’a pas été la même pour tout le monde, loin s’en faut.
Selon le rapport de la Commission des finances du Sénat sur l’évaluation de l’ISF en IFI et de la création du PFU d’octobre 2019, les gains sont spectaculaires pour une minorité de contribuables très riches. Le gain pour les 100 premiers contribuables à l’ISF 2017 s’élève ainsi à 1,2 million d’euros en moyenne. Le Sénat se montre tout aussi clair que le Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital pour lequel« 72 % du coût de la réforme - et donc du gain pour les ménages - est réalisé au bénéfice des 10 % des ménages dont le revenu fiscal de référence est le plus élevé, soit supérieur à 130 414 euros en 2015. En réalité, le gain est encore plus concentré sur les très hauts revenus, puisque 43 % du coût pour les finances publiques bénéficie au 1 % des ménages dont le revenu fiscal de référence est le plus élevé » (Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital de France stratégie, Premier rapport, octobre 2019). De quoi relativiser et nuancer l’approche en pourcentage dont le gouvernement enorgueillit, et surtout rappeler que les mesures destinées aux ménages les plus aisés coûtent beaucoup plus cher que celles qui sont destinées aux ménages les plus pauvres.
Rafraîchissons également la mémoire du gouvernement en lui rappelant les raisons profondes qui ont obligé le gouvernement à procéder à quelques ajustements qu’il a abusivement vantés par la suite. Sans le mouvement des « Gilets jaunes », il n’y aurait pas eu de revalorisation de la prime d’activité par exemple. Et le gouvernement ne communiquerait donc pas tant dans la période… Et plus fondamentalement, cette « hausse » du niveau de vie des plus modestes procède de la baisse de certains prélèvements (notamment la taxe d’habitation) et de la hausse de certaines prestations (pas forcément pérennes) et non de la hausse des revenus. Tandis que celle des plus riches provient tout à la fois de la hausse de leurs revenus (notamment des dividendes) mais aussi de baisses d’impôt plus ou moins ciblées (l’ISF, le PFU mais aussi la taxe d’habitation).
Rappelons pour conclure les données de l’INSEE sur les inégalités de niveau de vie. En 2018, en France métropolitaine, le niveau de vie médian n’est que de 1 771 euros par mois. Le niveau de vie dit « plafond » des 10 % les plus modestes (11.190 euros annuels) reste inférieur à celui de 2008, du fait de la hausse du nombre de chômeur.ses chez les plus modestes, qui connaissent une baisse du revenu avant redistribution. À l’inverse, selon l’INSEE, les revenus avant redistribution des plus aisés ont augmenté et au bout du compte, les inégalités avant redistribution ont fortement augmenté depuis 10 ans. Enfin, le taux de pauvreté atteignait 14,8 % en 2018, un niveau rarement atteint, ce qui représente 9,3 millions de personnes. Ces données datent d’avant la crise liée à la pandémie.
On peut donc triturer les chiffres mais les faits sont têtus : l’évolution des inégalités était déjà préoccupante avant la crise, elles ont été favorisées par les mesures fiscales d’Emmanuel Macron.