De la légitimité et de la nécessité d’imposer les plus riches…

, par Équipe de l’Observatoire

Dans son rapport intitulé « La loi du plus riche »*, l’ONG OXFAM propose de mettre les très riches à contribution. Selon OXFAM, « seulement 2% de la fortune des milliardaires français suffirait à financer le déficit attendu des retraites ». Si des organisations comme ATTAC l’ont publiquement soutenue, cette proposition a immédiatement été commentée et critiquée par les tenants des politiques néolibérales. Celles-ci consistent à alléger l’imposition des plus riches et des multinationales au motif qu’il faut baisser les prélèvements obligatoires et favoriser l’investissement et l’emploi, autrement dit le fameux ruissellement qui, selon l’avis de Joe Biden lui-même,« n’a jamais fonctionné » (discours devant le Congrès d’avril 2021). Il est donc important de passer leurs arguments et les enjeux en revue.

Imposer les plus riches est légitime

Quoiqu’en pensent nos détracteurs, imposer les plus riches est légitime pour plusieurs raisons dont les avantages se cumulent.
- Tout d’abord, il faut financer les besoins sociaux et environnementaux. Pour ce faire, il faut faire en sorte que ce financement soit utile à l’ensemble de la population et donc privilégier un financement par la contribution commune, autrement dit par l’impôt. Dans ce cas, il faut se rendre à l’évidence. Compte tenu de la répartition des richesses (de plus en plus inégale) et de la fiscalité (le système fiscal est de plus en plus injuste), la seule « base fiscale » qui permette de garantir un financement à la hauteur est l’immense richesse concentrée sur les agents économiques les plus riches, c’est-à-dire le 1 % les plus riches et les multinationales.
- Cela permet également de réduire les inégalités, qui ont une fâcheuse tendance à se développer dans le monde, y compris en France, sous l’impact notamment des mesures fiscales votées en 2017 et donc le bilan est calamiteux. Les rapports successifs de France stratégie l’ont démontré : la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière et la création du prélèvement forfaitaire unique (la flat-tax sur les revenus financiers) ont été des mesures coûteuses sur le plan budgétaire, inefficaces sur l’investissement et au bénéfice très concentré sur les plus riches.
- Imposer les plus riches permet de limiter, voire de réduire, l’impact nocif de la spéculation. En effet, les faire davantage contribuer permet de faire échapper des montants importants qui, actuellement, nourrissent non pas l’investissement, mais le jeu spéculatif.
Cela permet enfin de redonner du sens à la politique fiscale et de stopper une tendance préoccupante : l’affaiblissement du consentement à l’impôt.

Les plus riches vont-ils fuir, appauvrissant l’économie française ?

C’est l’un des grands classiques : imposer les plus riches les feraient fuir, ce qui nuirait à l’économie, donc à l’emploi. Cet argument s’inscrit dans la droite ligne de la pensée selon laquelle il faut baisser les prélèvements obligatoires pour créer des richesses. Il omet le fait que la hausse du taux de prélèvements obligatoires rapportés au produit intérieur brut a accompagné et favorisé le développement économique et les droits sociaux. En réalité, les pays qui présentent le plus faible taux de prélèvements obligatoires sont aussi les plus pauvres.

Poussons l’argumentation plus loin, sur la base de données de l’administration fiscale elle-même communiquées au Parlement en 2017. Lorsque l’ISF était en vigueur, chaque année, 0,2 % du nombre de redevables de l’ISF partaient à l’étranger. Une proportion marginale qui est restée constante de la fin des années 1990 à 2017. Parmi ceux qui partaient, certains revenaient (entre 25 et 40 % des départs selon les années). On dénombrait même des fraudeurs, c’est-à-dire des personnes qui déclaraient résider à l’étranger mais qui continuaient en réalité à résider en France Chaque année en effet, l’administration fiscale en identifiait entre 100 et 200… Le « solde net » est donc très faible.

Il y a mieux. Les redevables de l’ISF, notamment les plus riches d’entre eux, disposaient de placements financiers et immobiliers tant en France qu’à l’étranger. Lorsqu’ils partaient à l’étranger, ils conservaient leurs placements… La perte se résumait alors au montant de l’ISF que ces redevables ne payaient plus puisqu’ils étaient à l’étranger, ce qui représentait 0,6 % du rendement global de l’ISF. L’argument de l’exil fiscal est donc avant tout une dramatisation censée faire peur.

Une taxe sur les riches imposerait le patrimoine professionnel ?

Cet argument, disons-le, est plus subtil et complexe. Car effectivement, si l’on impose l’ensemble du patrimoine des plus riches, on peut imposer un patrimoine professionnel. Encore faut-il savoir le définir précisément. Car dans la vision néolibérale extensive, détenir des actions est considéré comme un patrimoine professionnel si l’on est simplement membre du conseil d’administration de la société concernée.

Parlons plutôt chiffres : début 2021, les 1 % des ménages les mieux dotés en patrimoine brut, dits « ménages à haut patrimoine », détiennent 15 % du patrimoine total des ménages (lequel s’élevait en 2019 à 12.423 milliards d’euros), ils possédaient en 2021 plus de 2,239 millions d’euros par ménage, et 2,072 millions de patrimoine net déduction faite des dettes. Pour mémoire, le patrimoine net moyen des ménages s’élevait alors à 274.000 euros et la moitié des ménages possédait moins de 124.800 euros de patrimoine net (moins de 3.000 euros pour les 10 % les plus pauvres).

Or, le patrimoine professionnel représente 34 % du patrimoine global (source : INSEE Focus n° 287, 25 janvier 2023). Ainsi, les 1 % des personnes les plus riches détiennent près de 1.900 milliards d’euros de patrimoine global, soit 1.230 milliards d’euros de patrimoine personnel – en soustrayant les 34 % au titre du patrimoine professionnel.

Certes, on peut par ailleurs pratiquer un abattement sur la résidence principale, ce qui réduirait la base imposable individuelle. Mais celle-ci pourrait également être plus importante si la lutte contre l’évasion fiscale était plus efficace. Rappelons ici que Gabriel Zucman estime le montant des avoirs détenus par les ménages dans les zones off-shore et non déclarés à plus de 6 % de leur patrimoine, de quoi « élargir la base imposable ».

Une taxe sur les plus riches, c’est combien ?

Tout cela indique qu’avec un taux moyen d’imposition de 1 % appliqué aux 1 % les plus riches, on peut dégager aisément 10 à 12 milliards d’euros, soit 8 à 10 milliards par an de plus que l’actuel impôt sur la fortune immobilière. C’est le sens d’un « ISF intelligent » tel qu’Attac le défend. Les 1 % les plus riches ne sont pas tous milliardaires, sur lesquels s’est concentrée OXFAM : compte tenu des inégalités qui existent au sein des 1 % les plus riches, une taxe de 2 % qui épargnerait une partie des 1 % les plus riches et se concentrerait sur les milliardaires serait également rentable.

Des solutions permettant d’imposer davantage les plus riches existent. De quoi dégager des recettes publiques substantielles, même si la justice fiscale passe non seulement par l’instauration d’un tel impôt de manière isolée, mais aussi par une réforme fiscale plus globale qui passe par une revue des niches fiscales et sociales, un renforcement de la progressivité et une lutte résolue contre l’évasion fiscale

* Rapport d’ Oxfam :"La loi du plus riche"