Débat fiscal pour les élections de 2022 : il va y avoir du sport !
La campagne électorale de 2022 s’est engagée sous de biens mauvais auspices lors de la rentrée politique de septembre 2021. Les premières promesses électorales (révoltantes ou extravagantes, c’est selon) concernant la fiscalité sont tombées. À n’en pas douter, d’autres suivront : on peut souhaiter qu’elles soient plus intéressantes…
L’impôt sur le revenu progressif et les droits de succession et de donation visés
Eric Ciotti, candidat à la primaire de LR, et Marine Le Pen, qu’on ne présente plus, ont tiré les premiers. En jouant sur le même terrain… Eric Ciotti veut remplacer l’impôt sur le revenu progressif par une « flat tax », soit un impôt proportionnel sur les revenus. Il veut aussi alléger les droits de succession et de donation. Une proposition partagée avec Marine Le Pen. Tous deux voulant baisser la « pression fiscale », mais sans rien dire des conséquences de leurs propositions, bien entendu...
Nous avons donc deux candidats des riches et des super-riches de plus ! Rappelons en effet que, si l’impôt sur le revenu est loin d’être parfait (du fait notamment des niches fiscales et de la flat tax, prélèvement forfaitaire unique), remplacer son barème progressif par un taux proportionnel constituerait une régression qui n’a aucun précédent depuis la création de l’impôt sur le revenu (voté en 1914 pour être appliqué en 1916). Quant à la suppression ou à la forte baisse des droits de donation et de succession (créé en 1791 au taux de 1 %, légèrement revalorisé en 1901 pour l’être davantage en 1920), elle nous renverrait elle aussi plus d’un siècle en arrière.
Deux propositions dignes du 19ème siècle
Ces deux propositions, si elles étaient par malheur mises en œuvre, profiteraient aux hauts revenus et aux patrimoines suffisamment importants pour être imposés, soit à une minorité aisée : les riches en sortiraient grands gagnants. Les inégalités de revenus et de patrimoines, qui augmentent déjà, connaîtraient une hausse sans précédent. On assisterait alors à une concentration de la richesse inédite qui se rapprocherait de ce qui existait au 19ème siècle et au début du 20ème siècle, soit avant la création de l’impôt sur le revenu et des droits de donation et de succession. Une contre-révolution conservatrice en somme, et tout cela au nom de la modernité et des classes moyennes (on est prié de ne pas rire).
Car les classes moyennes comme les plus pauvres ne connaîtraient aucune baisse d’impôt, voire même subiraient une hausse en matière d’impôt sur le revenu. Comment cela s’explique-t-il ? Rappelons que plus de la moitié des contribuables ne paient pas l’impôt sur le revenu, essentiellement du fait de revenus trop faibles… Par ailleurs, le taux réel d’imposition moyen des revenus de l’ensemble des contribuables imposés est inférieur à 10 %. Il ne faut pas être un grand mathématicien pour prévoir d’une part, que les plus riches verraient leur impôt chuter fortement et d’autre part, qu’une large majorité n’économiserait rien, voire serait pénalisée par l’application d’un taux proportionnel potentiellement plus élevé que celui qu’il connaît actuellement (un pauvre et un riche aurait alors le même taux d’imposition des revenus) ce qui ferait baisser leur revenu disponible ! Il est peu probable que dans l’esprit d’Eric Ciotti, la flat tax épargne les contribuables aujourd’hui non imposables et que son taux soit inférieur à 10 %… Certes, la pression fiscale devait baisser de manière globale mais cette baisse serait réservée aux plus riches.
Deux propositions anti-sociales en plus d’être fiscalement injustes
En outre, la population, et singulièrement les pauvres et les « classes moyennes », subiraient dans des proportions incomparables avec la période actuelle la paupérisation de l’action publique et le recul de la protection sociale. Car baisser globalement les prélèvements en ciblant les plus riches reviendrait nécessairement à amputer ce qui est encore aujourd’hui pris en charge dans l’intérêt général au bénéfice de toutes et tous. Et ce d’autant plus que, actuellement, la baisse des inégalités ne se fait en effet que par la redistribution sociale puisque le système de prélèvement n’est pas redistributif. Le rendre fortement régressif et affaiblir la redistribution sociale aurait des effets dévastateurs. Rappelons ainsi que, actuellement, selon l’INSEE :« les prélèvements sont légèrement anti‑redistributifs du fait des taxes sur les produits et des cotisations qui font plus que compenser la progressivité des impôts sur les revenus et le patrimoine ». Au final, « le taux de prélèvement total diminue dans le haut de la distribution des niveaux de vie » (voir la note d’Attac du 3 juin 2021 intitulé : « Inégalités et injustices sociales : l’alerte de l’INSEE »). On imagine les dégâts d’une flat-tax et d’une suppression ou d’une forte baisse des droits de succession et de donation : il s’agirait d’une véritable redistribution « à l’envers ».
Tout cela dans un monde taillé sur mesure pour les riches : payant moins d’impôt, ceux-ci pourraient augmenter le volume de leurs placements financiers et les revenus qui vont avec, ce qui nourrirait leur patrimoine, lequel générerait des revenus eux-mêmes moins imposés, etc. Un effet boule de neige désastreux, jusqu’à la prochaine crise systémique dont on ne manquera pas de faire payer le coût à l’ensemble de la population selon une approche bien connue : privatiser les profits et socialiser les pertes. Inutile de préciser qu’avec un tel modèle, il serait illusoire de penser à un financement et une prise en charge efficace de la transition écologique…
Résumons-nous : moins d’impôt pour les riches, moins de services publics et de protection sociale en contre-partie, plus de richesses pour les riches : le concours des inepties fiscales est donc lancé. Et nous sommes polis… Le débat démocratique ne peut qu’y perdre, la justice sociale et écologique aussi. Décidément, il est urgent de faire comprendre l’impôt, de montrer en quoi le système fiscal doit être plus redistributif et plus globalement, de parler « justice fiscale » !