Des impôts locaux à l’agonie ?

, par Équipe de l’Observatoire

L’avenir des impôts locaux est en question. Car, si les réformes du gouvernement ont profondément modifié le financement des collectivités territoriales, elles ne s’orientent pas vers une réforme de la fiscalité locale. La situation est paradoxale : depuis le début des années 2000, l’État a transféré des compétences aux collectivités territoriales mais celles-ci ont vu leurs finances se « nationaliser » sous l’impact de certaines réformes. Il en va ainsi de la suppression progressive de la taxe d’habitation, de la baisse de 20 milliards d’euros des impôts locaux des entreprises (les « impôts de production ») et de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) que le gouvernement prévoit sur deux ans. La fiscalité locale est donc pensée « à la baisse », tandis que la réforme des bases des impôts locaux patine. Le gouvernement a renvoyé à plus tard deux opérations importantes : l’actualisation des bases de la cotisation foncière des entreprises (CFE, payée par les entreprises), et la rénovation des bases des impôts locaux des particuliers (en l’espèce, de la taxe foncière). Un petit tour d’horizon s’impose pour comprendre les enjeux.

La taxe d’habitation vit ses dernières heures. Présentée comme favorable au pouvoir d’achat des ménages, sa suppression prive les collectivités territoriales d’un impôt local sur lequel elle avait une certaine latitude. Aucune réforme de la base de la taxe d’habitation ne verra donc le jour. L’enjeu était pourtant connu. Il s’agissait de rénover les bases de cet impôt et, par la même occasion, de la taxe foncière, afin de rééquilibrer la fiscalité locale et d’assurer aux collectivités locales une évolution de leurs ressources leur permettant de financer leurs services publics (les crèches par exemple).

Une telle révision des bases des impôts locaux des particuliers était nécessaire et le demeure concernant la taxe foncière (dont le rendement est passé de 28 milliards d’euros en 2012 à 35 milliards d’euros en 2021). De longue date, ces bases sont critiquées pour de bonnes raisons puisque leurs modalités de calcul datent de 1970. Depuis, le parc immobilier a profondément évolué. Elles ne répondent plus à leur principe fondateur, soit la valeur locative cadastrale (VLC), qui correspond au loyer annuel pouvant être tiré de la location d’un bien aux conditions normales du marché. Des simulations de rénovation des bases ont été effectuées. Leur résultat est assez logique. Lorsque des bases sont rénovées, la répartition de la charge fiscale s’en trouve modifiée : certains contribuables peuvent connaître une baisse, d’autres une stabilisation et d’autres encore une hausse de leur impôt. Mais, à l’instar de Michel Rocard en 1990, qui avait reculé devant la crainte de la colère probable des « perdants », le gouvernement a décidé de repousser cette rénovation.

La situation des entreprises est similaire bien que les bases de la cotisation foncière des entreprises aient pour leur part déjà été révisées. Depuis 2017, elles ne sont plus calculées en fonction des valeurs locatives cadastrales mais en fonction de règles prenant davantage en compte la réalité du marché immobilier des entreprises. Une actualisation, déterminée en fonction de différents paramètres, devait toutefois intervenir en 2023. Or, elle aurait pu se traduire par une hausse de la CFE là où le gouvernement veut baisser les impôts des entreprises « coûte que coûte » si l’on ose dire. Il a donc décidé là aussi de repousser cette actualisation. Et après une baisse de 20 milliards d’euros de certains impôts locaux des entreprises (les « impôts de production »), la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) voulue par le gouvernement malgré le rejet de la mesure par le Sénat contribue à accentuer la pression sur les finances locales.

Pour illustrer le déclin de la fiscalité directe locale, l’évolution récente des impôts directs locaux est très instructive (source : rapport 2022 de l’Observatoire des finances locales). Entre 2017 et 2021 ;
• le rendement de la taxe d’habitation a baissé de près de 20 milliards d’euros,
• celui de la taxe foncière a augmenté de 2 milliards d’euros,
• la taxe d’enlèvement des ordures ménagères a augmenté de 700 millions d’euros,
• la CFE est passée de 7,6 milliards d’euros à 6,8 milliards d’euros (après un pic à 8 milliards d’euros en 2019),
• la CVAE est passé de 17,5 milliards d’euros à 9,6 milliards d’euros (après un pic à 19,5 milliards d’euros en 2020),
• globalement, les recettes fiscales locales sont passées de 90 milliards d’euros à 65 milliards d’euros.

Baisses de certains impôts, suspensions et reports, il est désormais très probable qu’aucune véritable réforme de la fiscalité locale ne sera menée au cours du quinquennat, au risque de voir perdurer des injustices fiscales et d’entretenir un flou sur l’avenir des finances locales. Celles-ci vont donc continuer de dépendre de l’État via les concours et les transferts de l’État par exemple. Celui-ci dispose donc de moyens d’associer les collectivités territoriales à la baisse de la dépense publique, ou disons plutôt, de leur imposer… Pour sa part, la fiscalité locale semble s’orienter vers une longue agonie.