Distributions de dividendes : l’insousciante abondance
Lors de l’ouverture du conseil des ministres du 24 août, Emmanuel Macron a déclaré : « nous vivons la fin de l’abondance, la fin de l’insouciance ». Ces propos ont été tenus alors que les données sur les distributions de dividendes venaient d’être connues et indiquaient justement que, pour les actionnaires, notamment les plus « gros », le temps était précisément celui de l’abondance et de l’insouciance.
Dividendes, la fête se poursuit
Après les chiffres sidérants des profits réalisés par les grandes entreprises en 2021 et de versements de dividendes qui les ont accompagnés, de nouvelles données montrent que pour les actionnaires, la fête continue. En glissement annuel, les dividendes mondiaux ont ainsi augmenté de 26 % au cours du deuxième trimestre. Cette hausse, révélée par le cabinet Janus Henderson, a conduit ce dernier à relever ses prévisions de versements de dividendes mondiaux pour 2021 de 1360 à 1390 milliards de dollars. Selon ses données, 84 % des entreprises ont majoré leurs dividendes ou les ont maintenus stables par rapport au deuxième trimestre 2020. Par ailleurs, le cabinet précise qu’au cours du deuxième trimestre, « traditionnellement le plus important pour les dividendes européens », les versements de dividendes constatés au Royaume-Uni et en Europe ont augmenté respectivement de 60,9 % et de 66,4 %.
Dans ce festin, la France occupe une place de choix. L’étude précise en effet qu’un nouveau record de dividendes vient d’y être battu avec, pour le deuxième trimestre, 44,3 milliards d’euros versés. Les entreprises françaises qui figurent dans le top 20 des plus importants « verseurs » de dividende au cours dudit trimestre sont connues : BNP Paribas (6e), Sanofi (10e), Axa (12e) et LVMH (14e). La France est même « championne d’Europe » des versements de dividendes.
Les analystes sensibles aux thèses néolibérales sont rapidement montés au créneau pour indiquer que cette hausse pourrait ne pas être durable et qu’elle correspond à un rattrapage de l’année 2020. Or, ces chiffres faramineux indiquent surtout que les actionnaires des grandes entreprises ont décidé de « gaver » leurs actionnaires. De fait, ils se paient non pas en rattrapage du passé mais sur l’avenir. Prendre tout ce qu’on peut avant une éventuelle prochaine crise en quelque sorte.
Une fiscalité taillée depuis 2017 pour les riches actionnaires
Une petite minorité d’ultra-riches sont les grands gagnants de cette explosion des dividendes. En effet, comme le troisième rapport du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital (qui dépend de France Stratégie, organisme rattaché à Matignon), en 2019, 62% des dividendes ont été reçus par les 0,1% des foyers les plus aisés (soit 39000 foyers), dont 31% par les 0,01% les plus riches (soit 3900 foyers).
Ce festin a été largement favorisé par les choix du précédent quinquennat. En effet, la mise en œuvre du prélèvement forfaitaire unique (ou flat tax) et la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière ont indéniablement boosté les distributions de dividendes en France depuis 2018. Face aux arguments du gouvernement qui, à l’époque, promettait des effets économiques bénéfiques grâce au ruissellement attendu, Attac a dénoncé l’aggravation de l’injustice fiscale et sociale de ces mesures qui ne pouvaient que nourrir la hausse des inégalités. Ce que les trois rapports du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital ont confirmé en termes on ne peut plus clairs : cette réforme est coûteuse, elle a alimenté le versement de dividendes mais n’a pas produit d’effet sur l’investissement ou l’emploi. Dans son troisième rapport, le comité relevait ainsi que « 72 % du coût de la réforme - et donc du gain pour les ménages - est réalisé au bénéfice des 10 % des ménages dont le revenu fiscal de référence est le plus élevé, soit supérieur à 130 414 euros en 2015. En réalité, le gain est encore plus concentré sur les très hauts revenus, puisque 43 % du coût pour les finances publiques bénéficie au 1 % des ménages dont le revenu fiscal de référence est le plus élevé ». En d’autres termes, ces réformes ont eu pour seul effet de profiter aux plus riches...
Ces réformes ont également un coût qui, d’une façon ou d’une autre, est payé par l’ensemble des contribuables (sous la forme d’une baisse des moyens alloués aux services publics par exemple). Un document de travail de l’Insee et de la Drees paru en septembre 20201 (Document de travail, « Effets des réformes 2018 de la fiscalité du capital des ménages sur les inégalités de niveau de vie en France : une évaluation par microsimulation », 7/09/2020.) avait également évalué les effets de la transformation de l’impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) et de la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU). Selon le document, le coût budgétaire de ces deux réformes, qui ont principalement bénéficié aux 15% les plus aisés, s’élèverait entre 2,9 et 3,5 Mds € par an.
La fin de l’insouciance et de l’abondance ne concernera donc pas, avant un certain moment, les bénéficiaires de ces versements records de dividendes. L’austérité budgétaire et sociale que prépare le gouvernement les préservera, en pressurisant encore et toujours plus le reste de la population. Droit dans ses bottes, le gouvernement refuse de revenir sur les choix fiscaux du précédent quinquennat et refuse de taxer les superprofits (deux des mesures en faveur desquelles plaide Attac). Dur avec les faibles, faible avec les forts, on a le courage qu’on peut...