Droits de donation et de succession : à qui profiterait la baisse ?
Selon le quotidien « Le Monde » du 3 avril, des députés Renaissance souhaitent reprendre une promesse d’Emmanuel Macron formulée durant la campagne des élections de 2022 : baisser les droits de succession. Si le contexte budgétaire est tendu, ils souhaitent tout de même s’engager dans une baisse dont le coût budgétaire s’élèverait à pas moins de 3 milliards d’euros.
L’argument avancé pour justifier cette baisse ressemble étrangement à celui employé par Georges Bush aux États-Unis en 2005 et à ceux d’Eric Ciotti récemment : il faudrait pouvoir transmettre « le fruit d’une vie de travail » aux enfants. D’où l’idée de porter l’abattement applicable aux transmissions (donations et successions) à 150.000 euros contre 100.000 euros aujourd’hui. Lorsqu’il avait proposé cette mesure, Emmanuel Macron l’avait alors justifiée en déclarant : « J’aurais du mal à dire qu’un couple qui a une maison et deux enfants et que cette maison vaut 200 000 euros à 300 000 euros, que ce sont des rentiers que je vais protéger ». Autrement dit, cette mesure serait ciblée sur les classes moyennes. Pourtant, Emmanuel Macron oublie de préciser qu’une telle mesure profiterait principalement aux plus aisés.
Rappelons-le, les règles applicables en matière de successions le sont également pour les donations. Actuellement chaque parent peut donner à chacun de ses enfants 100.000 euros tous les 15 ans. En clair, le couple peut transmettre 400.000 euros à ses deux enfants en franchise d’impôt. Cet abattement peut se cumuler à un abattement spécifique applicable aux dons en numéraire de 31.865 euros. En clair, notre famille peut donc déjà transmettre 527.460 euros (soit 131.865 euros donnés par chacun des deux parents à chacun des deux enfants tous les 15 ans) sans payer un centime d’impôt.
Qui peut se le permettre ? Assurément pas la majorité de la population. En 2018, 90 % de la population disposait d’un patrimoine net (une fois les dettes déduites) inférieure à 549.600 euros tandis que pour 50 %, le patrimoine net était inférieur ou égal à 117.000 euros. Relever l’abattement en matière de donation et de succession ne pourrait donc bénéficier qu’aux ménages qui en ont les moyens, autrement dit, dans notre exemple, aux parents qui peuvent chacun donner ou transmettre par voie de succession plus de 100.000 euros auxquels on peut ajouter 31.865 euros de don en numéraire. Autrement dit, une telle mesure bénéficierait bien aux 10 % les plus aisés de la population
Certes, les droits de donation et de succession n’ont pas bonne presse. En surfant sur leur image dégradée, les députés Renaissance et Emmanuel Macron pourraient donc bien instaurer une nouvelle mesure destinée en réalité aux plus aisés. Pourtant, ces impôts concernent peu de transmissions. Au surplus, selon France Stratégie (Note d’analyse n°51 intitulée « Peut-on éviter une société de rentiers ? » portant sur l’année 2015) l’imposition réelle n’est que de 2 % et 3 % pour les transmissions en ligne directe (de parents à enfants) et de 5 % sur l’ensemble des transmissions. En effet, une minorité de donation et de succession sont imposables. Les baisser et se priver de 3 milliards d’euros ajouterait donc à l’injustice fiscale et nourrirait des inégalités de patrimoine déjà importantes (les 1 % les plus riches détiennent déjà près de 16 % du patrimoine totale des ménages).
Sur le plan économique, l’intérêt de la mesure est de surcroît plus que discutable. En effet, la baisse de la taxation sur la succession a un effet très limité sur les pratiques des personnes concernées. Dans sa note de décembre 2021 intitulée « Repenser l’héritage », le Conseil d’Analyse Économique relève que « les comportements d’offre de travail et d’épargne tendent à renforcer le rôle de l’héritage dans la constitution des inégalités de long terme : les riches héritiers ont des taux de rendement plus élevés, et dépensent moins leur héritage que les individus héritant de petites sommes. » Autrement dit, il n’est pas économiquement efficace de baisse le taux de la fiscalité successorale pour les hauts patrimoines, ce qui est le cas ici, comme cela a été montré plus haut. De plus, il précise que « le total du patrimoine transmis déclaré à l’administration fiscale est 35 à 40 % plus faible que le flux économique effectivement transmis, même une fois rehaussé des non-déclarations des petites transmissions patrimoniales (Piketty, 2011). La raison tient à la présence de nombreux dispositifs fiscaux avantageux et autres exemptions qui favorisent des pratiques d’optimisation des transmissions patrimoniales et mitent considérablement la base fiscale des DMTG, atténuant au passage considérablement la progressivité de la fiscalité des successions ». En effet, outre l’éventuelle fraude aux droits de succession et de donation (actifs non déclarés à l’étranger logés dans un trust par exemple), d’autres dispositifs permettent de réduire considérablement l’impôt. Il en va ainsi du dispositif « Dutreuil » par exemple, qui consiste en un abattement de 75 % sur la valeur des titres ou de la valeur de l’entreprise individuelle transmise qui s’ajoute à l’abattement de 100.000 euros.
Une baisse des droits de donation et de succession serait donc inefficace économiquement, coûteuse budgétairement et injuste socialement.