Du CICE aux allègements de cotisations sociales, un bilan calamiteux
De 2013 à 2018, le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) a permis aux entreprises de réduire leur impôt : calculé sur la masse des salaires inférieurs à 2,5 fois le niveau du SMIC sur la base de taux qui ont évolué (4 % en 2013 puis 6 % de 2014 à 2016, 7 % en 2017 et 6 % en 2018), ce crédit d’impôt aura coûté près de 110 milliards d’euros durant son existence. Transformé en un dispositif pérenne d’allègement de cotisations sociales employeur au 1er janvier 2019, le bilan qu’en a tiré le comité de suivi du CICE et, récemment, le Comité de suivi et d’évaluation de la loi Pacte (tous deux rattachés à France stratégie, qui dépend de Matignon) a de quoi laisser pantois. Et sa transformation en allègement de cotisations sociales est d’ores et déjà discutée.
Censé favoriser l’investissement et l’emploi, le CICE s’est avéré coûteux et inefficace
On entend souvent que les baisses d’impôt ou de cotisations sociales ont des effets favorables sur les bas salaires, plus touchés par le chômage. Seulement voilà, les résultats sont particulièrement mauvais. Celui du CICE l’illustre tristement. Selon le Comité de suivi du CICE, rattaché à France stratégie, l’effet mesuré sur les emplois créés ou sauvegardés se situe autour de 100 000 sur 2014-2016, dans une période où, en comptabilité nationale, le coût du CICE explosait (il est passé de plus de 10 milliards d’euros en 2014 à plus de 18 milliards en 2016). Autrement dit, sur cette période, le coût par emploi est largement supérieur à 200.000 euros.
Même les travaux qui ajoutent au CICE d’autres dispositifs ne présentent pas d’effet positif notable sur l’emploi. Les travaux de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), menés après la création de la prime à l’emploi en 2015, estime le nombre d’emplois créés ou sauvegardés à environ 160 000. Quant à la Banque de France, ses travaux macroéconomiques ont porté sur l’ensemble des politiques publiques affectant le coût du travail entre 2015 et 2019, ils aboutissent à des résultats un peu plus élevés (240 000 emplois créés ou sauvegardés tous dispositifs confondus)
Au regard du coût du CICE (près de 110 milliards d’euros sur 6 ans), c’est un résultat bien maigre : « faible, rapporté au coût du CICE – de l’ordre de 18 milliards d’euros en 2016 », comme le reconnaissait en 2020 le Comité de suivi du CICE de France Stratégie. Rappelons en outre que les effets pervers sont indiscutables : le CICE a incité à des entreprises de ne pas augmenter les salaires au-dessus de 2,5 SMIC pour en bénéficier.
La transformation en allègement de cotisations sociales sur les mêmes (mauvais) rails
Depuis le 1er janvier 219, le CICE n’est plus. Il a été transformé en allègement de cotisations sociales pour un montant d’environ 26,5 milliards d’euros. S’agissant du coût, des précisions s’imposent. En effet, cette transformation en allègement de cotisations sociales entraîne pour les entreprises une hausse de l’impôt sur les sociétés (IS) puisqu’elles ne bénéficient plus du CICE. Par ailleurs, les cotisations sociales sont déductibles du bénéfice imposable à l’IS : or, les réduire se traduit par une déduction moins importante et mécaniquement par une hausse du bénéfice imposable. Au final toutefois, le coût budgétaire net de la transformation du CICE en allègement de cotisation (soit la différence entre les 26,5 milliards d’euros et le léger regain de l’IS) reste du même ordre de grandeur que le coût budgétaire du CICE, à savoir environ 20 milliards d’euros par an.
Une première évaluation de la transformation du CICE en allègement de cotisations sociales a été publié par le Comité d’évaluation et de suivi de la loi Pacte de France stratégie. Il est éloquent. Selon l’Insee, la bascule du CICE en allègement de cotisations aurait permis de créer 70 000 emplois en 2020 et 40 000 en 2021, pour un effet nul à long terme. L’effet de court terme s’expliquerait par la perception d’une année double de baisse du coût du travail par les entreprises. En effet, certaines ont pu percevoir un CICE dû au titre des années antérieures tout en bénéficiant dès le 1er janvier 2019 de l’allègement de cotisations sociales.
Selon l’OFCE, la bascule du CICE aurait même un effet négatif sur l’emploi à court terme avec une perte de 40 000 emplois en 2019 avant une perspective de création de 40 000 emplois en 2023. Le tout, avec un effet PIB légèrement négatif de -0,1 point sur toute la période 2019/2023. Autrement dit, il n’y aurait aucun effet sur l’emploi dans la période mais un effet négatif sur le PIB… Si le Comité d’évaluation et de suivi de la loi Pacte se veut prudent sur cette évaluation, son rapport note cependant que ; « au total, les résultats des deux approches au niveau microéconomique (NDR : soit l’étude des comportements au niveau individuel) ne permettent pas de mettre en évidence un effet notable de la transformation du CICE en baisse de charge sur les comportements des entreprises en 2019 ». Car c’est bien l’année 2019, antérieure à la crise sanitaire et à la crise née de la guerre, qui a été prise en compte dans ces premiers travaux.
Les conclusions de ces travaux ne sont guère surprenantes. Le rapport du Comité de suivi des aides publiques aux entreprises et engagements (Les exonérations générales de cotisations, juillet 2017), lui aussi rattaché à France Stratégie, se montrait déjà sévère avec les allègements généraux des cotisations sociales : « on ne dispose à ce jour d’aucune évaluation des effets sur l’emploi de cette politique sur l’ensemble des vingt-cinq dernières années. Enfin, on sait peu de choses sur la nature des emplois créés ou sauvegardés (par sexe, âge, diplôme, catégorie socioprofessionnelle, expérience) et sur leur ventilation par secteur d’activité ou taille d’entreprise. On ignore par ailleurs si l’efficacité de la politique d’allégements s’atténue à mesure que les allégements de cotisations sociales s’amplifient ». Précisons que, à l’instar du CICE, ces dispositifs présentent des effets pervers : ils peuvent inciter des employeurs à maintenir les salaires en dessous des seuils d’exonération. Ce qui crée des trappes à bas salaires et maintient les inégalités et alimente la précarité.
Au fond, la question n’est plus de savoir si ces allègements, autrement dit ces « niches sociales », se justifient ou pas mais plutôt quand et comment en finir avec de tels choix aveugles, à l’heure où les besoins sociaux et écologiques nécessitent davantage de justice fiscale, sociale et écologique. À l’évidence, cette question rejoint celle des aides publiques non conditionnées et, plus largement, celle de la répartition des richesses. Aider largement et sans réel retour d’un côté, avec en outre les conséquences sur la hausse des bénéfices des grandes entreprises et leur distribution de dividendes, tout en refusant de relever leur contribution aux finances publiques n’est plus tenable. De ce point de vue, une revue des niches fiscales et sociales pour supprimer celles qui sont injustes et inefficaces est absolument nécessaire. Cela permettrait de rétablir davantage de justice fiscale mais aussi d’alimenter les recettes de l’État et de la Sécurité sociale.
À l’heure où le gouvernement veut imposer « coûte que coûte » sa réforme des retraites, il y a là matière à montrer qu’on peut non seulement financer le modèle social, mais aussi l’améliorer.