Du quoiqu’il en coûte à combien ça coûte ?

, par Équipe de l’Observatoire

Le ministre de l’action et des comptes publics a annoncé dans une interview : « Nous sommes passés du quoi qu’il en coûte au combien ça coûte. On ne doit pas s’interdire de dépenser, mais on doit se poser les questions nécessaires avant d’engager des dépenses importantes ». Mettant d’emblée l’accent sur les dépenses et la dette publiques, et écartant toute perspective de réforme fiscale malgré le sentiment d’injustice fiscale de plus en plus prononcé dans la population, le ministre jette les bases d’une orientation budgétaire « austéritaire ». Posée autrement, la question mériterait toutefois d’autres réponses.

Combien ça coûte l’évitement illégal de l’impôt ?

L’évitement illégal de l’impôt, autrement dit la fraude fiscale, provoque un manque à gagner d’au moins 80 milliards d’euros par an. Pratiquée à grande échelle, elle plombe les comptes publics, fausse la concurrence entre les agents économiques honnêtes et les fraudeurs, dégrade le consentement à l’impôt et nourrit les inégalités. Mais ce constat implacable, confirmé par les multiples affaires et scandales qui rythment l’actualité depuis près de 15 ans, n’a pas empêché Emmanuel Macron de poursuivre les suppressions d’emplois dans les services de contrôle, entraînant par conséquent une baisse du nombre de contrôle et une baisse des résultats financiers [1].

Combien ça coûte les « niches fiscales et sociales » ?

On recense 471 niches fiscales dans le projet de loi de finances 2022, pour un coût budgétaire, c’est-à-dire un manque de recettes pour l’Etat, de 91,4 milliards d’euros. Ce coût des niches a pratiquement doublé entre 2003 et 2009, s’est stabilisé jusqu’à 2013 puis est reparti à la hausse avec la mise en place du CICE, crédit d’impôt compétitivité emploi, et surtout, la hausse des pratiques de défiscalisation. Ce coût est toutefois sous-estimé : depuis 2006, certaines « niches » ont été déclassées et ne figurent plus dans le rapport « Voies et moyens tome 2 » annexé tous les ans aux projets de loi de finances qui les recense. Pire, depuis 2017, aucun document officiel ne les mentionne alors que ces dispositifs existent toujours… Sur la base du dernier rapport les recensant et du rapport « Voies et moyens tome 2 » annexé au projet de loi de finances pour 2022, ce sont environ 100 milliards d’euros qui manquent au budget de l’État.

Du côté des « niches sociales », c’est-à-dire les multiples réductions appliquées aux prélèvements finançant la Sécurité sociale, le coût est comparable. Dans son rapport sur la Sécurité sociale de 2019, la Cour des comptes notait que, si le coût de ces « niches » atteignait officiellement 66,4 milliards d’euros, le coût réel est toutefois plus élevé. Elle estime que le montant prévisionnel des « niches sociales » affectées aux régimes de base de sécurité sociale et au Fond de Solidarité Vieillesse, ressort à plus de 90 milliards d’euros en 2019.

Au total, ce sont près de 200 milliards d’euros qui manquent aux recettes publiques, sans que ces dispositifs n’aient fait l’objet d’une évaluation globale. Pire, des évaluations parcellaires ont montré que les effets d’aubaine étaient incomparablement plus importants que l’impact attendu en matière d’emploi notamment.

Combien ça coûte, les aides publiques aux entreprises ?

En 2007, un rapport de l’administration faisait état de 6000 aides publiques envers les entreprises pour un montant de 65 milliards d’euros, financé à 90% par l’État. En 2013, le montant s’élevait à 110 milliards. Pour 2018, le ministère du budget donne le chiffre de 140 milliards d’euros. Les aides ont par suite explosé durant la crise Covid. Les quatre principales d’entre elles – activité partielle, fonds de solidarité, prêts garantis par l’État et reports de cotisations sociales – mobilisaient 206 milliards d’euros à la fin mars 2021, soit 9 % du PIB français [2].Ces aides ont nourri le résultat net des entreprises : selon l’INSEE, « le taux de marge des sociétés non financières (SNF) s’est établi à un niveau particulièrement élevé sous l’effet combiné des dispositifs de soutien, renforcés depuis le quatrième trimestre 2020 (Fonds de solidarité notamment), et de la baisse des impôts sur la production » [3].

Au total, le coût cumulé de la fraude fiscale, des niches fiscales et sociales et des aides publiques aux entreprises (même hors crise Covid) dépassent de loin le montant des recettes fiscales nettes de l’État (292 milliards d’euros pour 2022). Et malgré des profits records des entreprises, notamment des plus grandes (158 milliards d’euros pour les entreprises du CAC 40), le gouvernement renonce à taxer les superprofits, préférant mettre l’accent sur la baisse des dépenses publiques...

Attac dénonce la stratégie du gouvernement qui consiste à instrumentaliser la dette publique pour mettre en œuvre une austérité budgétaire qui serait socialement et écologiquement dévastatrice et économiquement contre-productive.
À l’inverse, Attac exige du gouvernement de procéder :
• à une réforme fiscale visant à réduire les inégalités, financer les besoins sociaux et écologiques et à renforcer les moyens juridiques, matériels et humains en matière de lutte contre la fraude fiscale,
• à une revue des niches fiscales et sociales afin d’en évaluer le coût et l’efficacité,
• à une évaluation du coût réel des aides publiques afin d’en revoir les modalités d’attribution pour les conditionner à des objectifs sociaux et écologiques en priorité.