Exonération d’impôt sur le revenu des moins de 30 ans, une proposition du RN inconstitutionnelle et injuste

, par Équipe de l’Observatoire

Marine Le Pen a proposé d’exonérer d’impôt sur le revenu (IR) les jeunes de moins de 30 ans. Elle propose également d’exonérer d’impôt sur les sociétés (IS) les entreprises que ces jeunes seraient amenés à créer durant 5 ans. Si cette proposition est inapplicable, elle mérite toutefois plusieurs commentaires. Outre son caractère électoraliste, idéologiquement, elle s’inscrit en effet dans la ligne très droitière de ceux qui veulent réduire, encore et toujours, les impôts directs, comme l’IS, et notamment l’un des très rares impôts progressifs du système fiscal français, l’IR.

Tout d’abord, cette proposition est très certainement inconstitutionnelle. Une telle exonération fondée sur l’âge romprait en effet deux principes fiscaux fondamentaux : celui de la « capacité contributive » (l’exonération aurait des impacts différents car les jeunes foyers concernés sont eux-mêmes dans des situations différentes) et celui d’égalité devant l’impôt : au nom de quoi des jeunes de situations différentes bénéficieraient d’une même exonération appliquée uniformément et aveuglément et au nom de quoi à partir de 30 ans, à situation inchangée, devrait-on être pleinement imposables ? Signalons également que, jusqu’à 21 ans, les jeunes majeurs peuvent déclarer leurs revenus soit en leur nom propre, soit en étant rattachés au foyer fiscal de leurs parents ou de l’un.e d’eux (les étudiant.es peuvent même l’être jusqu’à leur 25 ans). Outre une certaine complexité pour les contribuables dans le choix qu’ils auraient à faire entre un rattachement et une exonération, celle-ci ajouterait à la rupture des principes évoqués ci-dessus.

Cette proposition est également injuste. Pour le comprendre, entrons dans le détail… Les jeunes de moins de 30 ans perçoivent un revenu inférieur à leurs aînés : avant la crise, selon l’Insee (« Enquêtes revenus fiscaux et sociaux », 2018), le revenu médian des 18-29 ans était de 19.940 euros alors que le revenu médian s’élevait à 21.780 euros pour les 30-39 ans pour atteindre 23.610 euros pour les 50-64 ans. La proportion de foyers imposables, déjà faible en France (moins de 44 %) est plus faible chez les moins de 30 ans. Mais les jeunes potentiellement imposables, notamment ceux par exemple qui sortent des grandes écoles et occupent des postes bien rémunérés, bénéficieraient de cette exonération. Celle-ci nourrirait donc les inégalités. De leur côté, les jeunes chômeurs ou mal payés n’étant déjà pas imposables, ils ne pourraient pas bénéficier de cette mesure. Mais au regard de l’exonération de l’IR proposée ici, ils seraient traités comme les jeunes traders… Inique ! Marine Le Pen propose ainsi une mesure qui ne ferait qu’augmenter les inégalités.

Cette proposition est également imprécise. S’agissant des entreprises, la proposition du RN ne vise explicitement que l’IS, autrement dit des entreprises d’une taille et d’une « surface financière » supérieures aux TPE. Il faut dire qu’Emmanuel Macron s’étant déjà attaqué à l’IS, sur sa droite, il faut de l’imagination pour aller plus loin dans l’affaiblissement de cet impôt. Mais dans sa proposition, Marine Le Pen a juste oublié de préciser que de très nombreuses entreprises (TPE et PME) relèvent de l’IR et non de l’IS : il en va ainsi de nombreuses entreprises individuelles ou sociétés en nom collectif par exemple. Veut-elle étendre cette exonération à l’IR ou non ? Si oui, comment compterait-elle alors articuler deux exonérations des moins de 30 ans : l’une inconditionnelle et l’autre limitée à 5 ans, elle aussi destinée aux moins de 30 ans, mais conditionnée à la création d’une entreprise ? Si non, comment pourrait-elle justifier de mettre à l’écart les TPE ? Dans les deux cas, là aussi, la réponse est connue : outre les injustices profondes qui résultent du sens même de cette proposition, elle serait censurée, comme la première, par le Conseil constitutionnel...

Au fond, il faut regarder ces propositions pour ce qu’elles sont. Une tentative de buzz électoraliste assise sur une idéologie qui, elle, demeure solidement campée sur ses positions historiques : haro sur la progressivité et la redistribution sociale ! Elle dit par ailleurs beaucoup du « sérieux » et de la « crédibilité » du RN...