Fraude fiscale : ces dizaines de milliards (toujours) perdus...
La fraude fiscale, qui, désigne l’ensemble des actes illicites visant à échapper aux obligations fiscales, en omettant de payer les impôts dus ou en réduisant indûment le montant de la base à déclarer ou des impôts à payer, est un phénomène complexe et évolutif. Tous les travaux concordent cependant : quoiqu’en disent les pourfendeurs du « modèle social », elle se traduit par des pertes de recettes considérables.
Dans son rapport « L’état de la justice fiscale en 2025 », Tax Justice Network révèle ainsi qu’une ordonnance de bâillonnement soutenue par les États-Unis qui empêche les gouvernements de révéler les noms des multinationales ayant transféré des milliards vers des paradis fiscaux a fait perdre aux pays plus de 475 milliards de dollars américains en impôts sur les sociétés entre 2016 et 2021. Les plus grands perdants sont les États-Unis eux-mêmes, qui se privent de 158,5 milliards de dollars américains de recettes, et la France avec une perte estimée à 32,3 milliards de dollars américains, soit 27,3 milliards d’euros en matière d’impôt sur les sociétés (IS).
Cette étude apporte une nouvelle confirmation de l’ampleur de la fraude fiscale, estimée entre 80 et 100 milliards d’euros.
Pour estimer la fraude fiscale globale, il faut par ailleurs ajouter la fraude à la TVA,estimée entre 20 et 25 milliards d’euros par l’INSEE. La fraude à la TVA constitue en effet un autre « gros morceau » de la fraude fiscale globale. Au sein de l’Union européenne, « la TVA due mais non perçue par les autorités fiscales a été estimée à 134 milliards d’euros en termes nominaux et à 10.3% en pourcentage de la TVA totale exigible en 2019 » selon la Commission européenne. Le produit intérieur brut (PIB) français représente entre 16 et 17 % du PIB de l’Union européenne, ce qui signifie que la fraude à la TVA telle qu’estimée par l’Union européenne représente entre 21 et 22 milliards d’euros.
Au surplus, il faut ajouter à ces 48 à 49 milliards d’euros de fraude brute cumulée les autres formes de fraudes en matière d’IS, d’impôt sur le revenu, d’impôts sur le patrimoine, d’autres impôts sur la consommation ou encore les impôts locaux.
En matière d’IS en effet, il existe d’autres formes de fraudes : fraude au crédit d’impôt recherche ou aux autres niches fiscales des entreprises, fausses factures, sur ou sous facturation, etc.
Au-delà, il s’agit d’analyser l’impact de l’économie souterraine. Selon l’INSEE, le taux de travail dissimulé est de 8.8 % du PIB, ce qui se traduit par une perte de recettes sociales, mais également fiscales, puisque les revenus non déclarés ou sous déclarés échappent à l’impôt sur le revenu. Celui-ci fait également l’objet d’autres formes de fraudes, comme la fraude à certaines niches fiscales (soit le fait de bénéficier à tort de crédits ou de réductions d’impôt) ou la maximisation de charges déductibles, pour les commerçants, les professions libérales et les revenus fonciers notamment.
S’agissant des impôts sur le patrimoine, la fraude prend elle aussi diverses formes : non déclaration d’actifs détenus ou transmis (détenus à l’étranger, vie des sociétés écrans ou anonymement comme dans le cas de crypto-actifs par exemple), sous-déclaration de biens détenus ou transmis pour baisser artificiellement les droits de mutation à titre onéreux lors d’une vente, ou les droits de donation et de succession lors d’une transmission à titre gratuit ou encore l’impôt sur la fortune immobilière.
Les impôts locaux également sont parfois fraudés, lorsque des travaux portant sur des agrandissements de biens immobiliers ne sont pas déclarés et qu’ils ne peuvent donc pas donner lieu à une actualisation de la base de la taxe foncière et/ou de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires.
Enfin, pour compléter le tableau de la fraude, précisons que les droits de douane, calculés sur l’origine et la valeur des marchandises ainsi que sur leur classement (pour appliquer le tarif douanier correct) font, eux aussi, l’objet de fraudes importants, par voie de falsification de l’un de ces facteurs lors de l’importation ou de l’exportation de marchandises ou encore en détournant certains régimes douaniers (comme la fraude au régime 42 (qui permet, lors de l’importation de marchandises en provenance d’un pays tiers, de bénéficier d’une exonération de la TVA au point d’entrée dans l’Union européenne, à la condition que ces biens soient immédiatement expédiés vers un autre État membre.
Certains montages touchent plusieurs impôts. Ainsi, pour éviter de payer tout à la fois l’impôt sur le revenu et les impôts sur le patrimoine, certains contribuables se déclarent résidents à l’étranger mais continuent de vivre en France. Chaque année, de nombreuses personnes font l’objet de redressements fiscaux pour « fausse domiciliation ». Certains acteurs du E-commerce fraudent tout à la fois la TVA, l’IS et les droits de douane, etc.
Il serait impossible de décrire en quelques mots la diversité et la complexité des fraudes fiscales. Mais à la lumière des récents travaux, un constat s’impose : tous confortent l’estimation selon laquelle la fraude fiscale représente un manque à gagner compris entre 80 et 100 milliards d’euros. Cette situation, qui perdure, est dévastatrice à tous points de vue. Les recettes manquent pour financer l’action publique, la protection sociale et les investissements face au changement climatique. La fraude plombe l’activité économique et aliment les injustices et les inégalités, surtout lorsqu’elle est le fait des agents économiques les plus aisés. Au surplus, elle nourrit la crise démocratique. La lutte résolue contre l’évasion et la fraude fiscales est donc un enjeu majeur.