Imposition des ultrariches : au secours, les riches vont partir ! L’exil fiscal des ultrariches va-t-il appauvrir l’économie du pays ?

, par Équipe de l’Observatoire

C’est le principal argument de ceux qui s’opposent à toute hausse d’impôt visant les plus riches : ceux-ci partiraient à l’étranger, privant la France de leurs investissements, ce qui appauvrirait le pays, ferait augmenter le chômage et la pauvreté, tout cela sans réduire les déficits et la dette publics. Il ne resterait à la population résidant sur le territoire national que les yeux pour pleurer en quelque sorte. Cet argument est le pendant de la théorie du ruissellement : si baisser les impôts doit favoriser les investissements, donc la croissance et l’emploi (pour reprendre une formule ressassée à l’envi), les augmenter conduit nécessairement à l’inverse du fait, notamment, du départ à l’étranger des agents économiques les plus aisés. CQFD. Mais cet argument a priori simple voire limpide, ne repose toutefois sur aucune réalité, comme en attestent les travaux menés sur le sujet *

Nous reviendrons ici sur les données livrées dans ces différents travaux (1) avant d’en analyser les ressorts (2) pour conclure qu’une hausse de l’imposition des plus riches est non seulement souhaitable mais qu’elle ne se traduirait pas par un appauvrissement de l’économie française (3).

1/ Retour sur les données chiffrées

Les premiers travaux sur l’exil fiscal ont tout d’abord porté sur le comportement des redevables de l’ancien Impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Sur la base de données de la Direction générale des finances publiques, ils montrent que, entre 2001 et 2006, seulement 0,12 % à 0,14 % des contribuables redevables de l’ISF quittaient la France chaque année. Par la suite, ces départs n’ont pas dépassé les 0,2 % du nombre de redevables de l’ISF.

Ces départs, très faibles en nombre et en proportion, étaient pour partie compensés par les retours de personnes autrefois redevables de l’ISF, mais qui revenaient s’établir en France après quelques années passées à l’étranger. Selon les années, les retours représentaient en effet 20 à 40 % des départs.

Il faut ajouter à cela les « faux départs » à l’étranger : chaque année en effet, l’administration fiscale identifiait entre 150 et 200 faux exilés, c’est-à-dire des redevables de l’ISF qui se déclaraient à l’étranger mais qui continuaient en réalité à vivre en France. Ceux-ci faisaient alors l’objet d’un redressement fiscal afin qu’ils paient les impôts qu’ils auraient du payer en qualité de résident fiscal en France, même si tous n’ont probablement pas été identifiés.

Enfin, récemment, dans une analyse macroéconomique, le Conseil d’analyse économique (CAE) a confirmé d’une part, que les départs des plus riches vers l’étranger étaient de longue date peu importants et d’autre part, que leur impact sur l’économie était marginal.

Les principaux résultats du rapport du CAE sont les suivants :

La mobilité du « top 1 % des revenus du capital » est réelle mais faible : seuls 0,2 % du top 1 % des revenus du capital s’expatrient chaque année, soit moins que la moyenne nationale (0,38 %).

De la même manière, la sensibilité de ces ménages à la fiscalité est relativement faible. La réforme de 2013 (qui s’est traduite par une hausse de l’imposition des revenus du capital) a augmenté les départs nets de 0,04 à 0,09 points de pourcentage. A l’inverse, la réforme de 2017-2018 (allègement avec la transformation de l’ISF en impôt sur la fortune immobilière et l’instauration du prélèvement forfaitaire unique, le PFU) a réduit les départs nets de 0,01 à 0,07 points.

Le CAE a par ailleurs étendu son analyse à l’impact des départs sur la détention d’entreprises. En effet, lorsqu’un actionnaire important (éventuellement même, dirigeant d’un entreprise ou d’un groupe) s’établit à l’étranger, on observe une baisse « brute » (soit avant compensation, voir ci-dessous) du chiffre d’affaires (-15 %), de la masse salariale (-31 %) et de la valeur ajoutée (-24 %). Si ces données paraissent de prime abord importantes, le CAE souligne néanmoins que ces effets « bruts » sont en bonne partie compensés par des réallocations (rachats, absorptions, réemploi des salariés), ce qui réduit l’impact net des départs.

Le CAE considère en effet que l’effet agrégé des départs est limité. Mieux, il montre que, même en prenant une hypothèse haute de l’impact de tels départs, une réforme générant 4 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires (≈ 0,15 % du PIB) induirait tout au plus une baisse de 0,03 % de chiffre d’affaires, de 0,05 % de valeur ajoutée et de 0,04 % de l’emploi total.

Au final, le CAE conclut que, si l’exil fiscal existe et réagit à la fiscalité, ses effets macroéconomiques sont faibles, car les flux restent réduits. S’agissant d’une éventuelle réforme fiscale visant à rehausser l’imposition du capital (sur les revenus et/ou sur le stock de capital financier), ses effets significatifs passeraient moins par les départs que par les comportements des ménages restés en France (sur l’épargne, l’investissement et l’optimisation voire la fraude fiscale). En d’autres termes, ce ne sont pas les départs qui produisent des effets significatifs, mais les comportements des résidents fiscaux nationaux qui peuvent plus ou moins consommer ou épargner, investir ou non ou encore tenter d’éviter légalement ou illégalement l’impôt (tout cela ayant des effets sur les recettes fiscales).

2/ Comment expliquer la faiblesse des départs et leur impact marginal sur l’économie ?

Le débat sur l’attractivité du pays se concentre à tort principalement sur la fiscalité et le fameux « coût de la main d’œuvre ». Or, dans les décisions d’investir, d’autres facteurs sont pris en compte : la capacité à dégager un chiffre d’affaires (ce qui est possible si les revenus sont suffisamment corrects et si les mécanismes redistributifs comme les prestations sociales permettent de soutenir la demande), l’existence d’infrastructures et de réseaux (de transport, de communication notamment), la qualité de la formation, etc. De ce point de vue, la France reste attractive : elle demeure de longue date l’une des principales terres d’accueil des investissements directs étrangers.

Dans son étude, le CAE montre que « Bien que l’effet direct des expatriations de détenteurs d’entreprises soit significatif, il est important de noter qu’une partie de ces effets directs peut, en pratique, être compensée ou au contraire amplifiée par divers mécanismes de réallocation et d’équilibre ». En d’autres termes, si des actionnaires importants partent à l’étranger, les entreprises qu’ils détiennent peuvent se restructurer, les salariés victimes de ces restructurations voire de fermetures d’entreprises peuvent retrouver du travail, etc. Au final, ainsi qu’indiqué plus haut, le CAE estime que « l’exil fiscal entraînerait au plus une baisse de -0,03 % de chiffre d’affaires, -0,05 % de valeur ajoutée totale de l’économie française, et -0,04 % de l’emploi total. » Un effet marginal à mettre en comparaison des avantages d’une meilleure imposition des plus riches : recettes publiques permettant de financer l’action publique et la protection sociale (avec un effet de soutien au pouvoir d’achat de l’ensemble des ménages), renforcement de la cohésion sociale et du consentement à l’impôt, etc.

Les conclusions du CAE confirment ce qui avait été observé dans le comportement des redevables de l’ISF. Ceux-ci disposaient de placements immobiliers (ceux-ci représentaient 20 à 40 % de leur patrimoine imposable à l’ISF) qu’ils n’emportaient évidemment pas lorsqu’ils déclaraient partir à l’étranger. Ils disposaient également de placements financiers tant en France qu’à l’étranger. Et lorsqu’ils partaient à l’étranger, ils conservaient les mêmes placements, en France et à l’étranger. Ce qui explique que l’impact sur l’économie soit nul ou marginal.

3/ Mieux et plus imposer les plus riches, possible et nécessaire

Sous le seul prisme de l’impact d’une hausse de l’imposition des plus riches sur l’économie, il est donc démontré que celle-ci est possible. En d’autres termes, contrairement aux discours de ceux qui avancent qu’une telle mesure se traduirait par une fuite des plus riches, donc par un impact budgétaire et économique négatif, elle dégagerait des recettes fiscales supplémentaires.

D’autres avantages seraient retirés de l’instauration d’un mécanisme de type « Taxe Zucman », d’un impôt sur la fortune rénové à assiette élargie par rapport à l’ex-ISF ou encore d’une rénovation de l’imposition de la transmission des patrimoines (droits de donation et de succession) grâce à l’instauration d’un plafond au pacte Dutreil par exemple [1]. Le premier consiste en la réduction des inégalités, un des objectifs historiques de la fiscalité. Le second est difficilement estimable en termes monétaires mais il est essentiel : renforcer la contribution des plus riches renforcerait le consentement à l’impôt et permettrait de mieux respecter l’un des principes fondamentaux du système fiscal : l’égalité devant l’impôt.

*Voir sur le sujet :
 le rapport du syndicat Union SNUI-SUD Trésor Solidaires (devenu Solidaires Finances publiques) sur les « expatriations fiscales », octobre 20210.
 le rapport de la Direction générale des finances publiques relatif aux contribuables quittant le territoire national, 2018.
 le rapport d’ l’Institut des politiques publiques, Évaluation des réformes de la fiscalité du capital, rapport IPP n° 47, octobre 2023.
 le rapport du Conseil d’analyse économique de juillet 2025 intitué : « Fiscalité du capital, quels sont les effets de l’exil fiscal sur l’économie ? », Focus n° 118, juillet 2025. ;

Notes

[1Ce dispositif permet à un dirigeant d’entreprise e transmettre les titres de celle-ci en bénéficiant d’une exonération de 75 % de la valeur des titres. Le Pacte Dutreil est particulièrement prisé par les ultrariches qui, en transmettant tout ou partie de leur groupe, réalisent une économie d’impôt se chiffrant en milliards d’euros, ce qui contribue à la reformation d’une société de rentiers.