Impôt sur la fortune financière, hausse des dépenses publiques, un rapport de France stratégie qui fait débat...
Le rapport de France stratégie intitulé « Les incidences économiques de l’action pour le climat », confié à Jean Pisani-Ferry fait débat. Il livre plusieurs préconisations pour que la France parvienne à respecter ses objectifs d’émissions de gaz à effet de serre. Parmi ces préconisations, l’une remet frontalement en cause plusieurs dogmes néolibéraux en matière de politique fiscale. Là où ceux-ci prônent une baisse des prélèvements obligatoires et notamment une baisse de l’impôt des plus riches, le rapport préconise « un accroissement des prélèvements obligatoires » et l’instauration d’un impôt exceptionnel sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés, même si le rapport voit dans cet impôt un prélèvement exceptionnel et temporaire. Bien évidemment, sans surprise, Bruno Le Maire et Olivier Véran ont immédiatement fait part de leur opposition à cette idée. Ces préconisations méritent donc un premier commentaire.
Sans surprise, le rapport confirme que, « dans les dix ans à venir, la décarbonation va appeler un supplément d’investissements d’ampleur (plus de deux points de PIB en 2030, par rapport à un scénario sans action climatique) ». Un objectif de plus en plus difficilement atteignable, en témoignent la campagne gouvernementale sur l’impact d’un réchauffement climatique de 4 degrés ou tout simplement les propos mêmes du rapport selon lequel « nous ne sommes pas encore sur la trajectoire de la neutralité climatique ».
D’ici 2030, le financement de ces investissements aura donc un coût économique et social. Or, selon les auteurs du rapport, « La transition est spontanément inégalitaire ». Les dépenses nécessaires à la rénovation du logement, au changement du vecteur de chauffage, à l’achat d’un véhicule électrique représentent une partie importante du revenu des ménages les plus pauvres et des classes moyennes que le rapport chiffre à une année de revenu pour ces dernières. Or, ce type d’investissement ne peut s’avérer rentable qu’à long voire à très long terme. Un réel soutien public est donc indispensable. Le rapport se veut clair : « Le coût économique de la transition ne sera politiquement et socialement accepté que s’il est équitablement réparti ».
Les dépenses publiques nouvelles nécessaires sont évaluées à 10 points de produit intérieur brut (PIB, qui s’élevait à 2.643 milliards d’euros fin 2022) en 2030, 15 points en 2035 et 25 points en 2040 et cela, « en supposant que la baisse des recettes assises sur l’énergie est compensée ». Pour les auteurs, qui remettent ainsi en cause l’un des dogmes néolibéraux en matière de politique budgétaire, synonyme de totem pour l’actuel gouvernement, « il ne sert à rien de retarder les efforts au nom de la maîtrise de la dette publique ». Les auteurs indiquent même que la dette publique va s’alourdir de 10 points de PIB à l’horizon 2030, et sans doute de 25 points de PIB à l’horizon 2030. On est loin du discours officiel de la macronie !
Certaines des pistes livrées dans le rapport ont de quoi interpeller positivement Attac, qui avait livré des propositions dans sa note d’octobre 2022 « Reprendre la main, pour financer la bifurcation sociale et écologique ». En effet, le rapport préconise notamment une remise en question des dépenses budgétaires ou fiscales brunes (qui favorisent les énergies fossiles), et en complément de l’endettement, d’accroître les prélèvements obligatoires qui « pourrait notamment prendre la forme d’un prélèvement exceptionnel, explicitement temporaire et calibré ex ante en fonction du coût anticipé de la transition pour les finances publiques, qui pourrait être assis sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés ». L’objectif est donc tout à la fois de dégager des recettes et de rétablir davantage d’équité.
Cette proposition se heurte aux orientations fiscales du pouvoir qui, depuis la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière, fait tout pour éviter le retour d’un impôt sur la fortune qui imposerait les actifs financiers. Certes, le rapport se montre prudent en insistant sur le caractère temporaire de cet impôt alors que tout plaide pour un impôt pérenne : il en va ainsi du financement de la transition, qui nécessite des recettes permettant d’investir sur le long terme et de la nécessaire « équité », terme auquel Attac préfère celui de justice fiscale.
Le rapport pointe par ailleurs le risque inflationniste, estimant que « les banques centrales vont devoir préciser leur doctrine et expliciter leur réponse aux pressions sur les prix qu’induira la transition. Elles doivent au minimum conduire la politique monétaire avec doigté ». L’objectif d’un retour prochain à un taux d’inflation annuel de 2% est donc peu réaliste. Cette approche suscite nécessairement l’intérêt puisque notre association considère que, pour une réelle bifurcation sociale et écologique, le mandat des banques centrales devrait être modifié. Au lieu d’avoir la lutte contre l’inflation comme seul objectif, le mandat devrait mettre en priorité le soutien aux investissements dans les domaines sociaux et écologiques. Là aussi, on peut relever un (petit) coin dans les dogmes néolibéraux.
Qu’on le juge tiède ou au contraire radical, c’est donc peu de dire que le rapport fait débat. D’ores et déjà, plusieurs chroniqueurs sont montés au créneau pour critiquer ces propositions, estimant que d’autres moyens existent, telle bien évidemment une forte réduction des dépenses publiques. Le simple fait que la pensée néolibérale critique ce rapport montre son intérêt !