
Impôt sur les sociétés : 14 milliards d’euros en plus si les grandes entreprises avaient le même taux d’imposition que les PME…
En matière d’impôt sur les sociétés (IS), tous les travaux menés sur la question des taux réels d’imposition montrent que, de longue date, et quelle que soit la méthode employée, celui des grandes entreprises est systématiquement inférieur à celui des petites et moyennes entreprises (PME).
En 2019, il avait été ainsi démontré que le taux d’imposition des sociétés (IS) des PME s’élevait à 23,7 % de leurs bénéfices quand celui des grandes entreprises n’était que de 17,8 %*. En 2023, le Conseil des prélèvements obligatoires avaient également montré que les écarts d’imposition entre entreprises perduraient **, ce qu’un rapport d’information de l’Assemblée nationale confirmait cette année-là***. Les derniers travaux de l’INSEE confirment ce diagnostic.
Dans une période marquée par un intense débat sur la justice fiscale et sur la dette publique, il est logiquement apparu instructif de montrer que, si les grandes entreprises avaient le même taux d’imposition que les PME, l’IS dégagerait un surplus de recettes important. Nous estimerons ici ce surplus théorique (1) avant de rappeler l’une des principales raisons de cette anomalie que constituent les écarts d’imposition (2).
1/ Le taux réel d’imposition des grandes entreprises est toujours inférieur à celui des petites et moyennes entreprises
La baisse du taux nominal de l’impôt sur les sociétés (IS) de 33,3 % en 2017 à 25 % en 2022, qui a provoqué sur cette période un manque à gagner estimé au minimum à 11 milliards d’euros, n’a donc pas résorbé l’écart d’imposition entre grandes entreprises et plus petites. En somme, l’IS a baissé, mais pas dans les mêmes proportions suivant la taille des entreprises.
L’INSEE vient donc, à nouveau, de le démontrer dans une étude : le taux réel d’imposition des bénéfices des grandes entreprises est sensiblement inférieur à celui des petites entreprises (PME et microentreprises).
Cette étude fait ainsi apparaître que, entre 2017 et 2022, soit au terme du mouvement progressif de baisse du taux nominal de l’IS à 25 % :
– le taux implicite [1] brut des petites et moyennes entreprises (PME) n’a reculé que de 1,7 point sur la période, pour s’établir à 21,4 % en 2022 ;
– celui des microentreprises a augmenté de 0,4 point sur la période pour atteindre 19,0 % ;
– celui des entreprises de taille intermédiaire a baissé de 3,4 points pour passer à 17,8 % ;
– celui des grandes entreprises baisse de 5,0 points pour atteindre 14,3 % [2].
Il est important de rappeler que ces données se basent sur ce qui est déclaré. Les bénéfices transférés dans des filiales établies à l’étranger par voie d’évasion et de fraude fiscales ne sont donc pas comptabilisés dans les données que nous avons utilisées ici. Or, cette pratique qui des entreprises multinationales vient diminuer leur taux réel d’imposition global. En 2018, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les pays riches et les pays à revenu moyen avaient une part plus élevée du total des employés (34 % et 38 %) et du total des immobilisations corporelles (37 % et 24 %) que des profits (27 % et 18 %) des multinationales. A contrario, dans certains « centres financiers d’investissement (en clair, des paradis fiscaux [3]), en moyenne, ces grandes entreprises déclarent une part relativement plus élevée de leurs bénéfices (29 %) par rapport à leur part d’employés (4 %). C’est sur la base de ce constat que l’imposition minimum de 15 % des multinationales, qui constitue l’aveu que les grands groupes ont un taux réel d’imposition très faible, avait été instauré. Annoncé comme une grande avancée, ce dispositif mériterait un bilan public afin de voir s’il est pleinement mis en œuvre.
2/ Les « niches fiscales » réduisent sensiblement le rendement de l’IS
L’étude de l’INSEE note par ailleurs que « L’imposition sur leurs bénéfices est cependant loin d’être déterminée uniquement par ce taux normal de l’IS. Par exemple, les petites sociétés bénéficient d’un taux réduit sur une partie de leur assiette. De plus, la base fiscale à laquelle s’applique ce taux normal est affectée par différents dispositifs (reports de déficit, déductions, régime de groupe, etc.) dont l’impact dépend également des caractéristiques des sociétés. En outre, des mécanismes de crédits d’impôts réduisent in fine le montant de l’IS acquitté. Finalement, exprimés en point de PIB, les montants d’IS situent la France à un niveau proche de la moyenne des pays de l’UE ». Ce constat, qu’Attac a déjà dressé à plusieurs reprises, se vérifie de longue date.
L’IS représentait ainsi 2,2 % du PIB en 1990, 2,9 % en 2000, 2 % en 2010 (année post-covid), 2,4 % en 2021 et 2,8 % en 2024 en France alors qu’au sein de l’OCDE, il représentait en moyenne 2,4 % en 1990, 3,1 % en 2000, 2,7 % en 2010, 3,3 % en 2021 et 3,9 % en 2024. En d’autres termes, le poids relatif de l’IS dans le PIB en France est systématiquement inférieur à celui de la moyenne de l’OCDE.
Dans une étude récente, la DGFIP relève que « Le crédit d’impôt recherche (CIR) représente 62 % des montants utilisés en 2024. Parmi les autres principaux dispositifs, la réduction d’impôt pour le mécénat est le deuxième dispositif en montant (1,6 Md€) et en nombre d’entreprises (158 000) [4] ». Et, selon France stratégie, « Cette réduction atteint 8 points l’année du recours au CIR et tend ensuite vers 15 points les années suivantes pour les entreprises les moins imposées (IS rapporté à l’excédent brut d’exploitation autour de 15 %) et passe de même de 5 à 10 points pour les entreprises plus imposées (IS rapporté à l’EBE autour de 27 %) [5] ». Cette niche est très concentrée sur les grandes entreprises. Selon un rapport du Sénat, « les cinquante premières entreprises bénéficiaires du CIR concentrent à elles seules près de 45 % du bénéfice du dispositif, tandis que les 200 premières entreprises représentent près des deux tiers du coût total [6] ».
De la même manière, les grands groupes utilisent massivement le mécénat d’entreprises. Selon la DGFiP, « les grandes entreprises ont déclaré avoir donné 900 millions d’euros, soit 57 % du total des dons des entreprises, alors qu’en 2021 elles ont donné près de 1,3 milliard d’euros, soit 49 % des dons d’entreprises [7] ». Les fondations figurent parmi les grandes bénéficiaires de ces dons. Les entreprises donnent donc à des fondations qui portent leur nom… Ce dispositif a été vertement critiqué par la Cour des comptes, pour qui la notion de l’intérêt général est trop large [8]. En outre, il est parfois détourné de son objectif initial : c’est notamment le cas de grandes marques qui utilisent leurs dons à des fins de publicité. La Cour juge cette niche fiscale trop laxiste au regard des autres dispositifs européens : il est en effet « sans équivalent parmi les pays comparables à la France ». Enfin, la Cour estime que l’efficacité de la mesure est mal évaluée et peu contrôlée, en particulier sur le plan fiscal.
S’il existe bien d’autres niches fiscales orientées vers les entreprises, ces deux exemples montrent à eux seuls que leur coût ampute les recettes de l’IS, très largement au bénéfice des grandes entreprises, ce qui explique que leur taux réel d’imposition soit bien plus faible que ce que le taux nominal de 25 % affiche.
Les écarts d’imposition entre entreprises sont le reflet d’un système de plus en plus injuste, comme les écarts d’imposition entre particulier l’ont par ailleurs montré. Le minimum en termes d’équité fiscale est par conséquent de faire en sorte sur le taux d’imposition des PME ne soit pas plus élevé que celui des grandes entreprises. Celles-ci, comme les ultrariches s’agissant des particuliers, doivent donc elles aussi payer leur juste part d’impôt.
Pour remédier à cette injustice, les revendications d’Attac portent, notamment, sur la neutralisation de l’évasion fiscale des entreprises grâce notamment à une véritable taxation unitaire des multinationales et à un renforcement des moyens de contrôle, une imposition des rachats d’actions, l’arrêt immédiat de la baisse des impôts dits « de production » et l’engagement sans tarder d’une revue des « niches fiscales et sociales ».
* Institut des politiques publiques, « L’hétérogénéité des taux d’imposition implicites des profits en France : constats et facteurs explicatifs », rapport IPP n°21, mars 2019
** Rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, « Les différences d’imposition sur les bénéfices entre PME et les grandes entreprises, juillet 2023.
*** Rapport d’information de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale sur les différentiels de fiscalité entre entreprises, juillet 2023.
Pour en savoir plus
Note du 4 juillet 2025 : « Qui veut gagner des milliards ? En finir avec les niches fiscales injustes »
Article « Un autre budget est vital : l’argumentaire d’Attac »
Rapport du 26 mars 2025, « La dette de l’injustice fiscale »
Le site de l’Observatoire de la justice fiscale
Livre d’Attac, « L’évasion fiscale, toute une histoire »juillet 2024