« Jour de libération fiscale » : en finir avec une tromperie dangereuse
C’est l’un des « marronniers fiscaux » : le jour de « libération fiscale » est annoncé par une presse traditionnellement anti-fiscale (Le Figaro, Valeurs actuelles) sur la base d’un discours simpliste : à partir du dimanche 17 juillet, les français.es travailleraient pour eux et non plus pour l’État, la Sécurité sociale et les collectivités locales. A cette occasion, sont dénoncés pèle mêle les niveaux des prélèvements obligatoires et de la dépense publique, jugés inévitablement trop élevés et grevant le pouvoir d’achat des ménages. Ce discours est délibérément partial, partiel et trompeur. Il accumule les erreurs (délibérées).
1ère erreur : mélanger les prélèvements obligatoires et la dépense publique
Le taux de prélèvements obligatoires rapportés au produit intérieur brut (PIB) était de 43,8 % 2021 et serait selon les prévisions de 43,4 % en 2022. Pris au pied de la lettre, le jour de « libération fiscale » ne peut donc intervenir le 17 juillet mais plutôt le 7 juin. Passons. Car en réalité, pour choquer l’opinion, les promoteurs de cette « journée » ne tiennent pas compte des prélèvements obligatoires mais du niveau de la dépense publique (soit 55,7 % du PIB en 2022). La dépense publique est certes financée par les prélèvements obligatoires, mais également par d’autres ressources non fiscales (13,2 milliards d’euros en 2018) comme les produits du domaine de l’État, les dividendes que celui-ci perçoit ou encore les ressources non fiscales locales des collectivités locales. Un fâcheux oubli qui discrédite le prétendu sérieux de ce discours.
2ème erreur : oublier sciemment ce que financent les prélèvements obligatoires
Les tenants de la « libération fiscale » omettent juste de rappeler ce que financent les prélèvements obligatoires via la dépense publique. Les services publics (l’éducation, la santé, la justice, la recherche publique, la culture, la sécurité…), les infrastructures de réseaux (énergie, transports, etc), les pensions de retraite, les remboursements de dépenses de santé, l’indemnisation du chômage, les prestations sociales (notamment les prestations familiales que la presse conservatrice défend par ailleurs…), les minima sociaux, la prise en charge (à parfaire) de la perte d’autonomie, et nous en passons.
Autrement dit, lorsque la collectivité prend en charge des besoins en mettant au « pot commun » grâce aux prélèvements obligatoires, les ressources collectées sont immédiatement réinjectées dans l’économie en fonction des besoins identifiés. Le pouvoir d’achat des ménages s’en ressent donc, puisque la plupart d’entre eux ne pourrait pas financer par exemple des études à leurs enfants si tout était privatisé (une année au lycée coûte entre 8.000 et 10.000 euros…). De fait, un service privé revient plus cher à ses utilisateurs (il faut facturer le profit) comme l’ont montré les autoroutes ou, aux États-Unis, le système de santé, plus coûteux et plus inégalitaire que les systèmes socialisés. Nier la fonction sociale mais aussi économique des prélèvements obligatoires achève de discréditer le discours grossier de la « libération fiscale ».
3ème erreur : ignorer que le problème, ce n’est pas le prélèvement obligatoire mais les injustices fiscales et sociales
Dans leur diatribe « anti fiscale », les promoteurs du jour de « libération fiscale » oublient que ce qui grève le pouvoir d’achat, dégrade le consentement à l’impôt et nourrit les inégalités, ce sont les politiques fiscales menées depuis une trentaine d’années. De ce point de vue, le dernier quinquennat a été d’une certaine façon remarquable. La transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière, l’instauration du prélèvement forfaitaire unique et la baisse des impôts sur les entreprises (notamment les plus grandes, avec la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés à 25 % et la baisse des impôts locaux des entreprises, les fameux « impôts de production ») sont autant de mesures prises au nom du ruissellement. Celui-ci ne s’est pas produit, comme le confirment les rapports du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital rattaché à France stratégie ou, plus récemment, les analyses portées par exemple par Patrick Artus pour qui « En France, la baisse de la fiscalité du capital est un échec » (tribune publiée sur le site de Challenges le 11/07/2022).
Les contempteurs des prélèvements obligatoires font également partie de ceux qui dénoncent l’assistanat et la fraude aux prestations sociales, omettant, là aussi, de rappeler que cette fraude est faible et inférieure tout à la fois aux économies réalisées du fait du « non recours » et à la fraude fiscale, curieusement absente de leur discours. Ils oublient également le coût faramineux des aides publiques aux entreprises dont le coût s’était envolé déjà avant la crise Covid (passant de 65 milliards d’euros en 2007 à 140 milliards en 2019).
A l’inverse des pourfendeurs de tout ce qui ressemble de près ou de loin à un impôt ou une cotisation, l’urgence consiste à réformer le système fiscal et à renforcer la lutte contre la fraude fiscale afin de mieux financer l’action publique, réduire les inégalités et prendre en charge les besoins sociaux et écologiques notamment.
S’il devait y avoir un jour à célébrer, ce serait le jour de la justice fiscale...