L’évitement de l’impôt perdure et se développe (rapport de l’Observatoire européen de la fiscalité)
Certains travaux sont d’utilité publique et démocratique. Le rapport de l’Observatoire européen de la fiscalité intitulé « Global tax évasion report 2024 » publié ce 23 octobre 2023 en fait partie. Ce rapport fait le point sur les mesures prises face à l’évasion fiscale internationale et les stratégies mises en œuvre par les personnes les plus riches et les multinationales en matière d’évitement de l’impôt au niveau mondial. Ce rapport, préfacé par le lauréat du prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, a été préparé par le personnel de l’Observatoire fiscal de l’UE, un nouveau laboratoire de recherche dirigé par Gabriel Zucman, lauréat de la médaille John Bates Clark en 2023. C’est dire l’importance qu’il revêt, qui plus est dans un contexte d’intense concurrence fiscale et de besoins croissants de financement pour faire face aux enjeux environnementaux et sociaux.
Pour l’Observatoire, « Au cours des dix dernières années, les gouvernements ont lancé des initiatives majeures pour réduire l’évasion fiscale internationale ». Mais, malgré l’importance de cette évolution, on sait peu de choses sur les effets de ces mesures sur l’évolution de l’évitement de l’impôt, entendu ici au sens large : optimisation agressive, évasion et fraude. Le rapport résume donc les travaux menés par plus de 100 chercheurs dans le monde entier pour quantifier l’ampleur et la dynamique de l’évasion fiscale, une collaboration internationale sans précédent en matière de recherche.
Pour Gabriel Zucman, co-auteur du rapport : "L’évasion fiscale, la dissimulation de richesses, le transfert de bénéfices vers les paradis fiscaux ne sont pas des lois de la nature. Elles sont le résultat de choix politiques ou de l’incapacité (l’absence) à faire certains choix. Il est nécessaire d’évaluer les conséquences des politiques adoptées dans ce domaine et d’étudier les autres mesures à prendre pour améliorer la viabilité de nos systèmes fiscaux.Il y a, fondamentalement, un besoin pour un GIEC de la fiscalité - et nous espérons contribuer à cette évolution avec ce rapport qui est le premier du genre".
Le rapport étudie notamment les effets des réformes internationales (autrefois considérées comme utopiques) adoptées au cours des 10 dernières années : l’échange international automatique d’informations bancaires entré en vigueur depuis 2017 ou encore l’accord international sur un impôt minimum mondial pour les sociétés multinationales, approuvé par plus de 140 pays et territoires en 2021 et qui devrait être mis en œuvre au 1er janvier 2024 au sein de l’Union européenne. Pour Gabriel Zucman, les recherches de l’Observatoire montrant une certaine efficacité de la lutte contre le secret bancaire mais révèlent « un affaiblissement spectaculaire de l’impôt minimum mondial sur les sociétés multinationales » ainsi que « des problèmes qui restent sans réponse, comme les taux d’imposition effectifs toujours bas des milliardaires du monde entier ».
Le rapport montre ainsi que l’évasion fiscale n’est possible que grâce à une volonté politique et que, lorsque celle-ci veut la combattre, elle peut y parvenir, en témoigne les résultats produits par l’échange automatique d’informations. Mais celle-ci demeure trop peu présente. À titre d’exemple, l’accord de l’OCDE sur l’instauration d’un taux mondial minimal de 15 % s’annonce bien peu efficace. Surtout, les pratiques d’évitement de l’impôt évoluent : exploitant les manques et les failles juridiques, elles se situent à la frontière de la légalité, mais elles sont de plus en plus fréquentes. L’une des données les plus spectaculaires est le taux réel d’imposition ds milliardaires du monde entier, compris entre 0 à 0,5 % de leur fortune, en raison de l’utilisation fréquente de sociétés écrans pour échapper à l’impôt sur le revenu et d’une stratégie visant à placer leur fortune personnelle dans ce qui est officiellement considéré comme un patrimoine professionnel. Pour l’Observatoire, à ce jour, aucune tentative sérieuse n’a été faite pour remédier à cette situation qui risque de compromettre l’acceptabilité sociale des systèmes fiscaux actuels.
Le rapport contient des propositions visant à améliorer la durabilité de nos systèmes fiscaux et à réconcilier la mondialisation avec la justice fiscale et montre comment les déficits publics pourraient être réduits par le biais d’accords internationaux et d’actions unilatérales. Ce qui permettrait également de financer la bifurcation sociale et écologique qu’Attac appelle de ses voeux.
Pour Gabriel Zucman : "L’une des principales propositions que nous examinons dans le rapport est d’instituer un impôt minimum mondial sur les milliardaires, égal à 2 % de leur fortune. C’est la suite logique de l’impôt minimum mondial sur les sociétés multinationales, qui démontre qu’il est possible pour les pays de se mettre d’accord sur des taux d’imposition minimaux. Nous fournissons une première estimation du potentiel de recettes de cette mesure, montrant qu’elle permettrait de collecter près de 250 milliards de dollars (provenant de moins de 3 000 personnes) par an ».
Signalons également que le rapport est lancé en même temps que l’Atlas du monde offshore, une nouvelle base de données actualisée qui offre des informations actualisées sur la dynamique du transfert de bénéfices par les sociétés multinationales et sur la richesse offshore et l’évolution des taux d’imposition effectifs sur le travail et le capital à l’échelle mondiale.
Pour Attac, qui défend depuis 25 ans une justice fiscale, sociale et écologique globale, ce rapport mérite d’être salué. Il porte des propositions que l’association partage, comme l’instauration d’un véritable impôt sur la fortune supranational, porter immédiatement le taux minimum des multinationales à 25 % (ce qui serait pour Attac le premier pas vers une taxation unitaire), créer un registre mondial des actifs de toutes sortes ou encore le développement d’accords mondiaux visant à neutraliser la concurrence fiscale.