Le consentement à l’impôt passe par la justice fiscale
Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), organisme rattaché à la Cour des comptes, vient de publier le 9 février dernier un rapport instructif intitulé « Redistribution, innovation, lutte contre le changement climatique : trois enjeux fiscaux majeurs en sortie de crise sanitaire » accompagné d’un « baromètre des prélèvements obligatoires en France ». Le CPO rappelle à juste titre que le consentement à l’impôt, pilier d’une société démocratique, n’est jamais acquis, l’histoire de France étant en effet jalonnée de jacqueries, de crises et de débats passionnés.
Les enseignements des travaux du CPO sont particulièrement instructifs, ils ont le mérite de revenir sur les conséquences de la crise sanitaire mais aussi d’aborder la délicate question de la fiscalité énergétique qui, depuis plusieurs années, suscite des remous. Loin d’être contradictoires et paradoxales comme le prétendent certains médias, le sentiment et les attentes de la population en matière de fiscalité montrent un réel besoin de justice fiscale.
Consentement à l’impôt ou civisme fiscal ?
Le consentement à l’impôt est une acceptation du principe et de la nécessité de l’impôt, entendu ici au sens large. Il légitime l’impôt sociologiquement et politiquement ; autrement dit, il est considéré comme indispensable dans l’organisation de la vie en société. En théorie, cette légitimité permet de mieux vivre ensemble, de partager les richesses et, au bout du compte, de réduire au maximum l’évitement de l’impôt. Le civisme fiscal, promu au sein des administrations fiscales de nombreux pays, a pour sa part une portée plus limitée. Il se définit par le respect des règles. On peut donc être « civique » par peur d’un contrôle sans pour autant consentir réellement à la politique fiscale. Déjà soulignée dans plusieurs travaux, cette distinction salutaire est clairement effectuée par le CPO. Le sujet qui nous occupe ici est donc bien le consentement à l’impôt et non la lecture d’indicateurs sur le respect des obligations déclaratives, utiles par ailleurs mais peu révélateurs de l’état de l’opinion qui estime à 80 % que payer ses impôts est un acte citoyen.
Quelle lecture de nos concitoyens des « prélèvements obligatoires » ?
Rappelons-le, les prélèvements obligatoires sont constitués de l’ensemble des impôts, d’État et locaux, et des ressources sociales (cotisations sociales et contribution sociale généralisée). Pour 75 % de la population, le sentiment est que le niveau des impôts est trop élevé. Ils sont 60 % à considérer que le niveau des cotisations sociales est trop élevé. Un niveau moindre que le CPO explique très logiquement par la contre-partie des cotisations sociales, directe et visible, sous forme de prestations sociales (celles-ci représentant près du tiers du revenu global des ménages en France).
Les pourfendeurs des prélèvements obligatoires y verront la confirmation de leurs thèses et de leurs propositions de baisser les impôts. Or, en réalité, les attentes formulées dans les travaux du CPO montrent un réel besoin de justice fiscale. En effet, la dénonciation du trop haut niveau des impôts s’explique notamment par l’injustice fiscale et sociale : 82 % jugent le système fiscalo-social inéquitable. Un constat qui rejoint celui d’Attac...
Dans le détail, c’est en effet bien la répartition inégale de la charge fiscale qui est visée. Selon le CPO,« 62 % de Français considèrent qu’ils paient trop d’impôts, alors que 34 % trouvent leur niveau d’imposition juste (…) 66 % des Français jugent ainsi que les ménages aux revenus intermédiaires paient trop d’impôts, quand 48 % en disent de même pour les ménages les plus modestes, et seuls 21 % pour les plus aisés. Au total, 55 % des Français jugent la redistribution des richesses insuffisante, 27% d’entre eux la jugent trop importante et seulement 18 % la trouvent juste. En définitive, le système fiscal est jugé peu équitable par les Français ». Ce point est essentiel : il démontre que la population dénonce en réalité l’injustice fiscale. Le rapport du CPO le confirme d’ailleurs :« les prélèvements obligatoires sont globalement proportionnels ». Ce sont surtout les prestations sociales et les services publics qui, comme Attac l’a maintes fois souligné, permettent de réduire les inégalités.
Si le CPO montre que la population n’a pas une bonne connaissance des prélèvements obligatoires, ce qui confirme la nécessité d’une pédagogie citoyenne de l’impôt que mène pour sa part Attac, il apporte également un enseignement qui confirme la gravité de la crise démocratique. En effet, si la population a globalement confiance (70%) dans l’échelon communal pour utiliser l’argent public, cette confiance décroît au fur et à mesure que l’on s’élève dans les institutions. 33 % seulement ont confiance en l’État et 38 % dans l’Union européenne (plus lointaine et moins directement concernée vu la faiblesse de son budget) pour gérer l’argent public. La notion de contreparties plus « visibles » et « contrôlables » par la population est ici décisive. Par ailleurs, incontestablement, les différentes « affaires » (affaire Cahuzac, affaire Fillon…) et le sentiment d’une réelle déconnexion contribuent à cette dégradation. Pour Attac, on ajoutera pour sa part que les affaires d’évasion et de fraude fiscales des plus riches et des grands groupes ne peut que plomber le consentement à l’impôt et la confiance dans les pouvoirs publics dont la réaction est loin d’être à la hauteur des enjeux.
Dans ces conditions, sans surprise, les français refusent à 73 % une hausse des impôts visant à rembourser la « dette Covid ». Ils sont 77 % à estimer que, si un « impôt Covid » devait être instauré, ce serait aux entreprises de le payer, et notamment les grands groupes.
Consentement à l’impôt et « fiscalité énergétique » : compatible ?
La « fiscalité énergétique » (selon les termes mêmes du CPO) est un sujet sensible sur lequel les crispations sont nombreuses, en attestent les mobilisations des « bonnets rouges » en 2013 et des « Gilets jaunes » en 2018.
En la matière, le CPO identifier 3 blocages :
1. l’impopularité des impôts indirects (comme la TVA et la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, TICPE), majoritaires dans le système fiscal, ce qui rejoint également ce qu’Attac dénonce,
2. les différents impacts sur ce que le CPO nomme les « prisonniers de l’énergie » de fait de leur « position sociale modeste » et de leur lieu de résidence soit, en d’autres termes, l’impact de la fiscalité énergétique sur le revenu disponible de population aux revenus faibles et souvent éloignées des transports en communs et de leur lieu de travail,
3. les objectifs de cette fiscalité, jugés ambigus.
Ces facteurs de blocage montrent également le doute, pour ne pas dire la défiance, d’une grande partie de la population sur les objectifs réels du pouvoir. Celui-ci a beau vanter une fiscalité écologique, il n’en demeure pas moins que le sentiment demeure que la hausse de la fiscalité énergétique poursuit en réalité un objectif budgétaire. Circonstance aggravante, la hausse de cette fiscalité (soit de la TICPE) de 3,8 milliards d’euros est intervenue alors que le gouvernement supprimait l’impôt de solidarité sur la fortune pour un montant comparable… Au surplus, elle est intervenue alors que la pression sur les salaires était très forte.
De fait, c’est bien l’injustice de la fiscalité énergétique qui est en question. En effet, elle représente 7,2% du revenu des 20% de ménages les plus pauvres mais seulement 2,1% du revenu des 20% les plus riches ! Et, ainsi qu’Attac l’a montré dans son livre « Impôts : idées fausses et vraies injustices », cette injustice de répartition se double d’une injustice territoriale : elle représente en effet 4,5 % du revenu des ménages habitant dans une commune rurale mais seulement 2,1 % du revenu des ménages habitant à Paris.
Pour renforcer le consentement à la fiscalité énergétique, le CPO met en débat plusieurs pistes :
• affecter la fiscalité énergétique à des mécanismes redistributifs et à des investissements verts,
• articuler la fiscalité environnementale avec la politique environnementale globale,
• afficher une trajectoire lisible et crédible de la fiscalité environnementale,
• veiller à la cohérence de cette fiscalité avec les prélèvements obligatoires,
• soutenir au niveau de l’Union européenne le projet de la taxation de l’énergie et la création d’un mécanisme d’ajustement aux frontières.
Un travail qui confirme les analyses d’Attac
Nous l’avons vu, de nombreux éléments d’analyse rejoignent ce qu’Attac porte de longue date. Y compris, au-delà des questions évoquées dans le présent article. À titre d’exemple, le CPO n’épargne pas non plus le crédit d’impôt recherche (CIR) qu’il juge poliment « perfectible » et dont il appelle à une évaluation et une révision. Il rejoint en cela l’analyse dressée par l’Observatoire de la justice fiscale dans la note du 24 août 2021…
Les pistes mises en débat sur la fiscalité environnementale montrent une certaine inflexion et prise en compte de la question qui, pour Attac, demeure centrale : la justice fiscale par une meilleure redistribution fiscale et sociale. Sans trop s’avancer pour autant, le CPO introduit une notion d’acceptabilité liée à la question de la redistribution qui était assez largement absente des travaux officiels jusqu’ici. Cela montre que ça n’est pas le principe de la fiscalité environnementale, même si l’on préférera le terme de « fiscalité écologique », qui est rejeté mais simplement l’injustice fiscale. Certes, le CPO reste feutré dans ses analyses et prudent dans ses propositions. Il ne remet pas non plus en question le sens général des politiques fiscales de ses dernières années. Mais on relèvera que nombre des constats, appuyés par un baromètre inédit, renforce les analyses et positions d’Attac en faveur de la justice fiscale.