Les dissimulations du gouvernement sur son vrai bilan redistributif (3)
Le gouvernement a manifestement décidé d’en faire des tonnes sur son bilan dit « redistributif ». Pour Olivier Véran, ministre des solidarités et de la Santé, « L’Insee le confirme : en 2019, les revenus ont augmenté et la pauvreté a reculé. […] Notre stratégie contre la pauvreté en France est la bonne. » Olivier Dussopt, ministre délégué aux comptes publics, vante également de son côté la hausse du pouvoir d’achat de la population, les 10 % des foyers les plus modestes auraient ainsi vu leur niveau de vie augmenter de 4 %, contre 2 % pour les 10 % les plus riches. Un discours repris en chœur par les membres de la majorité présidentielle, le Premier ministre en tête.
A quelques mois des échéances électorales, la stratégie de communication du gouvernement est claire : marteler quelques données générales mais sans entrer dans les détails précis concernant d’une part, la réalité de la hausse du pouvoir d’achat et des niveaux de vie et d’autre part, sa façon de piloter les choix politiques. Cette stratégie souffre cependant de sérieux oublis… Nous en passons ici les principaux en revue.
1er oubli : les riches ont bel et bien été choyés (incomparablement plus que le reste de la population)
L’Observatoire d’Attac l’a déjà rappelé dans son billet du 21 octobre dernier : dans sa communication, le gouvernement fait l’impasse sur l’un des principaux marqueurs de sa politique fiscale, la hausse spectaculaire des revenus et du niveau de vie des plus riches. Celle-ci est chiffrée, elle est due notamment à la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) et à la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU, grâce auquel les revenus financiers et les plus-values financières ne sont plus imposés au barème progressif mais à un taux proportionnel avantageux pour les plus aisés). Et grâce auxquels ils se sont envolés...
Rappelons les chiffres : selon le 3ème rapport du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital de France stratégie, « Les foyers dont les dividendes ont augmenté de plus de 100.000 euros entre 2017 et 2018 ou entre 2018 et 2019 totalisent 9 milliards d’euros de dividendes supplémentaires en 2018 et 2019 par rapport à 2017, soit 100 % de la hausse nette constatée depuis 2017. (...). 3 900 foyers (0,01 % des foyers) concentrent 76 % des plus-values de droit commun en 2019, contre 62 % en 2017. »
2ème oubli du gouvernement : le taux de pauvreté a atteint un niveau record sous ce quinquennat
Le taux de pauvreté se calcule par rapport au revenu médian (soit le montant qui divise une population en deux groupes égaux, la moitié ayant un revenu supérieur à ce montant et l’autre moitié ayant un revenu inférieur). En 15 ans (soit de 2004 à 2019) le taux de pauvreté a progressé de 7 % à 8,2 % si on la calcule à 50 % du niveau de vie médian, et de 12,7 % à 14,6 % si on la calcule à 60 %. Le gouvernement a l’aplomb de prétendre que le taux de pauvreté a baissé de 0,2 points entre 2019 et 2020 : or il n’en situe pas moins à un niveau très élevé et pour tout dire, à un niveau record. Le taux de pauvreté a en effet atteint 14,8 % en 2018, soit le niveau le plus élevé depuis 1996, le taux de 14,6 % reste pour sa part en seconde place. Pour atteindre de tels niveaux, si l’on met à part l’année 1996, il faut remonter aux années 70...
Par ailleurs, l’intensité de pauvreté est élevée et se situe à l’un des niveaux les plus élevés de ces 25 dernières années (19,7 % en 2019). Cet indicateur montre à quel point le niveau de vie de la population pauvre est éloigné du seuil de pauvreté. Plus cet indicateur est élevé et plus la pauvreté est intense, autrement dit, plus elle est élevée et plus le niveau de vie des plus pauvres est très inférieur au seuil de pauvreté. Illustrons ceci par une donnée : 2 millions de personnes vivent avec moins de 700 euros par mois.
3ème oubli du gouvernement : les risques de basculer dans la pauvreté sont élevés
Si le nombre de privations (c’est-à-dire de dépenses impossibles à engager faute de moyens suffisants) déclarées par les ménages a tendance à se tasser depuis plusieurs années, le risque de pauvreté est tout de même passé de 13,3 à 13,6 % entre 2017 et 2019 et le risque de privation matérielle et sociale de 12,2 à 13,1 % sur la même période. Globalement, 11,7 % des ménages restent pauvres en conditions de vie en 2019, selon l’Insee. Ils ne parviennent pas à faire face à toutes les dépenses considérées comme nécessaires ou « normales » par l’INSEE telles que payer son loyer sans retard, partir en vacances une semaine par an, disposer d’un logement doté du confort sanitaire de base et bien chauffé, etc.
Par ailleurs, l’organisme France stratégie a montré que, depuis 2001, le poids des dépenses pré-engagées (les dépenses de logement par exemple) dans la dépense totale a augmenté de cinq points, passant de 27 % à 32 %. Ces dépenses représentent 40 % du budget des ménages situés au-dessous du seuil de pauvreté (les 14,6 % de personnes considérées comme « pauvres » et 34 % des personnes dites « modestes » situées au-dessus du seuil officiel de pauvreté. Celles-ci restent fortement exposées à la pauvreté monétaire, aux privations et/ou à la pauvreté en conditions de vie.
4ème oubli : le gouvernement vante des mesures qu’il ne voulait pas et qu’il a été forcé de prendre
En 2019, les évolutions des indicateurs de niveau de vie et de pauvreté monétaire traduisent en partie la mise en œuvre des mesures d’urgence économique et sociale, votées fin 2018 pour répondre au mouvement social des Gilets jaunes : prime d’activité versée aux travailleurs modestes élargie et augmentée (en 2019, 18 % des ménages bénéficient de la prime d’activité, contre 13 % en 2018), baisse du taux de contribution sociale généralisée (CSG) pour la moitié des retraités, mise en place d’une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat versée par l’employeur et exonérée de cotisations sociales et d’impôt, et exonération des heures supplémentaires de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu. Exonérations à double tranchant puisqu’elles assèchent les caisses de l’État qui justifient ensuite les politiques d’austérité dont sont victimes les services publics. L’urgence est bien sûr la hausse des salaires. Dernier exemple en date de cette gestion en forme de seaux d’eau jetés sur de gigantesques brasiers en devenir, le chèque de 100 euros censé aider 50 % de la population face à la hausse du coût de la vie. Plus qu’électoraliste, cette mesure est emblématique d’une approche qui refuse une véritable transformation sociale et écologique dans laquelle le vivre ensemble retrouverait du sens. Mais cela supposerait une volonté farouche de mieux répartir les richesses et d’engager une véritable bifurcation écologique. On en est très loin...
Ces mesures n’étaient pas prévues par Emmanuel Macron et son gouvernement. Elles ont été prises dans l’urgence pour tenter de répondre au mouvement des Gilets jaunes, après des mesures fiscales contestées qui ont, quoique le gouvernement prétend, contribué à creuser les inégalités sans relancer l’activité économique.
5ème oubli : on a changé la présentation, on ne change pas d’idéologie
Le pouvoir vante des mesures qu’Emmanuel Macron n’avait pas prévues dans son programme présidentiel mais, en même temps si l’on ose dire, maintient « coûte que coûte » des choix contestés, inefficaces et injustes. Au surplus, il pilote et instrumentalise quelques grands indicateurs de l’économie française en prenant des mesures ciblées voire temporaires sans que celles-ci n’opèrent de véritable transformation, de telle sorte de présenter des indicateurs inévitablement affichés in fine comme en amélioration. La réalité est différente et elle est têtue : la précarité et la pauvreté restent élevés, peu de personnes arrivent à en sortir durablement et une partie importante de la population éprouve de plus en plus de difficultés à faire face aux dépenses courantes. Au surplus, la plupart du temps, les améliorations de situation proviennent d’opérations de type « prime » ou « exonération » et non via une hausse durable des revenus. Et ce, alors que l’urgence d’une telle hausse est largement nécessaire. Tout comme il est nécessaire de revenir sur les choix fiscaux du début de quinquennat pour réduire les inégalités, dégager des recettes publiques et reconstruire le consentement à l’impôt.
En 2017, Emmanuel Macron avait promis d’évaluer ces réformes, laissant entrevoir un possible retour en arrière. Celui-ci n’aura pas lieu. En revanche, il poursuit ses réformes, celle de l’assurance chômage en vue de réaliser des économies budgétaires sur les dos des bénéficiaires et veut faire de même avec les systèmes de retraites. Avec des effets réels, notamment sur la partie la plus pauvre de la population. Le gouvernement le nie ou n’en parle pas. Un oubli de plus… Ces choix montrent clairement l’idéologie néo-libérale à l’œuvre.