Les superprofits de CMA CGM mettent en lumière une « niche fiscale » peu connue...
Le groupe CMA CGM vient d’annoncer un superprofit record de 23,4 milliards d’euros. C’est tout simplement le plus important profit dégagé par un groupe français. Soucieux de ne pas relancer le débat sur les superprofits, le groupe a communiqué sur l’importance du réinvestissement de ses bénéfices. Il peut cependant difficilement éviter le débat sur une « niche fiscale » peu connue dont il est le principal bénéficiaire.
Instaurée en 2003, cette disposition est en réalité une taxe au tonnage des navires, soit un impôt forfaitaire lié à leur capacité globale de transport. Avec cette mesure, officiellement destinée à favoriser l’essor du pavillon français et à promouvoir l’emploi dans la filière maritime française en mettant les armateurs français à armes égales avec leurs concurrents, le profit imposable des entreprises concernées n’est calculé que sur la base du tonnage de leurs navires. L’assiette est donc beaucoup plus étroite que le bénéfice imposable à l’impôt sur les sociétés tel qu’il résulterait de l’application des règles de droit commun. Il s’agit d’une disposition visant à soutenir la concurrence des pavillons de complaisance.
De quels « concurrents » parlons-nous ? Selon les données de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (UNCTAD), la grande majorité du transport maritime mondial se fait sous pavillons de complaisance, qui présentent des législations, fiscales, sociales et environnementales plus qu’accommodantes… En 2022, trois de ces pavillons de complaisance, des paradis fiscaux et judiciaires notoires (le Panama, le Liberia et les Îles Marshall), représentaient 44,3 % de la capacité mondiale de chargement. Si l’on ajoute les îles Marshall, Singapour, la Chine, Malte et les Bahamas, ce sont les trois quarts des capacités mondiales de chargement qui sont ainsi représentés par une poignée d’États qui tirent les législations vers le bas.
Cette dépense (ou niche) fiscale est intitulée « Détermination du résultat imposable des entreprises de transport maritime en fonction du tonnage de leurs navires ». Son coût a littéralement explosé, passant de 40 millions d’euros pour 46 entreprises en 2020 à 395 millions d’euros pour 40 entreprises en 2021 puis à 3,81 milliards d’euros pour 40 entreprises environ en 2022. L’explosion du coût de cette niche (qui représente le manque à gagner par rapport à ce qu’aurait rapporté l’impôt sur les société) coïncide avec celle des profits de CMA CGM : ceux-ci s’élevaient à 34 millions d’euros en 2018, 13 millions de dollars en 2019 (avant l’enregistrement d’une perte due à une écriture comptable), 1,75 milliard de dollars en 2020, 17,9 milliards de dollars en 2021 et 24,88 milliards de dollars (23,4 milliards d’euros) en 2022. Cette mesure permet au groupe CMA CGM d’accélérer son expansion par le rachat de plusieurs entreprises.
La période l’a une fois de plus démontrée : les superprofits sont de retour dans plusieurs secteurs. Une taxe sur les superprofits et une « revue des niches fiscales » sont des urgences absolues. Plus largement, une mission parlementaire d’information sur la stratégie de développement et de prises de participations des grands groupes s’avère également nécessaire. Vu la part des profits des multinationales dans les profits mondiaux (4 % en 1975 contre 18 % en 2019, avant la vague de superprofits), la domination des multinationales sur l’activité économique mondiale et leurs stratégies d’évitement de l’impôt nécessitent un contrôle public, une véritable transparence et une réforme fiscale. C’est également à ce prix que la bifurcation sociale et écologique pourra s’engager.