Macron : « Plus heureux et plus forts tous ensemble », vraiment ?

, par Équipe de l’Observatoire

"Avec vous", "plus heureux et plus forts tous ensemble"... après analyse de son programme, ces formules de campagne d’Emmanuel Macron semblent en réalité s’adresser à une frange très réduite et aisée de la population ainsi qu’aux grandes entreprises. Le reste de la population attendra.

Nouveaux cadeaux aux plus riches, inflexible avec les plus fragiles ou les plus défavorisés, mort programmée de pans entiers du service public et de la protection sociale... Le programme électoral d’Emmanuel Macron se résume en une formule : à droite toute.

Notre rapport sur les candidats des inégalités était revenu sur le bilan du quinquennat et sur les premières orientations que le président-candidat commençait à esquisser. Désormais publié, son programme ne dépare pas avec ceux des autres « candidats des inégalités » (Zemmour, Le Pen et Pécresse) tant ces 4 personnalités portent décidément une orientation commune : l’aggravation des injustices fiscales et sociales.

Plus loin dans l’injustice fiscale

Emmanuel Macron ne veut pas revenir sur les mesures contestées, injustes et inefficaces de son quinquennat et défend, comme les autres candidats des inégalités (voir notre rapport), une baisse des droits de donation et de succession ainsi que des impôts locaux des entreprises (abusivement dénommés « impôts de production »). En voulant relever l’abattement applicable en matière de droits de donation et de succession de 100 000 à 150 000 euros, Emmanuel Macron propose un nouveau cadeau aux riches, qui pourraient ainsi optimiser davantage leur stratégie patrimoniale en matière de transmission. Alors qu’avec l’abattement actuel, une famille de 2 parents et 2 enfants peut déjà transmettre 400 000 euros de patrimoine aux enfants tous les 15 ans, un relèvement à 150 000 euros leur permettrait de transmettre 600 000 euros en franchise d’impôt, tous les 15 ans. Une telle mesure ne favoriserait pas la « transmission populaire » et ne profiterait qu’aux riches. Seules les personnes disposant d’un tel patrimoine en bénéficieraient, soit une petite minorité puisqu’en France, le patrimoine net médian s’élève à 117 000 euros. Cette mesure viendrait baisser le taux d’imposition des successions qui, selon France stratégie, ne s’élève aujourd’hui qu’à 5 % (3 % en ligne directe)... 

Emmanuel Macron propose également une nouvelle baisse des « impôts de production » de 7 milliards d’euros en supprimant la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises. Les petites entreprises n’en bénéficieront pas puisqu’elles ne la paient pas. Avec cela, les finances des collectivités locales dépendraient davantage de l’État, lequel veut leur imposer une baisse de leurs dépenses par voie contractuelle, ce qui provoquera l’abandon ou la privatisation de services publics locaux. Il s’agit d’un nouveau cadeau fiscal aux grandes entreprises, au détriment des services publics.

Fort avec les faibles

Emmanuel Macron réussit le tour de force de doubler Valérie Pécresse sur sa droite lorsqu’il propose que les bénéficiaires du RSA travaillent 15 à 20 heures par semaine, réinventant un travail forcé qui dégradera la situation sociale des personnes concernées. Comble du cynisme, il a eu l’audace de déclarer que le RSA provenant du revenu minimum d’insertion, celle-ci doit s’effectuer par le travail. Or, l’insertion consistait en une insertion sociale et professionnelle, soit l’opposé du travail forcé. Celui-ci exercerait par ailleurs une concurrence déloyale sur les salarié.es, notamment les plus fragiles (parmi lesquels les « premières et premiers de corvée » dont de nombreuses femmes, davantage exposées à la précarité).

Emmanuel Macron emprunte également délibérément aux partis traditionnels de droite en matière de « réforme des retraites » : abandonnant son projet de réforme systémique, il propose désormais de repousser l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans. Cette mesure est injuste à plusieurs titres.

Elle creuserait les inégalités de revenus. Sachant que le taux d’emploi des plus de 55 ans n’est que de 55 %, une telle mesure prolongera la durée pendant laquelle les plus de 55 ans seront au chômage et se traduira par une hausse de la précarité. Par ailleurs, proposer une évolution progressive du minimum vieillesse à 1 100 euros signifie simplement de suivre tant bien que mal l’inflation, ce qui ne résoudra en rien la question des retraité.es pauvres…

Elle creuserait les inégalités sociales. Les hommes parmi les 5 % les plus aisés, qui disposent en moyenne de 5 800 euros par mois ont une espérance de vie à la naissance de 84,4 ans. À l’opposé, les 5 % des hommes les plus modestes vivant avec 470 euros par mois ont une espérance de vie de 71,7 ans. Les hommes les plus riches vivent en moyenne 13 ans de plus que les plus pauvres. S’agissant des femmes, l’espérance de vie à la naissance des femmes des 5 % les plus aisées atteint 88,3 ans contre 80 ans parmi les 5 % les plus modestes, soit 8 ans d’écart.

Une telle réforme pénaliserait les plus pauvres et les personnes qui ont exercé un travail plus difficile ou sont au chômage plus tôt que les autres (ce sont parfois les mêmes). Ces personnes percevraient ainsi une retraite moins longtemps que les autres, d’un montant également plus faible. De leur côté, les cadres seraient peu concernés par cette réforme, car ayant rarement commencé à travailler avant 22 ans, ils doivent déjà travailler jusqu’à 65 ans pour valider leurs annuités de cotisations.

Elle pénaliserait les femmes. La retraite prolonge et amplifie les inégalités professionnelles. Les femmes sont déjà majoritaires dans les contrats précaires, elles sont davantage touchées par le temps partiel et leurs revenus sont inférieurs à ceux des hommes. L’inégalité ne porte pas seulement sur le niveau de pension. Les femmes sont contraintes de partir en moyenne un an plus tard à la retraite que les hommes du fait de carrières insuffisantes et subissent plus souvent la décote, avec une intensité plus forte. Leur pension, trop faible, est plus souvent rehaussée par un dispositif de minimum de pension qui concerne 45 % des femmes retraitées et 14 % des hommes. Malgré ces minima, 37 % des femmes retraitées et 15 % des hommes touchent moins de 1000 € de pension brute.

Les pauvres, les personnes peu qualifiées ou exerçant un travail difficile, les chômeurs et les femmes seraient donc les grandes victimes de ces mesures.

Vers un dynamitage du « modèle social »

Emmanuel Macron ne précise pas qu’au printemps 2021, il a fait valider par la Commission européenne un programme de réduction des déficits et de la dette publique à marche forcée. Dans un tel contexte, baisser certains impôts et augmenter certaines dépenses, en matière de défense par exemple, ne peut avoir pour conséquences qu’une baisse inédite de dépenses allouées à la protection sociale et aux services publics. C’est là l’un des aspects majeurs du projet d’Emmanuel Macron. En matière d’action publique, il met l’accent sur certains secteurs, en oubliant de préciser qu’avec son orientation, il n’hésitera pas à sacrifier les secteurs qu’il ne juge pas prioritaires… Enfin, il n’évoque à aucun moment l’évasion et la fraude fiscales (80 à 100 milliards d’euros qui échappent à l’Etat chaque année), alors que "l’affaire McKinsey" vient rappeler que les entreprises multinationales échappent à l’impôt.

En matière de pouvoir d’achat, Emmanuel Macron confirme son orientation : tout faire pour ne pas augmenter la part des salaires dans la valeur ajoutée, préférant parler de « prime », qui échappe ainsi à l’effet de cotisation. Par ailleurs, sa promesse de supprimer la contribution à l’audiovisuel public (outre qu’elle ne bénéficiera pas aux personnes exonérées comme certaines personnes âgées) pose la question, restée sans réponse, de l’avenir de l’audiovisuel public et, plus largement, de la concentration des médias entre les mains d’une poignée de milliardaires. 

Les femmes, grandes perdantes des propositions d’Emmanuel Macron

Ses déclarations sur la grande cause que constituerait selon Emmanuel Macron « l’égalité femmes - hommes » ne résiste pas à l’analyse. Outre la question des retraites évoqués ci-dessus, la désagrégation des services publics que l’austérité prévue par Emmanuel Macron accélérera ne peut qu’affecter les populations les plus modestes et particulièrement les femmes. La fonction publique est en effet majoritairement féminine : 63 % de femmes en 2019, et même 78 % dans la fonction publique hospitalière où elles sont notamment infirmières, sages-femmes, puéricultrices, aides-soignantes. Elles représentent 71 % des enseignant.es de l’Éducation nationale. Elles sont plus souvent à temps partiel que les hommes (28,5 % d’entre elles, contre 11 % des hommes). Au-delà, la diminution du nombre de maternités, le nombre insuffisant de places en crèches, la régression du droit à l’avortement ou encore les difficultés rencontrées dans la prise en charge de la perte d’autonomie touchent particulièrement les femmes.

Plus largement, l’affaiblissement des services publics et de la protection sociale, qui jouent un rôle majeur dans la réduction des inégalités, fera exploser celles-ci : les pauvres, les précaires et une proportion importante de femmes en seront les principales victimes.

« Plus heureux et plus forts tous ensemble » : la formule d’Emmanuel Macron s’adresse en réalité à une frange réduite et aisée de la population ainsi qu’aux grandes entreprises. Le reste de la population attendra...