Marine Le Pen néglige la fraude fiscale pour s’attaquer à la fraude aux prestations sociales

, par Équipe de l’Observatoire

La lutte contre les fraudes économiques dans leur ensemble est une préoccupation de la population et un enjeu majeur. Marine Le Pen l’a bien compris, elle lui en consacre même un « livret » dans le cadre de son programme. Il importait donc d’analyser le détail et le sens de son approche et de ses propositions.

L’analyse de son livret est instructif : elle montre que, loin des déclarations médiatiques de Marine Le Pen, la priorité n’est pas donnée à la lutte contre la fraude fiscale (au moins 80 milliards d’euros de manque à gagner par an), mais bien à la lutte contre la fraude aux prestations sociales (3 milliards d’euros de manque à gagner, sans prendre en compte le non recours qui représente 10 milliards d’euros d’économies budgétaires). Et ce, sur fond de flicage social et de nationalisme, dans la grande tradition de l’extrême droite.

Passer rapidement sur la fraude fiscale pour mieux cibler la fraude aux prestations sociales

Dès l’entame du livret, l’enjeu lepeniste est posé : «  Les Français se font voler par les fraudeurs. Ils se font voler, car les impôts et les cotisations qu’ils paient sont détournés par les tricheurs qui bénéficient de prestations auxquelles ils n’ont pas droit ». Rien sur la fraude fiscale à ce stade : c’est bien la fraude aux prestations sociales qui reste la priorité obsessionnelle de la candidate d’extrême droite. Marine Le Pen déplore au passage le taux de prélèvements obligatoires qualifié de «  record dont les français se passeraient volontiers  », sans revenir sur ce qu’ils financent, à savoir le modèle social qu’elle prétend défendre. Elle estime que ce taux ne doit pas être rehaussé et que la seule façon de dégager des recettes publiques est de lutter contre la fraude.

Ce passage n’est pas étonnant. Il faut en effet rappeler que Marine Le Pen promet des baisses d’impôts au profit des plus riches (avec la baisse des droits de donation) et des entreprises, notamment des plus grandes (avec la baisse des impôts de production). Sur le strict plan budgétaire, le coût de ces mesures ne pourrait être compensé par ses propositions en matière de lutte contre la fraude. Il lui faudrait donc tailler dans le « modèle social », comme nous l’avons analysé dans notre rapport consacré aux « Candidats des inégalités ».

En matière de chiffres, le livret de Marine Le Pen se contente d’évoquer la fraude à la TVA, estimée à 15 milliards d’euros par la Cour des comptes, et décline plus longuement la question de la fraude aux prestations sociales, qu’elle estime trop peu sanctionnée. Elle revient plus longuement sur la question du travail clandestin détaché qui, s’il existe bel et bien, n’est évoqué ici que pour tenter de justifier ses positions nationalistes et anti-européennes. Elle aborde également d’autres formes de fraude, en matière de commerce électronique ou d’ententes illégales sans préciser ce qu’elle compte faire.

Des propositions dans la grande tradition de l’extrême droite punitive et nationaliste

Dans ses propositions, Marine Le Pen emprunte avec un opportuniste cynisme une proposition formulée bien avant elle par des organisations du mouvement social et candidats de gauche : créer un ministère de lutte contre les fraudes. Mais elle n’en précise ni le contour, ni les conséquences sur les administrations chargées de la lutte contre les fraudes. Ce point n’est pas neutre. Si une coordination est nécessaire, il faut cependant éviter de mélanger et de diluer les compétences dont disposent les services spécialisés dans un grand « fourre tout » qui serait moins efficace que l’existant. Surtout, la suite montre quel serait l’objectif politique d’un tel ministère, à l’opposé de ceux formulés par exemple par Attac...

La fraude fiscale évoquée en quelques phrases

Marine Le Pen estime l’accord sur la taxation des multinationales « insuffisant » et propose également d’en finir avec le travail détaché, sans formuler de proposition et sans préciser que cela nécessiterait une négociation au sein de l’Union européenne. Elle dénonce en quelques mots les paradis fiscaux au sein de l’Union européenne, là aussi en dégager de proposition concrète. Ce sera le seul et court passage consacré à la fraude fiscale…

Et une longue place à sa vraie priorité : la fraude aux prestations sociales

Une fois ces quelques sujets évoqués, la fin du livret en vient en effet à ce qui consiste au fond sa priorité : la lutte contre la fraude aux prestations sociales. Et sur ce sujet, elle se montre incomparablement plus concrète, volontariste et punitive que sur la fraude fiscale, abordée ici comme un alibi et non comme une ambition.

Elle propose ainsi de permettre aux organismes sociaux «  d’accéder aux fichiers utiles pour lutter contre la fraude  ». Quels « fichiers utiles » ? Elle ne le précise pas, tant il est évident que tous les fichiers sont concernés dans ce qui constituerait non pas un « contrôle social » mais un flicage social, tout cela sur fond de « préférence nationale ». Elle propose notamment l’instauration d’une carte vitale biométrique. L’idée est que «  Un professionnel de santé, équipé d’un lecteur de données biométriques, comme les empreintes digitales, pourra s’assurer que la personne qui utilise une carte est bien l’assuré social qu’il reçoit ». Outre que la biométrie ne règle pas la question de l’accès aux droits et qu’elle peut être fraudée, on imagine à quelles fins ces données pourraient être utilisées sachant que Marine Le Pen veut également accélérer les échanges de données et informations entre les administrations avec une orientation sécuritaire nationaliste détaillée dans les livrets de son programme.

Sans surprise, elle propose un renforcement des sanctions des fraudeurs dans une partie exclusivement consacrée à la fraude aux prestations sociales qui, dans son déroulé, cible explicitement la communauté algérienne (suspectée de percevoir à tort des prestations sociales). Faible avec les forts, forte avec les faibles, son orientation est claire : «  Les fraudeurs doivent être effectivement et sévèrement sanctionnés. Dès la première fraude, une amende plancher égale au triple des montants indûment perçus (prestations) ou non versés (cotisations), sera instituée. A la première récidive, la pénalité s’élèvera à cinq fois le montant concerné. A partir de la troisième infraction, des suspensions des droits sociaux, pour les particuliers, et des peines de fermeture administrative renforcées, pour les entreprises, seront appliquées.  »

Vu son silence sur la fraude fiscale, on peut en tirer la conclusion qu’elle n’en fait pas une priorité et/ou qu’elle trouve la situation finalement satisfaisante. Enfin, dans la dernière partie, Marine Le pen estime qu’il faut combattre la fraude au commerce international et sur ce point, elle retombe dans un nationalisme prévisible : le rétablissement des frontières…

Marine Le Pen montre qu’elle reste dans la grande tradition de l’extrême droite et de la droite conservatrice : une candidate nationaliste anti-sociale.

Si le discours de surface de Marine Le Pen est travaillé par sa volonté de se dédiaboliser et de coller aux aspirations de la population, la lecture attentive du projet montre le décalage entre les déclarations médiatiques et la réalité du projet de Marine Le Pen, dont plusieurs proches, rappelons-le, ont été directement mis en cause dans les affaires Panama Papers et Pandora Papers… C’est le principal biais du débat public qui vaut pour tous les responsables politiques : parler des déclarations sans évoquer le fond du projet. Mais s’agissant de Marine Le Pen, ce biais pose cependant un grave problème tant le décalage est important.

L’impression générale qui se dégage de la première partie est qu’elle constitue d’une part un alibi, puisque l’objectif est de montrer qu’elle s’intéresse aux diverses formes de fraudes, et d’autre part une vision partielle, puisque de nombreuses fraudes, travaux et estimations ne sont pas évoqués. La seconde partie est en revanche beaucoup plus explicite et claire dans son orientation politique.

Le constat est clair : Marine Le Pen ne formule des propositions qu’en matière de lutte contre la fraude aux prestations sociales. Une fraude estimée à environ 3 milliards d’euros (alors qu’en raison du non recours, l’État réalise 10 milliards d’euros d’économies) quand la fraude fiscale s’élève à 80 milliards d’euros. Forte avec les faibles, faible avec les forts, Marine Le Pen montre qu’elle reste dans la grande tradition de l’extrême droite et de la droite conservatrice : une candidate nationaliste anti-sociale.