Nos concitoyens, les « prélèvements obligatoires » et la dépense publique
Alors que l’association Attac lance sa campagne en faveur de la justice fiscale, il est intéressant de revenir sur les rapports de nos concitoyens à l’impôt, sur la base des travaux du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO). Cette institution rattachée à la Cour des comptes a en effet publié la seconde édition du « Baromètre des prélèvements fiscaux et sociaux en France » en janvier 2024. Sur la base de sondage, le CPO mesure la perception que les français ont des prélèvements dans un contexte de forte érosion du consentement à l’impôt et, plus largement, aux « prélèvements obligatoires » (soit l’ensemble des impôts , taxes et recettes sociales)
Le principal enseignement qui se dégage de cette étude est ainsi résumé dans le communiqué du CPO qui accompagne la sortie de l’étude : « Une majorité de Français continue à porter un jugement négatif sur le niveau et l’équité des prélèvements fiscaux et sociaux, mais considère aussi que le paiement des impôts et cotisations est un acte citoyen et soutient le renforcement de la lutte contre la fraude ».
Ce constat qu’Attac partage très largement n’a rien d’étonnant. Les mesures fiscales de la période passée ont choqué une large partie de la population ; ciblées principalement sur les plus riches et les grandes entreprises, elles ont nourri les inégalités, provoqué un sentiment d’injustice profonde et n’ont en rien soutenu l’activité économique. C’est peu de dire que, malgré les injustices fiscales et sociales, il est remarquable de voir qu’une majorité de personnes interrogées parvient à distinguer ce qu’il faut défendre, le principe d’une contribution commune, et la politique fiscale.
Dans le détail, on apprend certes que le niveau de prélèvements est trop élevé, ce que les tenants des politiques néolibérales ont salué. Ils oublient au passage que ce niveau n’est pas élevé pour tout le monde et que c’est précisément ce qui est par ailleurs dénoncé puisque le système de français est largement jugé « inéquitable ». Mieux, la majeure partie des sondés déclare ne pas être prête à accepter une baisse de la dépense publique en échange d’une baisse d’impôt. Très instructif, ce résultat montre que la population demeure très attachée aux services publics et à la protection sociale, malgré une dégradation provenant directement des choix politiques de ces dernières années. De la même manière, on ne peut pas être surpris de constater que l’immense majorité des personnes interrogées ne souhaitent pas un repli supplémentaire des services publics et de la protection sociale, même si l’injustice du système de prélèvements les conduit à espérer davantage de services publics sans hausse d’impôt. Pour Attac, il est aisé d’en conclure qu’une réforme fiscale mettant fin aux injustices serait particulièrement bien jugée en ce qu’elle permettrait une amélioration du système redistributif, au demeurant encore peu appréhendé dans les enquêtes d’opinion.
L’évitement de l’impôt occupe ici une place de choix ; « 79 % des personnes ayant répondu à l’enquête s’accordent ainsi pour reconnaître que payer ses impôts constitue un acte citoyen, tandis que 55 % d’entre eux souhaitent renforcer les moyens dédiés à la lutte contre la fraude ». Un niveau analogue à celui de 2019. Là aussi, il n’y a rien de surprenant vu l’ampleur de l’évitement fiscal, par voie d’optimisation ou de fraude et le nombre d’affaires en la matière.
L’étude montre en outre un faible niveau de connaissance du système de prélèvement et de redistribution et un besoin de pédagogie. À titre d’exemple, « 16 % des Français ne savent pas s’ils payent la CSG, et parmi ceux qui affirment la payer, 58 % ne connaissent pas son taux. Seuls 15 % des Français situent le taux de prélèvements obligatoires par rapport au PIB entre 40 % et 49 % en France ». Le CPO en déduit qu’il faut donc « améliorer l’information des contribuables sur la façon dont est utilisé l’argent public et les sensibiliser davantage au contrôle de cette dépense ». Mais la recommandation du CPO de « réinterroger régulièrement l’utilisation des prélèvements obligatoires par des revues de dépenses » est toutefois plus ambiguë. Le terme a en effet été utilisé, notamment par Bruno Lemaire, pour « tailler » dans les dépenses, notamment dans les dépenses sociales.
Pour Attac, si la pédagogie de l’impôt et des recettes sociales ainsi que de leur utilisation est une nécessité, ce débat ne doit pas être instrumentalisé par ceux qui mettent en œuvre des politiques qui affaiblissent le consentement à l’impôt et augmentent les injustices de toutes sortes. C’est la raison pour laquelle une campagne en faveur de la justice fiscale est lancée sur la base de propositions visant à renforcer la progressivité de l’impôt et à rééquilibrer la répartition de la contribution commune en faveur de davantage de justice fiscale. Il s’agit d’un enjeu citoyen majeur, notamment à l’heure où le gouvernement entend mettre chacun à contribution pour baisser les dépenses publiques mais refuse de revenir sur ses choix fiscaux alors qu’ils ont provoqué un important manque à gagner budgétaire, n’ont pas relancé l’activité économique et ont au surplus creusé les inégalités et les injustices.