Où l’on reparle de la pression fiscale…

, par Équipe de l’Observatoire

Mesurée par le taux de prélèvements obligatoires (PO) rapportés au produit intérieur brut (PIB), la « pression fiscale » agrémente régulièrement les chroniques et articles médiatiques. Alors que le gouvernement martèle qu’il faut « réformer les systèmes de retraites » sans augmenter les prélèvements, il est utile de savoir de quoi l’on parle exactement. Ce court billet vise à rappeler quelques vérités fiscales. Il faut en effet le marteler : en la matière, les comparaisons internationales ne signifient rien en termes d’efficacité des « modèles sociaux », mais simplement leur place.

Retour sur le fameux ratio « PO/PIB »

Les données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) le montrent : en termes de ratio « prélèvements obligatoires/PIB », la France se situe à la seconde place derrière le Danemark, et un peu avant l’Autriche, la Finlande, la Belgique et l’Italie. Faut-il en conclure que nous payons trop ? Tout dépend de ce que ces prélèvements obligatoires financent et le retour offert à la population…

En effet, dans les pays où ce fameux ratio est moins élevé, cela signifie que les services publics et/ou la protection sociale sont moins développés ou encore que certaines dépenses sociales sont couvertes par des accords de branche et s’adressent donc aux salarié.es concerné.es. Dans tous les cas, les prélèvements non comptabilisés comme des PO, payés pour accéder à certains services ou certaines prestations ne sont pas comptabilisées dans le ratio, ce qui en fausse la lecture.

L’argument selon lequel le taux de prélèvements obligatoires rapportés au PIB est trop élevé et nuit à l’économie doit également être balayé : les pays les plus pauvres sont aussi ceux dans lesquels ce fameux ratio est le plus faible. En 2019, il représentait en moyenne 19 % des pays africains, allant de 7 % en République démocratique du Congo à 29 % en Tunisie. De fait, un haut niveau de prélèvements obligatoires ne nuit pas au développement économique, il l’accompagne.

Quelle structure du système fiscal ?

Dans le détail, les différences entre l’importance des prélèvements est instructif, il révèle à quel point le système fiscalo-social français est marqué d’une part, par un profond déséquilibre et d’autre part, par l’importance des recettes sociales.

Le premier impôt français est la TVA. Impôt indirect pesant proportionnellement plus sur le budget des ménages des classes pauvres et moyennes que sur celui des plus riches, la TVA représentait en 2021 12,2 % du PIB en France contre 6 % en Irlande, 10,5 % en Allemagne et en Espagne ou encore 10,6 % en Belgique. Elle représentait certes 13,9 % du PIB au Danemark, mais outre que l’impôt progressif sur le revenu y est plus élevé qu’en France, ce pays finance sa protection sociale essentiellement par l’impôt.

L’imposition des revenus (soit la somme de l’impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée) représentait en 2020 9,5 % du PIB en France contre 25,5 % du PIB au Danemark, 10,2 % en Allemagne et 11,4 % en Italie.

Quant à l’impôt sur les sociétés, contrairement là aussi à ce qui nous est souvent asséné, sa part dans le PIB est souvent supérieure dans de nombreux pays. Elle s’élevait en 2020 ainsi à 2,3 % du PIB en France contre 3,3 % en Belgique, 2,9 % au Danemark, 3,2 % en Irlande et 2,8 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. On relève certes 1,6 % du PIB en Allemagne, un État fédéral où il existe également d’autres impôts sur les entreprises au niveau local.

Quid des ressources sociales ?

Dans de nombreux pays de l’Union européenne, les cotisations de sécurité sociale représentent le premier poste de leurs recettes fiscales. Elles s’élevaient ainsi en 2020 à 15 % du PIB en Allemagne, 15,5 % en Autriche, 13,6 % en Belgique, 13,8 % en Espagne et 14,8 % en France. Mais certains pays ont décidé de financer leurs dépenses de sécurité sociale par l’impôt et non par des cotisations, ce qui explique un taux beaucoup plus faible. C’est le cas au Danemark où les cotisations de sécurité sociale ne représentaient que 0,1 % du PIB en 2020. C’est aussi de plus en plus le cas en France, avec notamment la contribution sociale généralisée (comptabilisée par l’OCDE dans les impôts sur le revenu) mais aussi d’autres impôts (droits sur les tabacs et alcools, fraction de la TVA, etc). Au total, ces différents impôts, visant notamment à compenser des allègements de cotisations sociales coûteux (près de 90 milliards d’euros), représentent plus de 46 % des recettes de la Sécurité sociale.

Si les « prélèvements obligatoires » sont élevés en France, c’est naturellement parce que la contrepartie (services publics, protection sociale) y est particulièrement développée. Tel n’est pas le cas partout. Il faut alors analyser l’importance des prélèvements privés (cotisations aux assurances santé privées ou aux fonds de pension par exemple) pour avoir une idée de ce que représentent les coûts « publics et privés » permettant de disposer d’une couverture comparable. En France, les dépenses sociales privées représentent selon l’OCDE 3,7 % du PIB (elles englobent les mutuelles et les assurances mais aussi les régimes complémentaires de retraite) tout comme en Allemagne, contre 5,8 % en Grande-Bretagne, 12,8 % aux États-Unis ou même 13,1 % aux Pays-bas.

Quels enseignements ?

On l’entend trop peu dans le débat public : les écarts entre les taux des prélèvements obligatoires proviennent donc de choix de société différents et, par conséquent, à des périmètres différents des administrations publiques et sociales d’un pays à l’autre. La part des prélèvements affectés à la Sécurité sociale en France (cotisations sociales et impôts) représente 55,3 % de l’ensemble des prélèvements obligatoires. Le niveau élevé de prélèvements obligatoires s’explique dès lors aisément. Ce ne sont pas l’État et les collectivités locales, contrairement à ce qu’on peut entendre souvent, qui dépenserait sans compter et qu’il faudrait « dégraisser » selon une expression qui a fait flores. C’est la Sécurité sociale qui explique les écarts.

Faut-il en réduire le poids ? Certainement pas. Outre que les besoins sociaux sont bien réels (liés en partie à la démographie, mais aussi à la situation économique, etc), leur prise en charge nécessite un système de contribution collectif, de loin plus juste à un système qui ferait la part belle au secteur marchand. Un tel système permet en effet à chacun de bénéficier d’une couverture, plus importante qu’ailleurs bien que malmenée par les « réformes » des trente dernières années. Il évite une dérive des inégalités et participe du soutien à l’activité économique grâce à la redistribution. Les prélèvements obligatoires ne disparaissent pas dans un « trou noir », ils sont réinjectés dans l’économie : près du tiers du revenu des ménages provient ainsi de cette redistribution (pensions de retraite, remboursement de dépenses de santé, etc).

Pour de nombreuses voix cependant, ces écarts résultent d’une efficience (soit la capacité de rendement au moindre coût) insuffisante des services publics. C’est d’ailleurs cette logique qui a prévalu à de nombreuses « réformes », qui se sont toutes traduites par un recul en termes de qualité et de quantité de services publics. Les mêmes estiment que la redistribution sociale est trop importante en France. C’est cette logique qui est à l’œuvre dans la réforme des systèmes de retraite du gouvernement. Plus exactement, c’est la redistribution socialisée que le pouvoir veut réduire. En effet, favoriser la montée en puissance d’un système de redistribution privé, dont bénéficieraient les personnes qui ont les moyens d’y accéder, ne lui pose manifestement aucun souci.

Curieux paradoxe de voir un pouvoir déplorer un prélèvement sur la richesse parce qu’il est socialisé et favoriser un prélèvement sur la richesse parce qu’il est « privé ». Dans les deux cas en effet, il s’agit bel et bien d’un prélèvement sur la richesse pour faire face à des besoins. Mais dans le premier, le système bénéficie à tout le monde et dans l’autre, il ne bénéficie qu’à ceux qui en ont les moyens. Voici résumés la question du choix de société et le débat sur les prélèvements obligatoires.