Plus de 37 milliards d’euros de pertes de recettes en 5 ans : un bilan fiscal injuste et coûteux
A l’heure où le gouvernement veut imposer une réforme des systèmes de retraite en martelant la nécessité de réaliser des économies budgétaires, il est plus qu’instructif de dresser le bilan des mesures fiscales de ces dernières années. Et en la matière, il y a beaucoup à dire. En 2017, alors que le gouvernement faisait voter une baisse progressive du taux de l’impôt sur les sociétés (de 33,3 % à 25 % en 2022), les entreprises du CAC 40 ont dégagé 95 milliards d’euros de profits. En 2021, ceux-ci ont atteint 174 milliards d’euros, soit près du double. Les premières données disponibles montrent que l’année 2022 devrait battre le record de 2021. Mécaniquement, pour 2021 et 2022, les recettes de l’impôt sur les sociétés (IS) vont donc sensiblement progresser, même si l’on sait pertinemment que tous les profits ne sont pas déclarés en France du fait des mécanismes d’optimisation et de fraude fiscales. Mais le rendement de l’IS aurait pu et du être plus conséquent. On se concentrera ici sur les trois mesures emblématiques du 1er quinquennat d’Emmanuel Macron, en précisant qu’on aurait pu l’étendre à la transformation du crédit d’impôt compétitivité emploi en allègement pérenne de cotisations sociales, à d’autres mesures qui ne s’imposaient pas et à la volonté farouche de ne pas procéder à une revue des « niches fiscales et sociales » dont le coût global avoisine désormais les 200 milliards d’euros.
Le coût budgétaire de la baisse du taux de l’IS : au moins 11 milliards d’euros en 2022
Revenons sur le coût de la baisse du taux de l’IS. L’évaluation préalable de la baisse du taux de l’IS de 33,3 à 25 % inscrite en loi de finances pour 2018 retient un coût budgétaire de 11,1 milliards d’euros de cette baisse étalée sur plusieurs années. Vu la hausse des profits des entreprises durant la période récente, on peut cependant raisonnablement penser que ce manque à gagner, déjà considéré comme un « montant plancher » lors de son évaluation fin 2017, est plus important. Autrement dit, si le taux d’IS de 33,3 % avait été maintenu, les recettes de l’État auraient été abondées de plus de 11 milliards d’euros en 2022. Par comparaison, c’est un peu plus que le montant du déficit de la branche vieillesse estimé pour 2027.
5 ans après la mise en œuvre de cette baisse, le bilan est éloquent. Ses effets sont désormais connus : le bénéfice après impôt des entreprises a été alimenté du seul fait de cette baisse de plus de 11 milliards d’euros (bien davantage pour les grandes entreprises pour d’autres raisons, en témoignent l’existence de superprofits). Mais, au lieu de se traduire par un surcroît d’investissement ou par une mise en réserve, la hausse du bénéfice aura surtout servi à augmenter fortement la distribution de dividendes, permettant par ailleurs aux actionnaires de dégager des plus-values plus fortes lors de la cession de leurs titres.
Quid du manque à gagner lié au prélèvement forfaitaire unique et à l’impôt sur la fortune immobilière ?
Sur le plan des rentrées fiscales, on peut considérer que la hausse des dividendes et des plus-values provoque une hausse du produit de l’impôt sur le revenu (IR) et de la contribution sociale généralisée (CSG) en raison de la hausse des revenus financiers déclarés par les actionnaires. Mais la mise en œuvre du prélèvement forfaitaire unique (la flat-tax de 30 %, IR et CSG compris) limite fortement ce potentiel gain budgétaire. Le manque à gagner du PFU (environ 2 milliards d’euros par an estimés à l’époque) et son rendement ont donné lieu à de nombreux débats. Pour certains, favorables à cette flat-tax, le manque à gagner est largement compensé par la hausse du montant des distributions de dividendes. Pour d’autres, l’affaire est plus complexe. En effet, personne ne peut affirmer qu’il n’y aurait pas eu de hausse des dividendes. Mais surtout, maintenir la progressivité de l’impôt en maintenant l’imposition des revenus financiers au barème progressif de l’impôt sur le revenu aurait été socialement et économiquement plus vertueux. Par ailleurs, en limitant cette distribution de dividendes, grâce à un taux d’IS maintenu à 33,3 %, ce sont aussi les inégalités de revenus qu’on limite (les dividendes étant très fortement concentrés sur le 1 % des personnes les plus riches) et l’investissement que l’on favorise, puisque celui-ci permet de déduire des amortissements du bénéfice imposable. De la sorte, l’activité économique n’est plus seulement orientée vers les dividendes. La « machine économique » ne peut donc qu’en être favorisée, et avec elle les recettes fiscales.
Par ailleurs, les titres financiers n’entrant pas dans l’assiette de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI, qui succède à l‘impôt de solidarité sur la fortune qui imposait la valeur des titres financiers, malgré certaines exonérations), le manque à gagner est d’autant plus important que ceux-ci ont pris de la valeur. À titre d’exemple, on rappellera que le CAC 40 a clôturé à 4.909,84 points au 2 janvier 2017 et à 6.860,95 points au 2 janvier 2023. Soit une hausse de près de 40 % (39,7 % précisément). Manifestement, même si, avec l’ISF, la progression de la distribution de dividendes et/ou la valeur nominale des titres financiers auraient pu être moins fortes, le manque à gagner résultant de la transformation de l’ISF en IFI est supérieure à celle estimée dans le projet de loi de finances 2018 (3,2 milliards d’euros par an). Ajoutons que les inégalités auraient été moins fortes. Cette transformation de l’ISF en IFI est hautement symbolique, jusqu’à supprimer le terme « solidarité ».
Au moins 37 milliards d’euros de baisse d’impôt ciblées sur les agents économiques les plus riches
Quand bien même l’on ne retiendrait que les estimations gouvernementales, ces trois mesures (baisse du taux de l’IS, PFU et ISF en IFI) auront provoqué un manque à gagner colossal. Sur 5 ans, les 2 milliards d’euros annuels du PFU et les 3,2 milliards d’euros de la transformation de l’ISF en IFI représentent 26 milliards d’euros. Il faut y ajouter les 11 milliards d’euros de pertes liées à la baisse du taux de l’IS. Sur les seules données officielles de l’époque, on atteint donc 37 milliards d’euros de manque à gagner pour le plus grand profit des grandes entreprises et des plus riches. Ce montant étant très certainement plus élevé pour les raisons exposées ici.
En attendant, un constat s’impose. Les milliards d’euros qui manquent aux recettes de l’État et l’acharnement à faire le strict minimum en matière de taxation des superprofits sont autant de mesures qui ont déjà fortement dégradé les comptes publics auxquels le gouvernement prétend être attaché et ont nourri la dette publique que le gouvernement veut réduire en organisation un nouveau recul des droits sociaux. Les faits sont têtus : l’injustice fiscale nourrit bel et bien l’injustice sociale et climatique.