Qui paie l’impôt sur la fortune immobilière ?

, par Équipe de l’Observatoire

En 2017, dans le cadre d’une réforme globale visant à baisser tout à la fois le taux de l’impôt sur les sociétés et l’imposition des revenus financiers, Emmanuel Macron a transformé l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI). Outre que cette réforme favorisait les distributions de dividendes, elle a également eu pour effet de ne plus imposer les actifs financiers (actions, parts de sociétés, etc) et des biens mobiliers (meubles mais aussi yachts, voitures de luxe, etc) sur leur valeur. Désormais, seuls les biens immobiliers le demeurent. Cette réforme a fait l’objet de nombreuses critiques et de plusieurs travaux qui ont tous conclu à son injustice et à son inefficacité. C’est dans ce contexte que la Cour des comptes a publié le 25 janvier 2024 ses « Observations définitives » sur l’IFI. Dans son rapport, elle livre une analyse de l’IFI depuis sa création en 2018 sur le profil des redevables et le contrôle de cet impôt.

Qui paie l’IFI ?

En 2022, près de 164 000 foyers ont reçu un avis d’impôt sur la fortune immobilière (IFI) pour un montant total d’environ 1,8 milliard d’euros. Ces foyers possèdent un niveau de patrimoine immobilier moyen de 2,5 millions d’euros quand la moyenne du patrimoine des Français s’élève à 126 200 millions d’euros. Ces foyers déclarent par ailleurs un revenu annuel de 301 600 euros en moyenne contre 26 100 euros pour les foyers fiscaux qui ne sont pas redevables de l’IFI. Fait notable, entre 2021 et 2022 le montant total des revenus déclarés par les redevables de l’IFI a augmenté de 31,7 % chez les foyers imposés à l’IFI contre 5,7 % chez les autres foyers.

La Cour précise également que les plus hauts patrimoines immobiliers sont aussi ceux qui déclarent les plus hauts revenus : leur revenu s’élève ainsi en moyenne à 2,7 millions d’euros alors que celui des ménages possédant un patrimoine immobilier compris entre 1,3 et 2,57 millions d’euros s’élève à 211 200 euros. La Cour a par exemple calculé que «  Le revenu moyen des premiers a été multiplié par deux (+107 %) depuis 2018, alors que celui des seconds a cru de 12,8 % ». Signalons enfin que, sur près de 164 000 redevables de l’IFI en 2022, près de 41 500 foyers vivent à Paris (26 % des déclarants à l’IFI), 15 000 dans les Hauts-de-Seine et 7 600 dans les Yvelines.

En termes d’impôt payé par ces redevables, l’IFI moyen s’élève à 11 200 € en 2022, plus de la moitié des foyers fiscaux ayant un patrimoine inférieur à 1,8 M€ (44 % des foyers fiscaux IFI) s’acquittant pour leur part d’un IFI moyen de 4 000 €. En revanche, les 5 % des redevables de l’IFI, ayant un patrimoine imposable de plus de 5 M€, acquittent 35 % du total de l’IFI recouvré en 2022, une proportion qui reflète la concentration du patrimoine immobilier. La Cour rappelle d’ailleurs utilement, sur la base des travaux de l’INSEE (enquête patrimoine de 2021) la répartition du patrimoine des 1 % des ménages les riches : davantage d’actifs financiers que les autres ménages (27 % contre 20 % pour les autres) et de patrimoine professionnel (34 % contre 7 %) et relativement moins d’immobilier (36 % contre 67 %). Le rapport de la Cour des comptes confirme que la concentration du patrimoine immobilier est forte et rappelle qu’elle s’est accentuée depuis la création de l’IFI.

Le passage de l’ISF à l’IFI a procuré une importante économie d’impôt pour les personnes qui payaient l’ISF. La Cour estime que, « pour les redevables de l’ISF possédant les 0,1 % des patrimoines taxables les plus élevés en 2017 et qui sont restés assujettis à l’IFI, le montant moyen de leur imposition a fortement chuté entre l’ISF et l’IFI (hors effet PFU) : il passe de 399 600 € en 2017 (ISF) à 100 200 € en 2018 et 119 400 € en 2022 (IFI) ». Elle ne fait au fond que confirmer les travaux du comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital de France stratégie.

Sans surprise, les foyers redevables de l’IFI se situent parmi les aisés et les plus riches, lesquels sont les grands gagnants d’une part, de la politique fiscale d’Emmanuel Macron et d’autre part, de la financiarisation de l’économie. Si l’effet « superprofits et superdividendes » des années 2021 et 2022 se fait clairement ressentir sur la hausse de leur revenu, donc par suite de leur patrimoine, l’intérêt de ce rapport est de montrer que la tendance est plus ancienne puisque l’étude porte sur les années 2018 à 2022 et qu’elle constitue un révélateur de la hausse des inégalités au profit des plus riches.

Comment l’IFI est-il contrôlé par l’administration fiscale ?

Le contrôle fiscal étant la contrepartie du système déclaratif, l’IFI fait donc l’objet d’un contrôle de l’administration fiscale. Ce contrôle peut conduire, suite à des relances de foyers n’ayant pas déposé l’IFI ou ayant commis des erreurs voire des irrégularités, à des régularisations ou des propositions de rectification (autrement dit, de redressements suite à contrôle).

La Cour relève environ 900 rectifications de déclarations d’IFI en 2022, ce qui représente 0,5 % des redevables de l’IFI. Elle note cependant qu’avec la mise en place de l’IFI et du fameux « droit à l’erreur », le nombre de rectifications a augmenté de manière significative : « par rapport à celles portant sur l’ISF après la mise en place du « droit à l’erreur » puisque par rapport à 2017, il a été multiplié par 3,5 la première année de sa mise en place, en 2018, et par 4,5 en 2019, première année pleine de mise en œuvre du dispositif ».

La Cour formule plusieurs critiques sur la stratégie et l’efficacité du contrôle de l’IFI. Rappelant que le contrôle porte principalement sur deux axes (l’absence de déclaration et la minoration d’assiette par la sous-évaluation des biens immobiliers), elle estime que la détection des risques de fraude peut s’améliorer. Si les contrôles semblent plus efficaces quant à l’évaluation de la valeur des biens déclarés et l’absence de déclaration (défaillance), les contrôles sont cependant concentrés sur ces deux dimensions et abordent moins certains risques liés à la détention indirecte et aux non-résidents. Or, en la matière, il faut renforcer les contrôles. En effet, pour la Cour, « le contrôle des biens détenus indirectement représente un enjeu croissant compte tenu du développement des sociétés civiles immobilières et des montages juridiques ». En clair, l’administration fiscale ne serait pas en capacité de savoir « qui » détient, de l’étranger et par l’intermédiaire de montages opaques, certains biens immobiliers.

Enfin, la Cour déplore « un manque d’outils pour le contrôle des non-résidents ou des biens à l’étranger (…) un taux de couverture qui reste faible et une absence d’estimation de la fraude  » à l’IFI et de la fraude fiscale sur tous les impôts en général. Elle confirme ici sa préconisation de procéder à une véritable évaluation de la fraude fiscale, une préconisation déjà défendue dans son rapport de décembre 2019 consacré à la fraude aux prélèvements obligatoires.

Ce premier rapport du genre sur l’IFI confirme l’importance de l’économie d’impôt que la réforme de 2017 a offert aux plus riches. Il démontre également que cet impôt symbolique est loin d’être prioritaire en matière de contrôle.