Remboursements, dégrèvements, fraude : la face cachée du système fiscal creuse la dette

, par Équipe de l’Observatoire

Tout débat sur l’évolution des finances publiques et de la politique fiscale en vient nécessairement à aborder la question de la dette publique. Parmi les facteurs qui expliquent son niveau figure bien entendu la fiscalité. Une baisse d’impôt se traduit par un manque à gagner, à moins qu’elle ne parvienne à relancer tel ou tel secteur économique, ce qui est somme toute rarement démontré. Si on songe spontanément à des mesures comme la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière, il convient également d’analyser l’impact de certaines « dépenses fiscales » (les fameuses « niches fiscales ») et l’évolution de la mécanique de certains impôts. C’est l’objet du présent billet.

De très longue date, de nombreuses mesures, toujours existantes, présentent en effet un coût budgétaire important. Le coût de ce qu’il est convenu de nommer « niches, fiscales ou sociales », a ainsi atteint en effet des niveaux record au cours des dernières années, sans que ces dispositifs aient démontré leur efficacité en termes de relance de l’activité économique et par voie de conséquence, de rentrées fiscales et sociales.

On dénombre plus de 470 « dépenses fiscales » (la dénomination budgétaire officielle des « niches fiscales ») auxquelles il faut ajouter des mesures dites « déclassées » (c’est-à-dire n’étant plus considérées comme des dépenses fiscales mais comme des modalités particulières de calcul de l’impôt) parmi lesquelles le régime « mère-fille », le régime de l’intégration fiscale ou l’exonération de certaines plus values des sociétés (dite « niche Copé » du nom de son instigateur). Le coût global des dépenses fiscales s’élevait à 96,1 milliards d’euros en 2023. Le coût des « modalités particulières de calcul de l’impôt » mentionnées ici était évalué dans le projet de loi de finances pour 2019 à 7 milliards d’euros pour la niche « Copé », 17,6 milliards d’euros pour le régime « mère fille » et 16,4 milliards d’euros pour le régime de l’intégration fiscale. Ils ne font plus l’objet d’évaluation depuis, sans qu’une explication n’ait été apportée par le pouvoir. Le coût des différents allègements de cotisations sociales, également dénommées « niches sociales », avoisine pour sa part les 90 milliards d’euros.

Tous les ans, un rapport spécial des deux commissions des finances (Assemblée nationale et Sénat) est consacré aux « remboursements et dégrèvements », qui constituent des restitutions trouvant leur origine « dans le fonctionnement concret de certaines impositions (remboursement de trop versés), dans la mise en œuvre de politiques publiques (crédits d’impôt) ou encore dans la rectification du montant d’un impôt (correction d’une erreur matérielle, conséquences d’un contentieux fiscal ou application d’une convention internationale par exemple) [1]. Le coût budgétaire de ces « remboursements et dégrèvements » est élevé  : il représente un peu moins de 30% des recettes fiscales brutes en 2025. Et il est en constante évolution : il a en effet globalement progressé de 142 % depuis 2001 et de 182 % pour les impôts d’État.

Depuis plusieurs années, ces rapports parlementaires s’inquiètent plus particulièrement de la hausse du coût de deux dispositifs, l’un lié à la mécanique fiscale (les remboursements de crédit de TVA), l’autre découlant d’une dépense fiscale (le crédit d’impôt recherche).

En effet, une entreprise est tenue de déclarer à l’administration fiscale la TVA qu’elle paie sur ses achats et celle qu’elle collecte sur la vente de ses biens ou services. La plupart du temps, l’entreprise reverse la différence. Mais lorsque la TVA qu’elle a payée sur ses achats (la « TVA déductible ») est supérieure à celle qu’elle a encaissée sur ses ventes (la « TVA collectée »), elle peut, sous conditions, demander le remboursement de la différence (qui constitue un crédit de TVA). Or, le Sénat [2] relevait que les remboursements de crédit de TVA, estimés à 80,3 milliards d’euros en 2025, sont en forte hausse tendancielle « de 2014 (exécution) à 2025 (prévisions PLF), la progression des remboursements de TVA s’élève à 68,6 %, représentant 32,7 milliards d’euros ». Le Sénat précise que, si les restitutions de TVA découlent de la mécanique classique de fonctionnement de la TVA ; « le niveau élevé des remboursements ainsi que la hausse continue, dans des proportions plus élevées que l’évolution de la valeur ajoutée elle-même, impose une vigilance accrue sur les risques de montages frauduleux ».

Le Sénat relève par ailleurs que le coût du crédit d’impôt recherche (CIR) est en forte hausse depuis la réforme de 2008 : « en 2009, il s’établissait à 4,5 milliards d’euros pour un peu plus de 14 000 dossiers, il devrait représenter, en 2025, 7,7 milliards d’euros pour près de 15 500 entreprises ». Le CIR est très concentré sur les grandes entreprises : « les cinquante premières entreprises bénéficiaires du CIR concentrent à elles seules près de 45 % du bénéfice du dispositif, tandis que les 200 premières entreprises représentent près des deux tiers du coût total ». Le Sénat s’interroge sur l’efficacité de ce dispositif, puisque « l’effet du CIR sur l’effort supplémentaire de recherche fourni par les entreprises se limite à un réinvestissement égal au bénéfice du dispositif ». En d’autres termes, un CIR accordé est reconduit sur les dépenses du même type sans effort supplémentaire de la part de l’entreprise. Le Sénat s’inquiète également des difficultés de contrôler le CIR.

Par ailleurs, alors que la fraude fiscale est évaluée entre 80 et 100 milliards d’euros, la baisse des moyens des administrations fiscales et douanières notamment contribue également à affecter le rendement des recettes fiscales, comme cela a été démontré dans un rapport de 2022 consacré à l’évaluation des résultats du contrôle fiscal [3]. Dans leurs multiples annonces, les gouvernements successifs ont en effet omis de préciser qu’année après année, ils sapaient les moyens humains de l’administration fiscale et de ses services de contrôle…

Tout gouvernement sérieusement attaché aux comptes publics devrait tirer des conclusions de la lecture de ces travaux parlementaires. Il devrait également engager une stratégie globale contre l’évitement de l’impôt.

Notes

[1Rapport de la Commission des finances de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances 2025, annexe 39, « Remboursements et dégrèvements », 19 octobre 2024.

[2Rapport de la Commission des finances du Sénat sur le projet de loi de finances 2025, annexe n° 27, « Remboursements et dégrèvements », 21 novembre 2024.

[3Rapport Attac-Union syndicale Solidaires, « Fraude fiscale, sociale, aux prestations sociales, ne pas se tromper de cible », mars 2022.