Retour sur la fraude aux finances publiques

, par Équipe de l’Observatoire

Mine de rien, si l’on ose dire, et quoique l’on en pense sur le fond, le débat sur les annonces du ministre de l’action et des comptes publics en matière de fraude aux finances publiques a confirmé des constats portés par Attac et de nombreuses organisations du mouvement social. Il en va ainsi de l’ampleur et de l’évaluation des différentes formes de fraudes mais aussi du profil des fraudeurs.

Plusieurs fraudes à l’importance discutée

Rappelons qu’il existe plusieurs fraudes. La fraude fiscale, c’est-à-dire l’évitement illégal de l’impôt, se traduit pas un manque à gagner pour les recettes de l’État, des collectivités locales et de la Sécurité sociale, celle-ci étant en effet de plus en plus financée par l’impôt. La fraude aux cotisations sociales, issue du travail et des revenus non déclarés, provoque également un manque à gagner pour les caisses de Sécurité sociale. La fraude aux prestations sociales se traduit pour sa part par des versements indus. Cette dernière peut s’élargir à la fraude aux aides directes versées par les pouvoirs publics comme cela a été le cas avec la fraude au fonds de solidarité mis en place lors de la crise sanitaire en 2020.

S’il y a unanimité pour dire que ces fraudes plombent les budgets publics, la question de leur évaluation mais aussi du profil des fraudeurs a longtemps fait débat, pour ne pas dire polémique. Ainsi a-t-on pu entendre que la fraude fiscale était moins élevée qu’on ne le disait ici et là puisque l’évitement de l’impôt prenait souvent la forme d’une optimisation agressive, donc légale et non d’une fraude, voire d’erreurs qu’il ne faudrait pas comptabiliser dans l’évitement illégal. Les tenants de ce discours sont généralement ceux qui estiment que la fraude aux prestations sociales est beaucoup plus élevée et qu’elle est notamment le fait de personnes étrangères qui viendraient profiter d’un modèle social généreux, modèle social dont il faudrait par conséquent revoir à la baisse les dépenses pour éviter l’assistanat par exemple.

Second constat : les ordres de grandeur sont largement confirmés

Depuis un peu plus de dix ans, les méthodes d’estimation de la fraude fiscale ont progressé. Les estimations débouchent toutes sur des pertes de recettes particulièrement élevées.

Pour la fraude fiscale, les principaux travaux sont les suivants.
 Solidaires Finances Publiques estimait en janvier 2013 la fraude fiscale entre 60 à 80 milliards d’euros, estimation actualisée fin 2018 à 80 milliards d’euros, voire entre 80 et 100 milliards d’euros [1].
 Gabriel Zucman a estimé qu’au plan mondial, 8 % du patrimoine financier des ménages, étaient détenus dans les paradis fiscaux sans être déclarés aux administrations fiscales et que 40 % des profits des multinationales sont logés artificiellement dans des paradis fiscaux [2].
 Le CEPII estimait en 2019 que «  Les profits non déclarés en France atteindraient quelque 36 milliards d’euros en 2015, soit 1,6 % du PIB, un montant 30 fois supérieur à ce qu’il était au début des années 2000 » [3]
 Richard Murphy et des chercheurs de l’Université de Londres ont mené une estimation sur la fraude à l’ensemble des prélèvements obligatoires pour l’Union européenne. Elle représente jusqu’à 1.000 milliards d’euros (sur une UE à 28 pays, soit avant le brexit) [4].
 En juillet 2022, l’INSEE a estimé les pertes de recettes en matière de TVA entre 20 et 25 milliards d’euros [5].

S’agissant de la fraude aux cotisations sociales, les fourchettes sont larges. La Cour des comptes notait que son travail «  aboutissait à une estimation des cotisations et contributions sociales éludées évaluée entre 20 et 25 Md€ au titre de l’année 2012 Une autre estimation, faite par l’Acoss à partir de contrôles aléatoires, aboutissait de son côté à un montant compris, pour 2018, entre 6,8 et 8,4 Md€  [6] ». Les derniers travaux aboutissent à une fourchette comprise entre 9,9 et 12,5 milliards d’euros [7]. Une fourchette basse si l’on considère que le Conseil d’orientation pour l’emploi estimait récemment que le travail déclaré dans son ensemble représentait 12,6 % du produit intérieur brut [8].

La fraude aux prestations sociales a pour sa part fait récemment l’objet de travaux fouillés. La Cour des comptes estime désormais la fraude à l’assurance maladie aux environs de 4,15 milliards d’euros, celle aux aides sociales à 2,8 milliards d’euros et celle aux pensions de retraite entre 100 et 400 millions d’euros [9]. La fraude aux prestations sociales est estimée plus largement entre 6 et 8 milliards d’euros.

Troisième constat : la fraude des « pauvres » et des « étrangers » est marginale

Si, en matière de fraude fiscale, Gabriel Attal a bien été obligé d’admettre à l’occasion de la présentation de son « plan » qu’elle est concentrée sur les plus riches et les grandes entreprises, en matière de fraude aux prestations sociales, le mythe du travailleur étranger venant capter illégalement des prestations sociales en France ou du pauvre oisif vivant aux crochets de la société a vécu.

On connaissait déjà le niveau élevé de non recours aux prestations sociales qui ne fait désormais plus débat et qui dégage une économie budgétaire supérieure à l’estimation de la fraude aux prestations [10]. On sait également aujourd’hui que 80 % de la fraude à l’assurance maladie est le fait de professionnels de santé, qui surfacturent des actes ou facturent des actifs fictifs. Les fraudes des plus pauvres sont marginales. Pour la Cour des comptes, la fraude à la complémentaire santé solidaire (CSS), destinés aux plus modestes est estimée à 177 millions d’euros en 2018. Quant à celles et ceux qui prennent leur retraite à l’étranger, le versement indu s’explique principalement par un système défaillant d’accès à l’information, tandis que la fraude reste modeste comparativement aux autres fraudes. Enfin, la fraude à la carte vitale, qui peut être le fait de profils différents, ne représenterait que quelques millions d’euros par an selon le ministre lui-même.

Les ordres de grandeur sont confirmés et on en sait davantage sur les profils des fraudeurs :la fraude fiscale demeure et de très loin la fraude la plus coûteuse et injuste. La fraude aux cotisations sociales est notamment le fait d’employeurs peu scrupuleux et s’effectue au détriment des droits sociaux des travailleurs et travailleuses concerné.es. La fraude aux prestations sociales elle aussi est majoritairement le fait de professionnels. De quoi donner des insomnies aux pourfendeurs du « modèle social »… Et de quoi renforcer nos combats pour une véritable justice fiscale.

Notes

[1Rapports du syndicat Solidaires Finances Publiques intitulés, Évasions et fraudes fiscales, contrôle fiscal, janvier 2013 et Quand la baisse des moyens du contrôle fiscal entraîne une baisse de sa présence, septembre 2018

[2Gabriel Zucman, 40 % des profits des multinationales sont délocalisés dans les paradis fiscaux, Le Monde, édition du 7 novembre 2017.

[3CEPII, « L’évitement fiscal des multinationales en France : combien et jusqu’où ? », juin 2019.

[4« Un problème énorme », article sur la fraude aux prélèvements obligatoires sur le site de la Commission européenne.

[5INSEE, « Estimation des montants manquants de versement de TVA : exploitation des données du contrôle fiscal », août 2022

[6Rapport de la Cour des comptes, « La fraude aux prélèvements obligatoires », décembre 2019.

[7Rapport d’évaluation des politiques de sécurité sociale, financement, édition 2022.

[8Rapport du COE/France stratégie, « Le travail non déclaré », février 2019.

[9Rapport de la Cour des comptes, « Sécurité sociale 2023 », mai 2023.

[10DREES, « Non recours aux prestations sociales et aux minima sociaux, le manque d’information en tête des motifs selon les français », 13 décembre 2022.