Si on reparlait de lutte contre la fraude fiscale ?

, par Équipe de l’Observatoire

En plein débat sur le projet de loi de finances 2023, alors que les enjeux sociaux et écologiques nécessitent un financement adapté, et face aux projets de réforme des systèmes de retraites, il est utile de rappeler que l’enjeu majeur que représente lutte contre la fraude fiscale. Ce billet de synthèse en rappelle l’importance.

S’il est impossible d’évaluer la fraude à l’euro près, depuis un peu plus de dix ans, les méthodes d’estimation de la fraude fiscale ont cependant largement progressé [1] . En la matière, les estimations débouchent toutes sur des montants de manques à gagner particulièrement élevés.
• Solidaires Finances Publiques estimait en janvier 2013 la fraude fiscale entre 60 à 80 milliards d’euros. Une estimation actualisée fin 2018 à 80 milliards d’euros, voire entre 80 et 100 milliards d’euros [2].
• Gabriel Zucman a estimé qu’au plan mondial, 7 900 milliards d’euros, soit 8 % du patrimoine financier des ménages, étaient détenus dans les paradis fiscaux sans être déclarés aux administrations fiscales [3].
• Pour l’ICRICT, 40 % des profits des multinationales sont logés artificiellement dans des paradis fiscaux [4].
• Le CEPII estimait pour sa part en 2019 que « les multinationales déplaceraient entre 67 et 80 milliards de dollars de profits dans les paradis fiscaux par l’intermédiaire des plateformes de vente  [5] ».
• Richard Murphy et des chercheurs de l’Université de Londres mené une estimation sur la fraude à l’ensemble des prélèvements obligatoires pour l’Union européenne. Elle représente jusqu’à 1.000 milliards d’euros (sur une UE à 28 pays soit avant le brexit).
• En juillet 2022, l’INSEE a estimé les pertes de recettes en matière de TVA entre 20 et 25 milliards d’euros [6].

Ces travaux portent sur des périmètres différents (la France ou l’Union européenne, l’impôt sur les sociétés ou l’ensemble des prélèvements, etc) et emploient des méthodes elles-mêmes différentes (extrapolation des résultats du contrôle fiscal ou analyse des données macroéconomiques). Néanmoins, si l’on tient compte du poids des impôts étudiés spécifiquement (impôt sur les sociétés, TVA) dans le système fiscal ou encore du poids relatif de la France dans l’Union européenne, ces estimations convergent toutes vers des montants stratosphériques repris dans un rapport de mars 2022, d’ Attac et de l’Union syndicale Solidaires [7].

Outre de nombreuses reprises dans la presse, des rapports parlementaires, des travaux de recherche et diverses publications, ces estimations ont aussi fait l’objet d’une reconnaissance du pouvoir. L’estimation de Solidaires finances publiques a été mentionnée dans une communication du gouvernement début 2017 tandis que celle de l’Université de Londres a été qualifiée de « problème énorme » par la Commission européenne.

Il en va de même pour la fraude aux prestations sociales si souvent dénoncée à grands cris par ceux-là même qui minimisent la fraude fiscale, prônent l’austérité et plaident pour une baisse des dépenses publiques synonyme de recul des services publics et d’affaiblissement de la protection sociale. Ne leur en déplaise, les faits sont têtus et les chiffres aussi : cette fraude représente entre 1 et 3 milliards d’euros… L’urgence est donc à renforcer la lutte contre la fraude fiscale, pas à renforcer davantage le contrôle social. Vu les enjeux sociaux, écologiques et économiques également, il est donc essentiel de le rappeler : la fraude fiscale fait système et doit être résolument combattue.

Notes

[1Elles sont notamment rappelées dans le rapport de la Cour des comptes, « La fraude aux prélèvements obligatoires, évaluer, prévenir, réprimer », 2 décembre 2019.

[2Solidaires finances publiques, « Quand la baisse des moyens du contrôle fiscal entraîne une baisse de sa présence », septembre 2018.

[3Gabriel Zucman, « La richesse cachée des nations, les leçons des Panama papers », nouvelle édition augmentée, Éditions Seuil, 2017.

[4ICRICT, « Blanchiment d’argent et paradis fiscaux : haro sur les multinationales », 22 mars 2021.

[5S. Laffitte, F. Toubal, « L’évitement fiscal des multinationales : le rôle clé des plateformes de ventes installées dans les paradis fiscaux », Lettre du CEPII n° 397, mars 2019.

[6INSEE, « Estimation des montant manquants de versement de TVA : exploitation des données du contrôle fiscal », 25 juillet 2022.

[7Rapport d’Attac et de l’Union syndicale Solidaires (soutenu par AC !, la CGT chômeurs, la CGT Finances et Solidaires Finances Publiques), « Fraude fiscale, sociale aux prestations sociales : ne pas se tromper de cible », mars 2022.