Super-profits et projet de loi de finances 2023 : décryptage des enjeux
Le débat sur la taxation de ce qui est désormais nommé les « super-profits » fait rage. Alors que les enquêtes d’opinion montrent qu’une large majorité de Français y sont favorables, le gouvernement et la majorité présidentielle inscrivent leurs pas dans ceux du Medef : tous continuent de s’y opposer. Un petit passage en revue de leurs arguments et des réponses à leur apporter est donc nécessaire…
- « Je ne sais pas ce que c’est qu’un super-profit », a déclaré le 30 août le ministre de l’Économie Bruno Le Maire devant le Medef
On ne fera pas l’insulte de rappeler à Bruno Le Maire que la définition du superprofit (aisément accessible sur les dictionnaires en ligne) est : « Profit considérable, au-dessus des profits habituels » (Larousse). Cette définition permet donc de définir et d’évaluer les superprofits, ce que les comptes de résultats des entreprises ne déterminent effectivement pas sur un strict plan comptable. On peut également parler de « profits excédentaires » comme la commissaire européenne à l’énergie elle-même, Kadri Simson, l’a évoqué.
Pour évaluer ces superprofits, on peut aisément établir la moyenne des profits des années précédentes (en excluant l’année 2020, année exceptionnelle de crise) et mettre en rapport cette moyenne avec les profits dégagés au titre de l’année 2021. La différence détermine alors le contour du « superprofit » potentiellement imposable. Il reste bien entendu à déterminer si cette taxe doit concerner l’ensemble des superprofits ou, comme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) le suggère, seulement le secteur énergétique. Quoi qu’il en soit, du Larousse jusqu’à Attac en passant par l’OCDE et la Commission européenne, tout le monde -ou presque- aura compris de quoi l’on parle en invoquant les superprofits…
- « Taxer en France, c’est produire moins en France » a en encore déclaré Bruno Le Maire devant le Medef
Vieux dogme néolibéral dépassé et contredit par les faits, ce type de formule mérite cependant une réponse. En réalité, taxer moins, c’est distribuer plus de dividendes et non pas investir. Les entreprises du CAC 40 n’ont consacré que 27,5 % de leurs profits à l’investissement. Taxer plus les superprofits ne nuit donc pas à l’investissement et peut au contraire le favoriser, puisque l’investissement donne notamment lieu à des amortissements, déductibles du résultat fiscal imposable à l’impôt sur les sociétés.
On peut pousser l’approche de Bruno Le Maire ainsi : faut-il supprimer tous les impôts sur les entreprises ? Il faudrait alors :
– soit augmenter les impôts sur les ménages mais, pour le gouvernement, en maintenant les mesures prises en faveur des plus aisés (transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière, prélèvement forfaitaire unique) : ceci reviendrait à accroître l’injustice fiscale en faisant reposer la charge fiscale sur les pauvres et les classes moyennes, à accroître fortement les inégalités en plombant le revenu de l’immense majorité de la population,
– soit privatiser des services publics puisque les moyens budgétaires manqueraient : ceci se traduirait par une hausse des coûts privés payés par les ménages pour accéder aux services privatisés, au détriment là aussi des pauvres et des classes moyennes.
Les néolibéraux arguent qu’au bout du compte, l’impôt sur les sociétés est répercuté sur la population (c’est le principe de « l’incidence fiscale ») dans les prix. Cela n’est pas faux. Mais l’impôt sur les sociétés permet de limiter la distribution de dividendes au profit des plus riches sans pour autant nuire à l’investissement. Le baisser ou baisser d’autres impôts sur les entreprises accélérerait la distribution de dividendes et nourrirait la spéculation notamment. Au bout du compte, le coût économique et social de la distribution de dividendes est plus élevé et injuste que le « coût » d’un impôt sur les sociétés (IS) qui finance une action publique à laquelle toute la population peut avoir accès.
- La courbe de Laffer : le retour du bon vieux dogme
Fidèle aux partisans de la « courbe de Laffer » (selon laquelle baisser les impôts incite à plus travailler et permet de dégager des recettes fiscales plus importantes), Bruno Le Maire a également affirmé que « Ce que je vois, c’est que, quand vous baissez le taux d’impôt sur les sociétés, les recettes augmentent, preuve de l’efficacité de notre politique fiscale ». Le ministre évoque ici le « surplus » de recettes de l’impôt sur les sociétés (IS), évalué à 27 milliards d’euros. Ce surplus ne doit cependant rien à la baisse de l’IS qui aurait favorisé la création de richesses comme le suggèrent les néolibéraux.
Bruno Le Maire feint d’ignorer la réalité. Celle-ci ressort du rapport intitulé « Le budget de l’État en 2021 » de juin 2022 publié par la Cour des comptes. Celui-ci montre que ce surplus de recettes se décompose de la manière suivante. « Plus de la moitié de l’écart provient d’un dernier acompte d’IS très élevé (10,1 Md€) par rapport à la série historique, qu’il était difficile d’anticiper et qui n’a été connu qu’en toute fin d’année ». La Cour note par ailleurs un défaut d’anticipation des recettes de l’IS, qui a conduit le gouvernement à minorer ses prévisions dans les lois des finances initiale et rectificative pour 2021. Globalement, le rebond économique en 2021 a ainsi joué à plein. Rien de cela ne provient de la baisse du taux de l’IS. Il y a mieux. La Cour note que les recettes de l’IS auraient pu être supérieures de 3,7 milliards d’euros à ce qui a été finalement encaissé si la baisse du taux de l’IS ne s’était pas poursuivie. Ce faisant, elle dément les propos de Bruno Le Maire.
Celui-ci persiste et signe dans le quotidien « Les Échos » daté du 1er septembre en déplorant le haut niveau des prélèvements obligatoires en France. Mais là encore, le dogme ne résiste pas à la réalité comme Attac ne cesse de le rappeler (voir notamment le livre « Impôts : idées fausses et vraies injustices »). Le niveau des prélèvements obligatoires n’enseigne rien, si ce n’est le degré de prise en charge par la collectivité (c’est-à-dire par les impôts et les ressources sociales) de besoins tels que l’éducation, la santé, les retraites, etc. Dans les pays où le taux de prélèvements obligatoires est plus bas, les ménages doivent prendre en charge, sur les ressources propres, davantage de besoins qu’en France. Mieux vaut alors être riche pour être bien couvert, avoir accès au système éducatif, etc. Mais au final, la part du PIB consacrée à financer ces besoins par des recettes publiques et privées est comparable.
- Taxer les superprofits aujourd’hui et mieux taxer les profits à l’avenir : une idée qui fait son chemin
La taxation des superprofits fait débat et c’est une bonne chose. Parmi ses partisans, certains souhaitent l’appliquer aux fournisseurs d’énergie, d’autres à tous les superprofits, certains la souhaitent temporaire et d’autres évoquent un dispositif pérenne ou une réforme fiscale plus globale. Ce débat permet également de lier les questions de réforme de l’impôt sur les sociétés, afin de tenir compte de la numérisation de l’économie et de neutraliser l’évasion fiscale. Mais ce gouvernement dont on rappellera qu’il se serait contenté d’un taux mondial minimum sur les multinationales de 12,5 % et qu’il a échoué durant la présidence française de l’Union européenne à appliquer le très insuffisant accord de l’OCDE comportant un taux de 15 %, refuse obstinément de taxer les superprofits, dogmes, et contrevérités à l’appui.
Pour Attac, ce débat montre au contraire qu’il faut changer d’approche. L’IS est finalement peu élevé en France : rappelons qu’en 2019, soit avant la baisse du taux de l’IS à 25 %, selon l’OCDE, l’IS français représentait 2,2 % du PIB en France contre 3 % dans l’ensemble des pays de l’OCDE. Par ailleurs, les grandes entreprises ont un taux effectif d’IS largement inférieur à celui des PME. L’enjeu consiste donc, dans le cadre d’une réforme fiscale de fond, à faire davantage contribuer les grandes entreprises, ce que le débat sur la taxation des superprofits montre également. Bruno Le Maire et le Medef, qui demande que les règles fiscales ne changent plus puisqu’elles lui sont largement favorables, l’ont bien compris et mènent de concert la bataille contre toute meilleure répartition de la charge fiscale.
- Toujours moins d’impôt pour les entreprises, surtout les plus grandes
À court terme, il importe pas exemple de ne pas supprimer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) comme le veut le gouvernement. Une telle mesure devrait coûter 8 milliards d’euros, qui seraient pourtant utiles au financement des politiques publiques… Contrairement à ce que claironnent les néolibéraux, la CVAE tient compte de la capacité contributive des entreprises. Elle comporte ainsi un barème progressif déterminé en fonction du chiffre d’affaires (soit notamment des ventes), elle est assise sur la valeur ajoutée, autrement dit sur l’un des principaux soldes intermédiaires de gestion de l’entreprise. La CVAE tient donc compte de l’activité des entreprises, autrement dit de leur « richesse créée ». Elle exonère par ailleurs les petites entreprises, qui ne bénéficieront donc pas de sa suppression, contrairement aux plus grandes.
La suppression de la CVAE (après une première baisse déjà intervenue cette année), met également les finances locales sous pression, puisqu’elle était affectée aux collectivités locales. Celles-ci voient l’État mettre de plus en plus la main sur leurs finances, avec des effets pervers évidents : pression de l’État pour baisser les dépenses publiques locales, dégradation des services publics locaux, etc. Le projet de loi de finances 2023 se profile mais d’ores et déjà, un constat s’impose : l’injustice fiscale et sociale est manifestement toujours en marche.
L’équipe de l’observatoire