Superprofits et superdividendes : le retour...
TotalEnergies annonce un résultat net de 19,5 milliards d’euros pour 2022 (soit 20,5 milliards de dollars) après déduction des pertes enregistrées en Russie. Si le cas de TotalEnergies est emblématique, la vague de superprofits ne concerne toutefois pas que le secteur énergétique : LVMH annonce un résultat net record de 14,75 milliards d’euros, 10,2 milliards d’euros pour la BNP Paribas. Ces annonces font suite à celles relatives aux 80,1 milliards d’euros de dividendes pour 2022 par les entreprises du CAC40, dont 56,5 milliards ont été effectivement distribués aux actionnaires en 2022, déduction faite des rachats par les entreprises de leurs propres actions dans le but d’augmenter la valeur nominale de celles restantes. La hausse de 10 milliards d’euros de dividendes par rapport à 2021 aura donc précédé une deuxième vague de superprofits (annoncés début 2023 au titre de l’année 2022), au moment même où le gouvernement veut imposer une réforme régressive des systèmes de retraites pour, à titre d’exemple symétrique, économiser 10 milliards d’euros en 2027.
Un gouvernement obstinément droit dans ses bottes
Le gouvernement d’une inflexibilité idéologique qui confine au dogme. Il n’entend toujours pas instaurer une taxe sur les superprofits en complément du mécanisme européen, alors que la Commission européenne elle-même a encouragé les gouvernements à aller plus loin que le mécanisme proposé. Il refuse par ailleurs de revenir sur ses choix coûteux consistant à imposer les revenus financiers au prélèvement forfaitaire unique et à supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune pour le transformer en simple impôt sur la fortune immobilière (25 milliards d’euros a minima sur le quinquennat pour ces deux mesures). Outre leur coût, ces mesures ont largement nourri les inégalités puisque leurs bénéficiaires figurent essentiellement au sein des 1 % des personnes les plus riches, ainsi que les rapports successifs du Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital, rattaché à France Stratégie, l’ont démontré.
Les superprofits servent à verser de superdividendes
Devant ce refus d’imposer les superprofits, et grâce à la baisse du taux nominal de l’impôt sur les sociétés et la remise en cause des impôts de production notamment, les grandes entreprises ont dégagé d’importantes marges de manœuvre pour accroître les versements de dividendes dans des proportions qui dépassent l’entendement. A titre d’exemple, l’analyse des profits du groupe TotalEnergies des années 2017 à 2019 montre que ceux-ci se sont élevés en moyenne à un peu plus de 11 milliards de dollars sur la période (soit 9,86 milliards d’euros au cours du 31/12/2019). Rapporté au résultat net de Total de 2021 (16 milliards de dollars, soit 14,06 milliards d’euros au 31/12/2021), la hausse est de plus de 4 milliards d’euros. Si l’on retient la définition des superprofits en vigueur au sein de l’Union européenne (soit la moyenne 2017-2019 augmentée de 20%), les superprofits de TotalEnergies s’élèvent par conséquent à 2,22 milliards d’euros pour 2021 et à 7,66 milliards d’euros pour 2022.
Au moment où le groupe annonçait ses résultats record, il annonçait également une augmentation de 6,4% son dividende et le versement d’un dividende exceptionnel de 1 euro par action. Rappelons que le groupe TotalEnergies avait déjà annoncé une hausse de ses acomptes sur dividende au titre de l’exercice 2023 et son intention de racheter pour 2 milliards de dollars d’actions au premier trimestre. En clair, les superprofits du groupe dégagés en 2021 ont été utilisés non par pour investir, mais pour financer une hausse du versement des dividendes. Ce constat est valable pour de nombreux groupes comme le confirment plusieurs travaux (comme par exemple la note de Natixis Research, "Une anomalie majeure : la hausse des taux de profit et du q de Tobin n’a pas entraîné une hausse de l’investissement" (NDR : le "Q de Tobin" est un ratio alimentant une théorie sur l’investissement), 6 février 2023).
Taxer les superprofits et mieux répartir les richesses, c’est maintenant
En assurant le service minimum avec l’application du mécanisme européen, le gouvernement a déjà évité aux grandes entreprises de verser une taxe sur les superprofits de 2021. Pour 2022, il n’est pas trop tard : 10 à 20 milliards d’euros pourraient être rapidement dégagés selon l’Alliance écologique et sociale (note d’AES : "Taxer les superprofits, c’est possible !", 27 septembre 2022). Mieux répartir les richesses n’est en effet plus une option. Par son refus de taxer les superprofits et de revenir sur des choix injustes et inefficaces, le gouvernement n’est plus légitime à imposer de nouveaux reculs sociaux, comme il entend le faire en matière de retraite après avoir porté un rude coup à l’assurance chômage, ni à s’engager sur la voie de l’austérité budgétaire comme il en rêve. Certes, les enjeux sociaux et écologique ne se résument pas à la taxation des superprofits. Mais celle-ci serait un premier pas...