Superprofits, impôt sur les sociétés, évasion fiscale… : débats et des bas ?
Refus persistant d’imposer, même temporairement, les « superprofits » des entreprises, échec à traduire au sein de l’Union européenne le projet d’imposition minimale des multinationales (pourtant largement insuffisant) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), absence totale de volonté de rééquilibrer le système fiscal, le quinquennat démarre aussi fort que le précédent : la justice fiscale, sociale et écologique ne passera pas ! Telle une boussole indiquant le sud, le pouvoir persiste obstinément dans son orientation injuste, incapable de faire face aux enjeux de la période. Alors que la première loi de finances du quinquennat vient d’être adoptée, il nous faut revenir un instant sur les sujets en débat.
Cachez cette taxe que je ne saurais voir...
En 2021, les entreprises du CAC 40 ont dégagé près de 160 milliards d’euros de profits (soit, schématiquement, le résultat d’exploitation de l’entreprise obtenu par différence entre les produits – les revenus – et les charges – les dépenses-) contre 94 milliards en 2017, 89 milliards en 2018 et 82 milliards en 2019. L’écart entre ces 3 années précédant l’année 2020, marquée par la crise sanitaire, et l’année 2021 avoisine donc les 70 milliards d’euros. Et si l’on prend en compte non plus seulement le CAC 40 mais les 150 plus grandes entreprises, le « superprofit » se situerait entre 82 et 93 milliards d’euros. Des chiffres que le gouvernement ne veut pas voir. Si l’Assemblée nationale aura finalement rejeté, de quelques voix, un projet de taxation de 25 % des superprofits des multinationales, cet écart situe le niveau des « superprofits » que certaines voix, dont celle d’Attac et des organisations membre du collectif « Plus jamais ça ! » [1] proposent d’imposer pour financer des mesures redistributives.
Les pourfendeurs de ce projet de taxation des « superprofits » avancent notamment qu’il faut préserver une « stabilité fiscale ». Sous entendu ici : une stabilité d’un système qui fait la part belle aux grandes entreprises et aux plus riches. Ils arguent également que certains profits sont réalisés à l’étranger et ne peuvent par conséquent pas être imposés en France. Mais en réalité, il faut plutôt parler ici de profits « déclarés » à l’étranger. En effet, comme plusieurs affaires (McDo, McKinsey pour ne citer que les plus récentes), il arrive que des profits soient « générés » en France mais déclarés dans des pays faiblement fiscalisés, via l’utilisation massive des prix de transfert souvent déconnectés des réalités économiques. Les mêmes mettent également en avant l’intérêt de réaliser d’importants bénéfices pour favoriser l’investissement. Or, une bonne part de ces profits donnent lieu au versement de dividendes (57 milliards d’euros en 2021 contre 47 milliards en 2017, 51 en 2018 et 30 en 2019) : ces sommes échappent ainsi à l’investissement et à la hausse de la rémunération des salarié.es.
Le débat n’est cependant pas clos. Le prochain projet de loi de finances pour l’année 2023 sera l’occasion de revenir sur cette question et, au-delà de la taxe sur les superprofits, sur l’absolue nécessité de réformer le système fiscal. Quant à la « stabilité fiscale », c’est celle qui reposerait sur un système fiscal véritablement progressif, permettant de réduire les inégalités et de financer l’action publique et la transition écologique, mais aussi de favoriser l’investissement des entreprises qu’il faut promouvoir.
Une mission parlementaire sur la fiscalité des entreprises
C’est dans ce contexte que le président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale a annoncé le lancement d’une mission d’information sur la fiscalité des entreprises (notamment des multinationales), prenant l’exemple de grandes entreprises qui paient peu d’impôt en France, voire n’en paient pas, alors qu’elles y exercent une activité. De nombreux exemples ont montré le découplage qui existe entre le territoire où est généré un profit grâce à une activité réelle et le territoire où ce profit est imposé, souvent où l’impôt sur les sociétés est faible, voire nul, par voie d’optimisation ou de fraude.
Utilisation des régimes dérogatoires et des « niches fiscales », exploitation des failles des textes (droit fiscal et conventions fiscales bilatérales), voire fraude et nous en passons ; le contournement de l’impôt est l’œuvre d’une ingénierie financière, comptable, juridique et fiscale mobilisée pour maximiser, même artificiellement, le profit, le revenu et le patrimoine d’une poignée d’agents économiques. Avec, à la clef, des pertes de recettes immenses pour les États. Pour le CEPII, « Plusieurs instruments peuvent ainsi être utilisés : manipulation des prix de transfert sur les transactions entre filiales d’un même groupe (échanges de biens ou de services) et la localisation des dettes ou d’actifs générant des revenus (brevets, marques, dette) au sein du groupe génèrent artificiellement des flux internationaux de dividendes entre filiales et maisons-mères, des pays à faible fiscalité vers ceux à fiscalité élevée » [2]. Et au final, selon Gabriel Zucman, 40 % des profits des multinationales sont logés dans les paradis fiscaux [3].
Qu’attendre de cette mission parlementaire ? Qu’elle dresse un bilan complet des stratégies d’évitement de l’impôt et des profils de ses bénéficiaires, mais également des mesures prises au cours des dernières années (qui a profité de la baisse des taux de l’impôt sur les sociétés et des impôts dits « de production » ? par exemple) . Il faut en effet rétablir les faits face au discours néolibéral. Mais aussi et surtout, même si nul doute que le gouvernement ne la mènera pas, qu’elle nourrisse le débat en faveur d’une réforme de fond du système fiscal.
Et pendant ce temps-là, en Europe…
Emmanuel Macron et son gouvernement l’avaient promis ; au cours du 1er semestre 2022, la présidence française de l’Union européenne permettra de traduire en droit européen l’accord de l’OCDE sur l’imposition minimale des multinationales qu’Attac a analysé comme étant très insuffisant [4]. Tel n’a pas été le cas. On parle désormais d’une application de cet accord en 2024, au mieux…
Rarement les orientations en débat auront été aussi claires : pour le gouvernement, la justice fiscale, sociale et écologique n’est ni un moyen, ni un objectif. Pour Attac (et les organisations engagées dans la plateforme Paradis fiscaux et judiciaires [5]), face aux enjeux, c’est au contraire une priorité absolue, en France comme au plan international (avec notamment l’instauration d’un cadastre financier et d’une taxation unitaire [6]).