Superprofits : Le Medef fidèle à lui-même...
Sans surprise, le patron du Medef Geoffroy Roux de Bézieux s’est déclaré opposé à une taxation des superprofits, allant même jusqu’à déclarer : « Qui est le plus grand super profiteur, si j’ose, qui fait les plus grands superprofits ? C’est l’État ». Cette déclaration a pour le moins de quoi faire bondir, et ce d’autant plus qu’elle s’accompagne d’une autre perle : « On n’a pas attendu la Première ministre pour rentrer dans la sobriété ». Après les révélations sur les montants faramineux des distributions de dividendes, le moins que l’on puisse dire est que, manifestement, le Medef a perdu le sens des mots et des réalités. Rétablissons ici quelques faits en 5 vérités.
1ère vérité : du côté des prélèvements, l’impôt sur les sociétés n’est pas aussi élevé qu’on l’entend en France
En 2017, Emmanuel Macron a décidé de baisser le taux de l’impôt sur les sociétés (IS), en arguant que le taux français était plus élevé que dans la plupart des pays et qu’il fallait se rapprocher de la moyenne européenne. Mais comparer les taux n’a pas de sens si l’on ne compare pas le bénéfice auquel il s’applique. Or, il se trouve qu’en France, l’assiette de l’IS est, de longue date, plus étroite qu’ailleurs : on admet ainsi davantage de déductions du bénéfice (provisions, amortissements…) qu’ailleurs. En outre, l’IS comporte également des régimes dérogatoires qui bénéficient aux groupes ainsi que des « niches fiscales », dont le célèbre crédit d’impôt recherche, qui va coûter le montant record de 7,4 milliards d’euros cette année. Au final, selon l’OCDE, l’IS français représentait 2,2 % du PIB en France contre 3 % dans l’ensemble des pays de l’OCDE en 2019, soit avant le passage du taux de l’IS à 25 % en 2022.
On précisera également que dans le contexte d’inflation, il n’y a pas que le rendement de l’IS qui progresse : la hausse des prix provoque aussi et surtout une augmentation du rendement de la TVA, impôt indirect qui pèse davantage sur le revenu des plus pauvres et des classes moyennes que sur celui des plus riches...
2ème vérité : du côté des dépenses, les entreprises ont été largement servies
Les entreprises contribuent de moins en moins au financement de l’action publique et de la protection sociale. À l’inverse, elles enregistrent des aides publiques dont le montant n’a jamais été aussi élevé : il est ainsi passé de 65 milliards d’euros en 2007 à 140 milliards d’euros en 2019 avant d’exploser sous l’effet des dispositifs de soutien durant la crise sanitaire.
Cette hausse a nourri le débat sur la conditionnalité de ces aides. Selon un rapport de l’Assemblée nationale du 31 mars sur « la conditionnalité des aides publiques aux entreprises » : « La conditionnalité des aides publiques aux entreprises interroge in fine, et fort légitimement, l’efficacité de la dépense publique et son impact économique, social, environnemental ». Et ce d’autant plus, que ces aides ont alimenté des profits moins imposés et très largement distribués sous formes de dividendes. Autrement dit, les aides publiques, financées par un système fiscal de plus en plus injuste (car moins progressif et reposant de moins en moins sur les plus riches et les entreprises, notamment les plus grandes), ont servi pour une bonne part à verser des dividendes… De quoi nourrir légitimement le débat sur la taxation des superprofits et une réforme de l’IS.
3ème vérité : taxer les superprofits n’isolerait pas la France, au contraire
L’idée d’imposer fortement les profits des fournisseurs d’énergie ne date pas d’hier : dès 2015, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) la posait déjà. L’OCDE préconise d’ailleurs l’instauration d’une telle taxe dans la période pour financer des mesures adaptées alors que la forte hausse des prix de l’énergie pénalise le revenu des ménages. La Commission européenne elle-même s’y est déclarée favorable. Le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie ont déjà décidé de mettre en place une taxe de ce type tandis qu’en Allemagne, le débat dans le sens d’une telle taxe se joue actuellement.
Précisons également à ce stade que la proposition de taxer les superprofits ne concerne que les plus grandes entreprises, ce que le Medef a une fâcheuse tendance à oublier en défendant « ses » profits et « ses » dividendes, alors que de nombreuses TPE et PME connaissent de réelles difficultés. En déclarant que « s’il faut taxer les superprofits, il faut aider les super pertes », le patron du Medef oublie l’ampleur des aides publiques aux entreprises, celles de la crise sanitaire et plus globalement celles en place de longue date...
4ème vérité : il faudra bien assurer le financement de la « transition écologique » et des services publics
Financer la « transition écologique » n’est plus une option et, budgétairement, aura un coût moindre que de ne rien faire. Selon la note intitulée « 2% pour 2°C ! » (8 mars 2022) de l’institut Rousseau, pour limiter le réchauffement à 2 degrés d’ici 2050, l’effort budgétaire annuel de l’État français devrait être rehaussé de 36 milliards d’euros. Selon la Banque centrale européenne (BCE, qui a publié ces données en 2017), le coût de l’inaction face au changement climatique provoquerait une perte de 10 % du PIB annuel à l’horizon 2100, contre seulement 2 % dans le cas d’un scénario de transition écologique. Le Réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier mis en place lors du One Planet Summit de 2017 évoquait pour sa part une perte d’environ 25 % du PIB d’ici à 2100. La question du financement est donc plus qu’essentielle, elle est simplement vitale pour faire face aux enjeux sociaux et écologiques.
Plus largement, il s’agit aussi de financer les services publics et la protection sociale, qui pâtissent de nombreuses années de pression budgétaire et, dans la période, sont également touchées directement et indirectement par la hausse des prix. N’en déplaise au Medef, les recettes publiques sont immédiatement réinjectées dans le circuit économique et financent une action publique au service de l’ensemble de la population et des entreprises.
5ème vérité ; l’injustice fiscale et sociale n’est plus supportable
Plus globalement, c’est bien l’injustice fiscale et sociale, doublée d’une forte inquiétude sur les défis du moment (le climat, la guerre, l’inflation, les inégalités, etc) qui est au cœur des défis. Le Medef a clairement choisi son camp et l’a réaffirmé par la voix de son « patron » : il faudra moins de contribution des entreprises (avec au surplus la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée confirmée par la Première Ministre) et des actionnaires et moins d’action publique et de protection sociale tandis que le SMIC, les salaires et les minima sociaux perdent du terrain face à l’inflation. Le serrage de ceinture pour la quasi-totalité de la population et l’insouciante abondance pour une minorité en quelque sorte.
Pour Attac, il faut au contraire mieux répartir les richesses, réduire les inégalités de toutes sortes et trouver ainsi les voies et moyens de lier les enjeux sociaux et climatiques. Pour ce faire, s’il faut d’ores et déjà taxer les superprofits, mais cela ne suffira pas : il s’agit aussi et surtout de réformer le système fiscal, conditionner les aides publiques et combattre résolument l’évasion fiscale. Un vrai débat de société en effet...