Suppression de la contribution à l’audiovisuel public : une proposition démagogique et dangereuse
Désormais candidat, Emmanuel Macron se livre à l’exercice facile des promesses de campagne en plaidant pour la suppression de la contribution à l’audiovisuel public, souvent dénommée "redevance audiovisuelle". Dans la foulée, Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement mû pour l’occasion en porte-parole du candidat, a déclaré que le danger d’une privatisation de l’audiovisuel public était écarté. Comment analyser ces deux promesses contradictoires ?
Baisser les prélèvements et ne pas augmenter les salaires : l’axe des candidats des inégalités
Une fois de plus, il s’agit ici d’éviter de parler d’augmenter les salaires et d’invoquer la baisse des prélèvements obligatoires pour favoriser le pouvoir d’achat en omettant d’en préciser les conséquences. Pour Emmanuel Macron et les « candidats des inégalités » (voir notre rapport du 3 mars 2022), les salaires n’ont pas vocation à augmenter et les finances publiques ont vocation à se tarir : le "patrimoine de ceux qui n’en ont pas", le service public, tout comme la protection sociale, en seront les premières victimes. Et par conséquent, on donnera d’une main à la population ce qu’on reprendra de l’autre au prix d’un changement de société.
Dans son courrier aux français, Emmanuel Macron propose d’ailleurs de baisser d’autres impôts, ce qui se traduirait par une baisse des recettes publiques, donc par une baisse du financement des services publics. Si l’on ajoute à cela la suppression de la contribution à l’audiovisuel public, cela veut donc dire que, dans un cadre budgétaire de plus en plus contraint, il faudrait tout de même affecter une partie du budget de l’État à l’audiovisuel public. Cette évolution est intenable et conduira à appauvrir l’audiovisuel public ou à en changer le modèle économique avec plus de publicités voire une privatisation à terme.
Toutes choses étant égales par ailleurs, il faudrait en effet que le budget de l’État se prive de 3,7 milliards d’euros, avec des conséquences évidentes sur les services publics, alors que ceux-ci souffrent déjà d’un manque patent de moyens. L’État peut également décider d’affecter un montant inférieur aux 3,7 milliards d’euros que rapportent actuellement la contribution à l’audiovisuel public, ce qui nuirait à celui-ci mais également aux services publics puisque même si le montant était inférieur à 3,7 milliards d’euros, il serait malgré tout supporté par le budget de l’État.
La suppression de la contribution à l’audiovisuel public n’est en définitive qu’une promesse trompeuse qui masque deux dogmes sévèrement ancrés au sein des néolibéraux de tout poil :
1. tout faire pour ne pas augmenter les salaires,
2. tout faire pour paupériser l’action publique.
Un changement d’approche de l’audiovisuel public
L’ancienne redevance (une redevance étant un prélèvement payé en contre-partie d’un service rendu), devenue contribution à l’audiovisuel public, est un prélèvement forfaitaire de 138 euros en métropole et de 88 euros outre mer dont le rendement global s’élève à 3,7 milliards d’euros (2021). Son rendement est attribué à l’audiovisuel public. Si 27,6 millions de foyers sont assujettis à la redevance, selon les données du ministère de la Culture pour 2021, en réalité, un peu moins de 23 millions la paient effectivement. Elle représente environ 83 % du budget total de l’audiovisuel public. Le montant de la contribution est relativement faible par rapport aux pays européens : d’après l’Union européenne de radio-télévision, en 2020, la France se classe en 8ème position des pays européens, derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni.
En proposant de supprimer la contribution à l’audiovisuel public, Emmanuel Macron tente de « jouer le jeu » de Marine Le Pen et d’Eric Zemmour qui veulent égaleme,t la supprimer. Il tente cependant de s’en démarquer sur la question de la privatisation, voulue par les deux candidats d’extrême droite.
Or, supprimer un financement affecté au rendement substantiel pose nécessairement la question de l’avenir de l’audiovisuel public. La piste d’un financement par le budget de l’État est débattue, avec les potentielles conséquences évoquées ci-dessus. Mais elle n’offre aucune garantie et modifie en profondeur la nature même du financement de l’audiovisuel public et ce, pour plusieurs raisons :
• la lisibilité du financement de l’audiovisuel public serait affectée,
• en l’absence d’une ressource propre affectée comme l’est la contribution à l’audiovisuel public, une majorité pourrait procéder à des choix budgétaires qui pénaliserait le financement de l’audiovisuel public,
• au surplus, l’austérité que prépare Emmanuel Macron pour le futur quinquennat ne permettra pas de financer l’audiovisuel public correctement alors même que des voix s’élevaient pour que ce financement lui permette d’être ambitieux,
• enfin, le financement par le budget de l’État constitue un mauvais symbole en termes d’indépendance.
Pour pérenniser l’indépendance de l’audiovisuel public, il est nécessaire de refuser la suppression de la contribution à l’audiovisuel public. Nous proposons également de mettre en débat une réforme de cette contribution afin de la rendre plus juste : en effet, prélever la même somme à tous les ménages revient à prélever davantage les pauvres que les riches en proportion de leur revenu ; il serait donc plus juste de moduler le montant de la redevance en fonction du revenu.