Taxer les riches : un (grand) débat légitime pour la justice fiscale, sociale et écologique

, par Équipe de l’Observatoire

Le mouvement historique contre la réforme des retraites l’a posée, tout comme celui des Gilets jaunes voici quelques années : la taxation des riches est bel et bien un enjeu majeur que les défenseurs des politiques néolibérales ne peuvent plus nier, ni encore moins mépriser comme ils l’ont si souvent fait.

Un enjeu reconnu, au-delà de nos frontières

De nombreuses organisations et personnalités se sont exprimées sur le sujet : il en va ainsi d’Attac bien sur, mais également d’Oxfam. Taxer les riches : si le slogan a été repris à maintes reprises dans les manifestations, il traduit une attente forte synonyme d’enjeu de société. Récemment, Jacques Attali lui-même, pourtant peu suspect d’être révolutionnaire, déclarait que le gouvernement aurait du financer les systèmes de retraite par « les impôts sur les plus riches  ».

Il ne s’agit toutefois pas d’une question franco-française. Au niveau international, Joe Biden a proposé un mécanisme de taxation des plus riches, à l’image de ce qui s’est discuté pour les multinationales. L’Espagne prévoit de rehausser l’imposition des plus riches pour financer… le système de retraites ! Au sein de l’Union européenne, plus de cent députés européens proposent l’instauration d’un impôt sur la fortune des ultra-riches à l’échelle internationale (1,5 % au-delà de 50 millions d’euros de patrimoine) afin de réduire les inégalités tout en participant au financement des investissements nécessaires à la transition écologique et sociale. Ces propositions font suite à celle de Thomas Piketty de créer un impôt mondial de 2 % sur les fortunes supérieures à 10 millions d’euros (pour un rendement est estimé à 1.000 milliards d’euros par an)

Le bilan désastreux des politiques néolibérales

Il faut dire qu’il n’est plus possible d’invoquer le ruissellement pour justifier les baisses d’impôt des plus riches. Le bilan est désormais connu. En France, la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière et l’instauration du prélèvement forfaitaire unique (l’impôt proportionnel sur les revenus financiers) ont provoqué un manque à gagner d’environ 5 milliards d’euros par an qui manquent cruellement aux services publics. Couplée à la baisse des impôts des entreprises (notamment la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés), ces mesures ont eu pour conséquences une hausse spectaculaire de la distribution de dividendes, celle-ci étant davantage concentrée sur les plus riches, notamment au sein des 1 % les plus riches qui détiennent 16 % du patrimoine total des ménages (et encore ne s’agit-il là que du patrimoine personnel déclaré, une partie du patrimoine des plus riches pouvant être logé dans des holdings et considéré comme du patrimoine professionnel, voire pouvant ne pas être déclaré du tout). Ainsi, l’organisme France stratégie dans ses 3 rapports successifs, le confirme : ces mesures n’ont pas eu d’impact positif sur l’investissement et les salaires. Elles ont par ailleurs accentué les injustices, creusé les inégalités et contribuent au retour d’une société de rentiers : rappelons que, selon le Conseil d’analyse économique, la part de la fortune héritée dans le patrimoine représente désormais 60 % contre 35 % au début des années 70.

Les défenseurs de ces choix continuent pourtant d’expliquer que, grâce à ces mesures, le chômage a baissé. Or, l’évolution du taux officiel du chômage dépend de nombreux facteurs comme la démographie, les mutations du travail, les stratégies de délocalisation et, globalement, le niveau de l’activité économique. Au reste, la courbe de ces taux depuis 1990 (l’ISF a été rétabli en 1989) montre des points hauts mais aussi des points bas (1991, 2022, 2008). Impossible donc d’établir une corrélation entre l’ISF et un haut niveau de chômage.

La question écologique désormais installée

Le lien entre les questions sociales et écologiques est désormais établi, non seulement au sein du mouvement social mais également au-delà. Le dernier rapport du GIEC en appelle désormais à la « justice climatique » et sociale. Il propose ainsi de "donner la priorité à l’équité, à la justice climatique, à la justice sociale, à l’inclusion et à des processus de transition justes peut permettre l’adaptation, des mesures d’atténuation ambitieuses et un développement résilient au climat."

Le rapport souligne aussi que les populations les moins responsables du réchauffement (en particulier les plus pauvres) sont également les plus touchées. À l’inverse, plus on est riche et plus on pollue. En 2019, 50 milliards de tonnes de CO² ont été émis dans le monde dont 24 milliards par les 10 % les plus riches (notamment dans les « pays occidentaux ») tandis que les 1 % les plus fortunés ont produit à eux seuls 8,5 milliards de tonnes soit en moyenne 110 tonnes de CO² par personne. Au sein des plus fortunés, dont le mode de vie est très polluant, les vols en jets privés (contre lesquels Attac est engagée) expliquent une partie de ces émissions.

Taxer les riches, comment ?

Réduire les inégalités, financer la transition écologique et « refaire société » en tentant notamment de renforcer le consentement à l’impôt malmené par les politiques néolibérales, c’est légitime et urgent.

Pour ce faire, plusieurs mesures doivent être prises :
 l’instauration d’un impôt progressif sur la fortune,
 des droits de donation et de succession prévoyant un abattement réduit,
 la suppression du PFU et l’imposition des revenus financiers au barème progressif de l’impôt sur le revenu,
 une revue des « niches fiscales » et de l’ensemble des dispositions permettant tout à la fois de procéder à une accumulation de richesses et de réduire l’impôt dû,
 le renforcement à tous niveaux (national et international) de la lutte contre l’évasion fiscale,
 l’instauration d’un impôt sur le patrimoine des plus riches au niveau supra-national (a minima au sein de l’Union européenne), qui compléterait l’impôt sur la fortune national,
 une taxation unitaire des multinationales,
 un cadastre financier mondial permettant d’identifier les propriétaires des titres financiers,
 un renforcement de la coopération passant par exemple par un système d’échange d’informations et une véritable transparence permettant d’en finir avec les différentes formes de sociétés-écrans.

« Taxer les riches » est plus que jamais une question de société.