Une CJIP pour LVMH...
En 2019, le journal Fakir et François Ruffin s’étaient portées parties civiles contre le groupe LVMH pour avoir infiltré la rédaction du journal, et mis son ancien directeur sous surveillance. Grâce à une négociation discrètement menée, LVMH ressort sans dommage de cette sombre histoire.
Ainsi, il y a quelques jours, LVMH signait une Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) avec le procureur de Paris, lui permettant d’éviter tout procès et toute reconnaissance de culpabilité, en échange d’une amende de 10 millions d’euros.
La CJIP, a été instaurée dans la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 et permet au procureur de la République de conclure une convention judiciaire d’intérêt public avec une personne morale mise en cause pour des faits d’atteintes à la probité. Cette mesure alternative aux poursuites est applicable aux entreprises, associations, collectivités territoriales, etc, mises en causes pour des faits de corruption, trafic d’influence, fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale et toute infraction connexe.
Selon Michel Sapin, cette loi est « fondée sur trois piliers : la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique ». Pourtant, en ce qui concerne la lutte contre la corruption et la transparence, le principe de la CJIP est très discutable, puisque les négociations se font de manière très discrète, et si les conventions sont toutes publiées sur le site de l’Agence Française Anticorruption [1], on ne sait rien des négociations en cours, ni des règles de calcul des pénalités…
En ce qui concerne les CJIP relatives à de la fraude fiscale, on dénombre 1 ou 2 conventions par an, uniquement pour des grandes entreprises, puisque les montants sont conséquents. Ainsi, parmi les entreprises concernées, on notera Google en 2019, et JP Morgan en 2021. On pourrait aller jusqu’à dire que cette justice négociée, désormais étendue à la fraude fiscale, correspond peu ou prou à de l’impôt négocié, ce que confirmerait la loi ESSOC de 2018, qui favorise les régularisations et transactions.
Ce type de convention permet donc d’éviter un procès, et de collecter de l’argent plus rapidement. D’ailleurs, selon François Ruffin, la juge ayant avalisé la CJIP entre le procureur et LVMH, a motivé sa décision par le fait que cette convention « représente une solution rapide et efficace faisant rentrer de l’argent dans les caisses de l’État [2] ».
Ces propos illustrent d’abord le manque de moyens de la Justice française, qui en est réduite à accepter des marchandages d’apothicaires, plutôt que d’instruire sérieusement des dossiers. Ils montrent également que, faute de moyens, la justice devient de plus en plus inéquitable, en fonction des accusé.es.
Or, LVMH, propriété du milliardaire Bernard Arnault, est régulièrement pointée du doigt pour ses pratiques fiscales douteuses, qui limitent les ressources de l’Etat, et donc des Services Judiciaires. Ainsi, 305 filiales de LVMH se situent dans des paradis fiscaux (soit 27%, le plus fort taux du CAC 40) dont 24 au Luxembourg [3].
La Cour des comptes a montré comment Bernard Arnault et LVMH utilisent la fondation Louis Vuitton comme un outil d’optimisation fiscale leur ayant permis d’économiser 518 millions d’euros d’impôts [4].
Enfin, en 2021, le scandale #OpenLux a révélé que Bernard Arnault possède 31 sociétés au Luxembourg (en plus des 24 filiales de LVMH). « Sur les 31 holdings identifiées par Le Monde, à peine trois ont une activité identifiable. Quelque 634 millions d’euros de participations ne sont pas traçables à partir des comptes de ses sociétés [5] ».
Cet exemple est donc particulièrement illustratif de la situation actuelle : par le biais de l’évasion fiscale, LVMH réduit les moyens de la justice, et bénéficie donc d’un meilleur rapport de force pour négocier des amendes au rabais. Pour faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat, il semblerait donc pertinent de s’intéresser sérieusement à LVMH, champion français de cette compétition qui mine nos services publics, et les fondements de notre démocratie.