Vers une suppression injuste et préoccupante de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises
Déjà abaissée de 50 % en 2021, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), un impôt affecté aux collectivités locales, devrait être supprimée (en un ou deux ans) dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023. Les arguments invoqués par le gouvernement pour justifier la suppression de la CVAE sont connus. Il faudrait favoriser l’attractivité fiscale de la France et la compétitivité des entreprises. Après avoir singulièrement abaissé le taux de l’impôt sur les sociétés (IS) et procédé à deux vagues d’allègement de 10 milliards d’euros chacune des impôts de production, le gouvernement veut donc porter un coup fatal à la CVAE et accorder un nouvel allègement coûteux aux entreprises.
Dans une note du 2 septembre 2020 intitulée « Les impôts sur la production en question(s) », Attac précisait ceci. « Il serait cependant faux de considérer que les impôts sur la production forment un tout qui ne tient aucunement compte de l’activité des entreprises. Ces impôts sont en effet divers et obéissent à des logiques différentes de l’impôt sur les sociétés, mais ne peuvent être jugés comme totalement déconnectés des capacités contributives des entreprises. (…) La CVAE comporte ainsi un barème progressif déterminé en fonction du chiffre d’affaires (soit notamment des ventes), elle est assise sur la valeur ajoutée, autrement dit sur l’un des principaux soldes intermédiaires de gestion de l’entreprise. Schématiquement, la base de calcul à la CVAE est déterminée ainsi : produits à retenir diminués des charges imputables. La CVAE tient donc compte de l’activité des entreprises, de leur richesse créée ».
Les enseignements tirés de la baisse de 50 % de la CVAE intervenue en 2021 sont parlants. Ils préfigurent ceux que le bilan de la suppression totale de la CVAE livrera : moins de 10.000 entreprises, les plus grandes, ont capté 66 % des gains de cette baisse (source : Assemblée nationale, compte rendu de la séance du 14 novembre 2020).
Les raisons qui expliquent une telle concentration du bénéfice de cette mesure sont les suivantes :
• La CVAE comporte un barème progressif déterminé en fonction du chiffre d’affaires hors taxe, qui comprend 5 tranches dont les taux, de 0 % pour un chiffre d’affaires inférieur à 500.000 euros s’élèvent jusqu’à 0,75 % au-delà de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires. Toutes les entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 500 000 euros ne paient donc pas à la CVAE. Les petites entreprises n’ont pas bénéficié de la baisse de 50 % et ne bénéficieront donc pas de sa suppression (il en va ainsi des entreprises individuelles notamment qui, précisons-le au passage, sont imposées à l’impôt sur le revenu et n’ont par ailleurs pas bénéficié de la baisse de l’impôt sur les sociétés de 33,3 % à 25 % entre 2017 et 2022).
• La majorité des PME dont le chiffre d’affaires est supérieur à 500.000 euros et sont ainsi potentiellement imposables à la CVAE ne s’acquittent que du montant forfaitaire de 250 euros : le gain de cette suppression sera marginal (125 euros en deux ans compte tenu de la baisse de 50 % intervenue en 2021). Ces entreprises sont nombreuses : pour la CVAE 2018, sur 527 000 redevables de la CVAE, 289 000 étaient assujettis à cette cotisation minimum (source : évaluation préalable des articles du projet de loi de finances 2021).
Par ailleurs, deux grands secteurs (industries ; extractives, manufacturières, de production et de distribution d’électricité, de gaz, de vapeur et d’air conditionné, de production et distribution d’eau, d’assainissement et gestion des déchets, de dépollution ou encore les transports) représentaient à eux seuls 72 % de la CVAE en 2018.
Après la baisse de 50 % en 2021, la suppression programmée de la CVAE coûtera 8 milliards d’euros. Et ce sont donc bien les grandes entreprises qui bénéficieront à plein de cette mesure. Des grandes entreprises qui, dans leur grande majorité, ont déjà dégagé des profits records et versé un montant lui aussi record de dividendes en 2021. On imagine donc qu’elles et leurs actionnaires voient la suppression de la CVAE d’un très bon œil…
Pour les finances locales en revanche, cette évolution est préoccupante. Après d’une part, une première vague de baisse de « impôts de production » (dont la CVAE mais aussi la cotisation foncière des entreprises) de deux tranches de 10 milliards d’euros chacune et d’autre part, la suppression de la taxe d’habitation programmée pour 2023, les collectivités locales voient la pression s’accroître sur leurs finances. Non seulement elles perdent des impôts qui leur étaient directement affectés mais de plus, avec de telles évolutions, l’État reprend la main sur les finances publiques. Dans le même temps, il veut inciter les collectivités locales à baisser leurs dépenses, ce qui dégradera les services publics locaux et les aides locales, et formaliser cette austérité locale par contrat.
Rappelons qu’en 2019, le produit total de CVAE s’élevait à 18,9 Md€. Elle était versée à hauteur de 5,7 Md€ au bloc communal, de 3,8 Md€ aux départements et de 9,5 Md€ aux régions. Pour combler la perte de recettes, la compensation par une hausse du transfert d’une fraction de TVA au bloc communal et aux départements est l’option la plus probable. Précisons ici que le rendement net de la TVA, une fois déduits certains remboursements de crédit de TVA, s’est élevé à 185 Md€ en 2021. 93 Md€ sont affectés à l’État, soit la moitié ; 54 Md€ à la sécurité sociale et 37 Md€ aux administrations publiques locales, qui pourraient en recevoir un montant supérieur à l’avenir. La TVA est de loin l’impôt le plus rentable du système fiscal français. Le gouvernement va-t-il augmenter ses taux ? L’avenir le dira. Il est cependant certain que, hausse des taux ou non, avec l’inflation, le rendement de la TVA va encore s’accroître. Et les injustices fiscales et sociales avec : en proportion de leur revenu, le montant de TVA acquitté par les 10 % les ménages les plus pauvres est, selon les études, 3 à 4 fois supérieur à celui des 10 % les plus riches.
Le pouvoir confirme donc l’orientation du dernier quinquennat : une politique à rebours des enjeux sociaux et écologiques.