Cum cum, Cum ex, kesako ?
Révélées au grand public en 2018, les pratiques d’évitement de l’impôt baptisées « cum cum » et « cum ex » ont refait surface récemment. Le coût de ce schéma d’évasion fiscale est colossal : loin des 55 milliards d’euros de pertes de recettes pour plusieurs États européens tel qu’annoncé en 2018, il aurait en réalité généré en 20 ans quelque 150 milliards dont 33 milliards d’euros pour la France. Des milliards d’euros qui ont cruellement manqué au système de santé ou encore au financement de la transition écologique. Tout ceci, avec la complicité d’intermédiaires et de banques qui ont rendu ce schéma possible.
Cette pratique a perduré bien au-delà du dispositif censé les neutraliser voté fin 2018 en France. Quelle est cette pratique ? Comment a-t-elle pu voir le jour et durer ? Comment l’empêcher à l’avenir ? C’est l’objet de la présente note.
Deux évitements de l’impôt tous deux synonymes d’évasion et de fraude fiscales
Derrière l’affaire se trouvent en réalité deux schémas d’évasion fiscale, l’un considéré comme légal, l’autre relevant de l’illégalité.
Le CumCum est présenté comme une forme légale d’optimisation fiscale puisque le but est d’utiliser le droit au bénéfice des investisseurs étrangers. Ceux-ci revendent en effet leurs actions aux banques nationales pour une durée souvent très courte avant de percevoir leurs dividendes. Ces investisseurs échappent donc à tout prélèvement et récupèrent ensuite leurs dividendes, moyennant une commission versée à la banque qui aura hébergé temporairement leurs titres financiers. L’opération est rapide, si bien que les administrations fiscales n’identifient pas le véritable propriétaire des titres. Dans un rapport [1], l’Assemblée nationale précise que « cette pratique consiste à transférer de manière artificielle la propriété d’actions ou titres ouvrant droit à dividendes, lorsque ces derniers sont versés, pour échapper à l’impôt, à travers deux types de montage :
– les montages internes, dans lesquels une personne ne résidant pas en
France va transférer ses actions ou titres à un résident français – souvent un établissement financier –, qui percevra le dividende et rétrocédera le montant de ce dernier par le biais d’un flux indirect ;
– les montages externes, s’appuyant sur l’exploitation des conventions fiscales exonérant de retenue à la source les dividendes et consistant à transférer la propriété des actions ou titres à un résident d’une juridiction liée par une telle convention, le dividende perçu – et exonéré – étant ensuite également restitué, directement ou indirectement, à son détenteur réel. »
Considéré comme « légale » bien qu’immorale, cette pratique pourrait toutefois ne pas résister à une analyse approfondie. Elle est mise en œuvre principalement, voire exclusivement, pour échapper à l’impôt et pourrait à ce titre relever de l’abus de droit, soit de la fraude fiscale.
Le CumEx, est pour sa part une pratique reconnue d’emblée comme illégale et frauduleuse qui a permis à des sociétés non seulement d’éviter l’impôt mais aussi de se faire rembourser un impôt sur les dividendes qu’elles n’ont pas payé ! Parfois même, la chaîne de complicité aboutit à rembourser à plusieurs « faux propriétaires » (mais qui se prévalent de l’être pour avoir détenu ces titres durant une courte période) le crédit d’impôt, égal en théorie à l’impôt payé par les investisseurs étrangers sur leurs revenus de source française, ici les dividendes. Concrètement, les dividendes sont versés à la personne détentrice d’actions. Par un habile système d’achat/revente d’un grand nombre d’actions entre sociétés au moment du versement des dividendes, les sociétés ont demandé aux administrations fiscales le remboursement d’un crédit d’impôt lié au versement des dividendes. Les administrations fiscales n’arrivant pas à identifier le véritable propriétaire, elles procèdent au remboursement.
Les mesures prises fin 2018 en France ont été controversées dès le début
En France, un mécanisme dit de lutte contre les schémas d’optimisation fiscale d’« arbitrage de dividendes internes » (dit « CumCum interne ») est entré en vigueur le 1ᵉʳ juillet 2019 afin que les investisseurs étrangers ne puisse échapper à la retenue à la source prévue par l’article 119 bis du Code général des impôts (CGI).
Selon le rapport précité de l’Assemblée nationale, le but était de « requalifier en revenu distribué sujet à la retenue à la source prévue à l’article 119 bis du CGI, les versements réalisés :
– entre des résidents fiscaux français et des non-résidents fiscaux français,
– dans le cadre d’une cession temporaire ou de toute opération donnant le droit ou faisant obligation de restituer ou revendre des parts ou actions ou des droits portant sur des titres pendant une période de moins de 45 jours incluant la date à laquelle le droit à une distribution de produit d’actions, de parts sociales ou de revenus assimilés au versement d’un dividende est acquis.
La retenue à la source est due lors de la mise en paiement du versement et acquittée par la personne qui en assure le versement. La présomption posée par le législateur est une présomption simple susceptible d’être renversée par les contribuables dès lors qu’ils peuvent prouver que l’opération effectuée n’a pas principalement pour objet d’éviter l’application de la retenue à la source prévue à l’article 119 bis du CGI. Le remboursement de la retenue à la source pourra alors être obtenu ».
Cette mesure s’est avérée inefficace. Pire, elle a été contestée avant sa mise en œuvre, soit dés son vote par l’Assemblée nationale. En juillet 2019 en effet, le rapport de l’Assemblée nationale précité revenait sur le débat qui l’a opposée au Sénat en répondant au passage aux critiques du quotidien Le Monde. Le Sénat et le quotidien Le Monde regrettaient en effet de concert que le dispositif ne couvre pas l’ensemble des pratiques puisqu’il ignorait le « cum cum externe ».
L’argument avancé par les rapporteurs de l’Assemblée nationale pour justifier cette mesure très en retrait est curieux : « si regretter la suppression du volet dédié aux montages externes se comprend dans l’absolu, maintenir cette partie du dispositif n’aurait pas été raisonnable dans la mesure où, ainsi qu’il a été vu, elle présentait de très sérieux risques de contrariété avec le droit européen et les conventions fiscales ». En termes plus clairs, les rapporteurs admettaient alors à demi-mot d’une part, que le dispositif voté était (et demeure) insuffisant et d’autre part, qu’ils avaient renoncé à modifier des textes existants alors que l’objet de toute réforme est précisément… de les modifier ! On connaît malheureusement la suite : le schéma a perduré avec à la clef un coût faramineux pour les finances publiques.
Le 23 octobre 2021, une proposition de résolution visant à créer une commission d’enquête sur la lutte contre l’arbitrage de dividendes était déposée par une sénatrice. Il serait également intéressant d’analyser la responsabilité des acteurs engagés dans ce gigantesque schéma d’évasion fiscale, dont les banques... Reste enfin que l’urgence est bien d’en finir avec ce type de montage. Pour ce faire, le renforcement de la coopération internationale (accompagné par exemple par l’instauration d’un cadastre financier) et des moyens législatifs (afin de couvrir l’ensemble des pratiques concernées), humains et matériels des services qui combattent l’évasion fiscale sont indispensables.