Prix de transfert, kesako ?
Si l’affaire McKinsey défraie la chronique pour de multiples raisons, sur le strict plan fiscal, elle ne vient finalement que s’ajouter à la longue liste des affaires révélant l’ampleur de l’évasion fiscale internationale, que celle-ci relève d’une « optimisation fiscale agressive » ou de la fraude. Elle met notamment en lumière la question des prix de transfert que nous tenterons ici d’expliquer de la manière la plus accessible possible.
Définition des prix de transfert
Les prix de transfert sont des transactions internes aux groupes de sociétés (les transactions intra-groupe ou intra-firme), autrement dit des transactions réalisées au sein de différentes entités des multinationales ou d’entreprises de taille intermédiaire liée à au moins une société établie à l’étranger. Ils constituent en théorie le prix des biens et des services qui se vendent entre ces entités d’un même groupe. Les sommes en jeu sont particulièrement élevées : les transactions intra-groupe représentent, selon les années et les estimations, entre 30 et 60 % de l’ensemble du commerce mondial.
Ceci signifie que la manière dont sont organisées les multinationales (avec des entités présentes dans des paradis fiscaux) et dont sont « facturées » les ventes de biens et de services revêt un enjeu financier et fiscal d’autant plus colossal que ces transactions portent tout à la fois sur des ventes « traditionnelles » (ventes de biens, prestations de conseils, etc) mais également sur des transactions portant sur les actifs immatériels (brevets, marques). Ces derniers peuvent représenter 50 à 70 % de la valeur d’une entreprise, ils ont connu un véritable essor avec le succès des entreprises intensives en capital immatériel reposant sur leur capacité à orchestrer des réseaux mondiaux et, plus largement, sur la numérisation de l’économie et la propriété intellectuelle
Prix de transfert, un exemple
Pour illustrer l’enjeu que représentent ces transactions intra-groupes, autrement dit les « prix de transfert », nous prendrons l’exemple très simple suivant. Si les données qui figurent ici sont évidemment différentes de celles de McKinsey, le schéma correspond à celui dont la presse et le rapport du Sénat ont fait état, à savoir les liens entre une société établie en France et une autre, du même groupe, établie au Delaware, un paradis fiscal notoire dans lequel on compte plus de 1,2 million de sociétés pour 950.000 habitants !
La société « Profi » établie uniquement en France dégage un bénéfice imposable de 1.000.000 d’euros. En théorie, elle devrait payer 250.000 euros d’impôt sur les sociétés (IS, au taux de 2022 de 25%).
La société fait cependant partie d’un groupe multinational dont l’une des entités, baptisée « Évit », est installée dans un paradis fiscal qui présente très opportunément un taux d’impôt sur les sociétés de 0 %. Évit édite une facture de 300.000 euros pour une prestation de service que Profi enregistre comptablement sur un compte de charge. Son bénéfice est donc ramené à 700.000 euros (soit 1.000.000 – 300.000). Au taux de 25 % d’IS, le groupe constitué des entités Profi et Évit réalise donc une économie d’IS de 75.000 euros (soit les 300.000 euros déduits du bénéfice de Profi au taux d’IS de 25%).
Si la facture correspond à une véritable prestation de service (ce qui signifie notamment que l’entité Évit exerce une activité économique réelle) et que le prix facturé de 300.000 euros correspond au prix du marché, c’est-à-dire au prix que Profi aurait payé auprès d’une autre société avec laquelle elle n’est pas liée, nous avons affaire à une opération légale qui, dans le cas du groupe en question, relève de l’optimisation fiscale puisque l’activité est située stratégiquement dans un pays ayant une fiscalité particulièrement peu élevée.
Il peut cependant s’agir d’une fraude dans deux cas.
1/ La prestation facturée par la société Évit est fictive : dans ce cas, Profi n’aurait pas dû déduire les 300.000 euros de son bénéfice imposable en France. La fraude s’élève donc à 75.000 euros, soit l’IS que Profi aurait dû payer en France et qu’elle n’a pas payé en raison de cette déduction de 300.000 euros effectuée à tort.
2/ Il y a eu une prestation qui a effectivement été réalisée par la société Évit mais qui a été surfacturée. Aux conditions normales du marché (selon le principe de libre concurrence comme le définit l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE), il apparaît que cette prestation aurait dû être facturée 100.000 euros. Dans ce cas, 200.000 euros ont été déduits à tort du bénéfice de la société Profi imposable en France. Le montant de la fraude s’élève ici à 50.000 euros, soit 25 % des 200.000 euros déduits à tort du bénéfice imposable en France.
Une chose est sûre cependant : sans ces formes de plus en plus sophistiquées d’évasion et de fraude, l’injustice fiscale serait sensiblement moins forte et les politiques publiques seraient mieux financées pour combattre les inégalités, prendre en charge les besoins sociaux et organiser la bifurcation écologique.