Au-delà de la taxation des superprofits, l’Impôt sur les sociétés doit-il être progressif ?

, par Équipe de l’Observatoire

La question de la progressivité de l’impôt sur les sociétés (autrement dit de l’application d’un barème dont les taux appliqués aux tranches augmentent au fur et à mesure que le bénéfice s’élève) est rarement posée. Mais cela n’empêche pas d’y réfléchir, notamment dans un contexte de débat passionné sur la taxation (ou pas) des « superprofits ». En effet, taxer les superprofits en plus de l’impôt sur les sociétés qui leur a été initialement appliqué conduit assez logiquement à ouvrir ce débat puisque c’est au fond l’avenir de l’imposition des sociétés qui est en question.

Cette idée de progressivité de l’impôt sur les sociétés semble légitime et évidente  : après tout, l’impôt sur le revenu des ménages est bien progressif ; pourquoi pas l’impôt sur les sociétés (IS) ne le serait-il pas ?

En la matière, le principal problème et le plus évident concerne la capacité des sociétés à se restructurer pour atténuer voire contourner cette progressivité : en dehors de toute considération touchant à l’évasion fiscale, une société (ou simplement une entité d’un groupe de type multinationale) pourrait se scinder en plusieurs entités, certes imposables en France, mais qui lui permettraient de scinder également son bénéfice en plusieurs bénéfices. Et ce, en lieu et place de la société (ou de l’entité) préexistante et bien entendu de son bénéfice. Une telle restructuration provoquerait donc une division du bénéfice imposable avec, à la clef, des pertes de recettes fiscales pour l’État et ce, alors que l’IS a déjà été fortement abaissé.

Au fond, la question est donc de savoir si la capacité contributive d’une entreprise doit tenir compte des liens qu’elle entretient avec d’autres entreprises (groupes juridiquement constitués ou groupes de fait).

- Si l’on pense que non, alors le risque de scission et d’éclatement des sociétés potentiellement concernées par de hautes tranches évoqué ci-dessus est maximum. Avec au surplus un risque social, puisque le rapport de forces est généralement plus favorable aux salariés dans les grandes structures et les instances de représentation des personnels y sont globalement plus développées.

- Si l’on pense que oui, il faut alors prioritairement repenser l’impôt sur les sociétés en profondeur, notamment en promouvant un impôt appréhendant le bénéfice au stade du groupe (à l’instar des partisans de la taxation unitaire dont Attac fait partie) puisque ceux-ci ignorent les frontières dès qu’il s’agit de leur profitabilité et se gèrent au niveau multinational. Et ce, en commençant sans délai par rendre l’IS véritablement équitable. Car, de ce point de vue, on en est très loin : le taux réel d’imposition des grands groupes est sensiblement inférieur à celui des petites et moyennes entreprises. Avant la crise sanitaire, il s’élèverait ainsi à 17,8 % pour les grandes entreprises (parfois beaucoup moins pour certaines d’entre elles, comme les GAFAM par exemple) contre 23,7 % pour les PME.

À moins de considérer qu’une taxe sur les superprofits ne doit être qu’éphémère, le débat sur la taxation des superprofits ouvre donc celui de l’évolution de l’impôt sur les sociétés à plus long terme. Pour l’heure, on ne note aucun empressement de États membres de l’Union européenne à mettre en œuvre l’accord (pourtant insuffisant) formalisé au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), comportant notamment la fameuse imposition mondiale minimum des multinationales au taux de 15 %. Bien au contraire, les gouvernements semblent plus préoccupés par la poursuite de la baisse des impôts des entreprises, y compris au-delà de l’impôt sur les sociétés : le gouvernement français veut ainsi supprimer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.

Un impôt sur les sociétés progressif et assis sur une taxation unitaire semble donc bien loin. La simple équité provenant de taux réels d’imposition à tout le moins égaux quelle que soit la taille des entreprises le semble également. C’est aussi à l’aune de cette réalité qu’on peut mesurer les injustices fiscales et sociales.