Contribution de Thierry Lambert sur les finances locales Quel avenir pour les finances locales ?

, par Équipe de l’Observatoire

Si le débat public traite régulièrement d’enjeux internationaux (avec l’évasion fiscale et le projet de taux minimum à 15 % en matière d’impôt sur les sociétés des multinationales) et nationaux (avec par exemple le débat sur l’imposition du patrimoine), la fiscalité locale a connu et connaît encore de profondes mutations. Celles-ci ont de quoi inquiéter et ce, pour plusieurs raisons. Les élus locaux ont des compétences qui n’ont cessé de s’accroître sans pour autant que leurs moyens financiers ne soient garantis. Par ailleurs, les circuits de financement des collectivités locales sont complexes, peu lisibles pour les citoyen.nes. En outre, les conséquences de la la suppression programmée de la taxe d’habitation interrogent les élus locaux.

Dans cet article, nous avons donné la parole à Thierry Lambert (professeur de droit public, directeur du Centre d’études fiscales et financières et Président de l’institut international des sciences fiscales -2iSF-) qui résume les enjeux auxquels font, selon lui, face les finances locales.

« L’avenir des finances locales ne peut être pensé que globalement. Il me semble illusoire de vouloir réformer certains éléments constitutifs (les impôts locaux, les dotations, …) et de faire l’économie d’une réflexion d’ensemble, concernant également tous les niveaux de collectivités.

Le principe de la libre administration (1) a été constitutionnalisé en France depuis très longtemps alors que celui d’autonomie financière (2) n’a été constitutionnalisé que depuis 2003, qui pour le moment ne reconnaît pas l’autonomie fiscale des collectivités. En France, l’autonomie fiscale des collectivités locales est très limitée : elles ne peuvent en effet ni créer ni modifier ni encore supprimer un impôt. C’est le Parlement qui légifère en matière fiscale

Aujourd’hui les communes sont « sous perfusion », les départements connaissent une explosion des dépenses contraintes (sociales) et les régions sont des nains financiers. Il est urgent d’avoir une approche globale. La crise sanitaire (Covid 19) met à l’épreuve les collectivités (distribution alimentaire, achat de masques, gel,..) et leurs finances locales. Certaines collectivités vont très certainement voir leurs difficultés croître, ce qui rend encore plus urgent une réforme en profondeur des finances locales.

Il serait souhaitable, après toutes les consultations nécessaires, de retenir quelques principes :

► La fiscalité locale doit redevenir locale. Il me semble important que les assemblées délibérantes (conseils municipaux,…) gardent totalement la maîtrise du vote des taux pour l’ensemble des impôts directs locaux. L’encadrement par l’État doit se limiter au strict nécessaire, pour faire respecter certains principes constitutionnels (légalité, égalité ,…)
► Voulons-nous un lien entre le contribuable local (personnes physiques et morales) et la collectivité ? Pour moi c’est oui ! Alors il faut donner une autonomie fiscale aux collectivités. Évidemment nous l’encadrerons avec une loi organique. Je pense que la suppression progressive de la taxe d’habitation est une erreur coûteuse pour le budget général et un recul pour la citoyenneté.
► Faut-il spécialiser la fiscalité par nature de collectivité, en donnant par exemple le foncier aux communes et la contribution économique territoriale (CET) aux régions ? Si l’on veut répondre clairement à la question « je paye pour qui ? », la réponse est oui. Toutefois il faut regarder les volumes d’impôts au regard des budgets à financer. Je pense qu’il faut être prudent sur le sujet.
► Faut-il garder des mécanismes de péréquations ? Oui sauf à considérer qu’il faut « tuer » notamment les petites communes. Aujourd’hui la grande mode est de considérer que l’avenir appartient aux grandes métropoles connectées mises en réseaux Je ne partage pas le point de vue de certains collègues sur le sujet qui n’ont d’yeux que pour les métropoles et autres mégapoles, oubliant et parfois méprisant la ruralité. Il faut prendre la France dans sa diversité géographique et sociale. Dit autrement et de façon plus plaisante, tout le monde n’habite pas à la ville. Le mouvement des gilets jaunes a montré qu’il pourrait être utile de mettre en réseaux cette France des territoires dont on ne parle jamais, celle des communes où l’on se bat pour sauver La poste ou une école. Cette France là n’a pas le potentiel fiscal suffisant pour garder un peu de vie. Donc oui il faut faire des péréquations fiscales.
► Il me semble important que dans un cadre pluriannuel, qui vaut engagement de l’État, le montant les dotations de l’État soit connu et « sanctuarisé ».
► Concernant les assiettes, je partage le sentiment général selon lequel elles sont obsolètes ce qui nous conduit à les réformer. Un point me semble important il faut dire et assumer pleinement le fait qu’une réforme en cette matière ne peut pas faire que des gagnants (collectivités ou contribuables), il y aura aussi des perdants. Il faut assumer les choix politiques.
► Pour le reste je suis assez tenté (même si mon opinion n’est pas faite) de raccrocher l’impôt local des personnes physiques à l’impôt sur le revenu et l’impôt local des personnes morales à l’impôt sur les sociétés. Finalement les centimes additionnels et la patente d’antan avaient un certain charme !
► Je suis très hostile, dans les conditions actuelles, au transfert de la TVA vers les collectivités. Aujourd’hui ce transfert est un « bouche trou ». Si cette solution devait être retenue, avec des transferts massifs, alors il faudrait engager une réflexion d’ensemble car évidemment le budget général serait affecté. Ce poserait alors la question de savoir si nous ne sommes pas en train de passer d’un État unitaire à un État fédéral. 

(1) [Défini à l’article 72 de la Constitution, la libre administration se résume ainsi : dans les conditions prévues par la loi, [les] collectivités s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences ]
(2)[L’autonomie financière est définie par l’article 72-2 de la Constitution : les collectivités "bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement" ; elles "peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures" et la loi peut les autoriser, dans certaines limites, à en fixer l’assiette et le taux ; "les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources" ; "tout transfert de compétences [...] s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice". ]